C’est la bonne nouvelle que les historiens attendaient depuis longtemps : l’ouverture en 2020 des archives du pontificat de Pie XII (1939-1958). Le pape François vient de la rendre publique à l’occasion du 80e anniversaire de l’élection du cardinal Pacelli, le 2 mars 1939. Rien ne suscite plus de fantasmes que ces fameuses archives du Vatican qui renfermeraient mille secrets, les plus inavouables bien sûr, les plus terribles, ceux que l’Église veut cacher au monde pour une raison fort simple : les documents dormant au fond des dossiers poussiéreux contiendraient les preuves de la complicité de Pie XII avec le régime national-socialiste et de son silence délibéré devant le crime de la Shoah.
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La pièce manquante
Ceux qui espèrent de telles révélations risquent d’être amèrement déçus. Pour la simple et bonne raison que sur cette question terrible, nous connaissons déjà l’essentiel de la vérité historique. Tout d’abord parce que la papauté elle-même, sur ordre de Paul VI, a ordonné la publication de très nombreux documents, aujourd’hui accessibles en ligne. Ensuite parce que les dépôts d’archives étrangers sont ouverts depuis longtemps et nous ont apporté une infinité d’informations sur le Vatican pendant cette période.
Si l’on se félicite de cette ouverture aux chercheurs, c’est parce que les archives de Pie XII constituent en réalité la pièce manquante au puzzle. Elles vont nous apporter des éclairages nouveaux sur ce que nous appelons le processus de décision, à savoir les discussions à l’intérieur de la Curie, les divergences ou les convergences dans l’entourage du souverain pontife, mais aussi sur la correspondance des nonces, les instructions qu’ils ont reçues, leurs actions sur le terrain, etc. Les spécialistes de Vichy, du fascisme italien, des régimes d’Europe centrale (pensons aux terribles oustachis de Croatie) ou du franquisme puiseront dans les notes et rapports déclassifiés de quoi mieux connaître la politique du Saint-Siège.
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Ce que nous savons déjà
Mais aucun document ne pourra venir contredire ce que nous savons déjà : l’antinazisme de Pie XII, son hostilité au IIIe Reich, sa crainte de voir l’hitlérisme dominer l’Europe et anéantir l’Église, sa hantise du communisme athée, son rapprochement avec les États-Unis commencé dans les années 1930 ; mais aussi sa vertu de la prudence, son souci de ne pas commettre le faux pas irrémédiable, celui qui aggraverait la situation de l’ensemble des persécutés, celui qui donnerait aux tortionnaires de Berlin l’occasion de déchaîner plus encore leur haine contre les juifs, les chrétiens ou les « sous-hommes ». Déjà les archives du pontificat de Pie XI, ouvertes en 2005, ont permis de bien comprendre son implication, à la tête de la secrétairerie d’État, dans la politique antinazie du pape Ratti et de bien dessiner les contours de sa relation particulière avec ce dernier. Mieux, elles ont mis en lumière sa proximité avec les démocraties, notamment avec la France, corroborant ainsi les éléments contenus dans les archives du Quai d’Orsay.
Un procès toujours à charge
Bien sûr, les polémiques ne manqueront pas de surgir à la suite de la publication dans un quelconque journal de tel ou tel document sorti de son dossier comme un diable de sa boîte et surtout du contexte historique dans lequel il fut élaboré. Il sera, soyons-en certains, toujours à charge contre Pie XII. Car on ne cherchera pas à cette occasion la vérité historique mais à instruire le procès contre une Église marquée au fer rouge de la Shoah.
Bien sûr, il faudra toujours compter sur la lecture biaisée des pièces archivistiques par des historiens qui ne démordront jamais de leur conviction préfabriquée : Pie XII est coupable. Il s’agit juste pour eux de le prouver… Ne sous-estimons pas non plus la profonde méconnaissance dont nombre d’historiens souffrent à propos de cet univers très particulier qu’est le Saint-Siège qu’ils traitent comme n’importe quel autre État ; quand ce n’est pas du catholicisme tout court.
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L’Église n’a pas peur de la vérité
Le pape François l’a martelé avec force : l’Église n’a pas peur de la vérité. À propos de ce pontificat controversé, elle a raison. D’aucuns jugeront que l’attitude de Pie XII ne fut pas celle qu’on est en droit d’attendre d’un pape, qu’il aurait dû agir de telle façon, prononcer telle parole. Mais on quitte là la salle d’étude pour entrer dans un prétoire. L’histoire est une science qui demande rigueur, recul et objectivité. Laissons donc les professionnels que sont les historiens faire leur métier. C’est ce qu’ils vont faire avec de nouveaux et précieux documents d’archives.