La scène se passe à Rome, le Vendredi saint 2005. La foule des chrétiens, rassemblée ce jour-là pour méditer le chemin de croix, entend la méditation du prédicateur : « Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ». Celui qui parle ainsi sera élu pape quelques semaines plus tard sous le nom de Benoît XVI.
Ces mots ont presque quinze ans. Et ils sont encore d’actualité. Au cœur même de l’Église, les contre témoignages sont flagrants, nombreux, scandaleux. Comme l’a avoué un jour le pape Benoît XVI, la plus grande persécution de l’Église ne vient pas d’ennemis « du dehors » mais « du dedans ». Mais ce qui heurte certainement le plus c’est que depuis des décennies, malgré les révélations et les déclarations, rien ne semble avoir bougé.
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Résister à la tentation de l’abandon
Tous nous sommes torturés par de bien douloureuses questions : quelles raisons ai-je de rester ? Ne faut-il pas, au minimum, commencer à prendre de la distance avec cette Église si souillée, dont la crédibilité — gage de son attrait — est tant mise à mal ? Finalement, qu’est-ce qui me retient ?
Beaucoup de chrétiens parlent de l’Église comme d’une réalité extérieure à eux-mêmes. Pourtant, par leur baptême, ils ne sont pas seulement membres de l’Église ; ils sont l’Église. L’évoquer, c’est en parler comme de sa propre famille : une réalité que l’on n’a pas choisie, qui connait des joies et des peines, des lumières et des ombres. Comme dans toute famille, on n’est pas fier de tout, mais elle est notre famille et on aime ce groupe humain qui avance, cahin-caha, qui se porte et se supporte ! Lorsqu’un membre tombe, c’est la famille entière qui est blessée ; lorsqu’un membre fait le bien, la famille entière en est honorée.
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La tentation de l’abandon guette les disciples du Christ depuis les origines. Elle peut prendre plusieurs formes, de la crispation à la dilution. En face, nos adversaires s’en donnent à cœur joie pour remettre en cause la doctrine de l’Église, salie par les scandales et l’infidélité de tel ou tel. À l’intérieur, certains tombent dans le piège : ils affadissent le message ou bien n’osent plus le proclamer dans son exigence tellement il contredit l’esprit du monde. Un nouveau péril nous guette : celui de la division.
Quelles raisons ai-je de rester ? Nous ne ferons pas l’économie de les chercher dans la prière, la pénitence et le partage qui sont justement les armes du carême. Les chercher par nous-même mais aussi les trouver. Peut-être irons-nous plus régulièrement vers une source à laquelle nous n’avons jamais fini de nous abreuver : l’Eucharistie ? Depuis le Jeudi saint, que nous allons bientôt célébrer, elle est la source et le sommet de la vie chrétienne, si bien qu’on ne sait plus trop — et tant mieux — si ce n’est pas tant l’Église qui fait l’Eucharistie que l’Eucharistie qui fait l’Église.
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Une institution pas comme les autres
Il nous faut trouver comment reconstruire, selon quels modèles et pour quelles fonctions. Sans oublier qu’il y a un droit de critique dans l’Église mais il est d’abord autocritique…
En donnant à ses apôtres la mission d’être lumière pour ce monde et sel de la terre, Jésus ne leur dit pas comment faire. Il leur dit juste quoi faire : « Allez baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Le Christ leur fait confiance et leur promet juste une chose afin d’accompagner l’enthousiasme et les persécutions : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». Ce sont ses derniers mots, juste avant de monter vers son Père. Il ne dit pas : « Je reste avec vous tant que vous êtes présentables et à la hauteur ». Il dit juste : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». Sa promesse est sans condition.
Il reste donc impossible de séparer l’Église du Christ. Sans la foi, on n’y voit simplement qu’une institution critiquable, comme toute institution. Elle est pourtant humaine et donc fragile mais aussi divine et sainte, choisie et voulue par le Christ, toute brûlante de l’Esprit saint. Elle n’a pas été inventée accidentellement par les hommes comme une verrue sur l’évangile ! Lorsqu’il la fonde, Jésus appelle Pierre, Judas et les autres. Le reniement du premier et la trahison du second n’ont jamais été occultés. Quand on est disciple du Christ, on n’a pas peur de la vérité qui rend libre. Cette vérité nous fait aussi contempler les multiples exemples de sainteté qui ont parsemé les siècles de son histoire.
Le défi, c’est de regarder chacun de nos mouvements d’Église, chacune de nos associations, aumôneries, paroisses, … comme des servantes de l’alliance entre Dieu et les hommes, au service de la rencontre entre Dieu et l’homme. Une structure d’Église auto-centrée meurt si elle n’est pas au service de cette rencontre. Peut-être avons-nous cru qu’évangéliser c’était parler depuis un piédestal. Mais la mission, ce sont des pauvres qui parlent à d’autres pauvres. Et tous sont aimés de Dieu. Où en sommes-nous de cette alliance ? Ce que je vis m’aide-t-il à rencontrer Dieu ? Mes amitiés, mon travail, mes loisirs, m’aident-ils à rencontrer Dieu ?
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Il y a-t-il une raison d’espérer ?
La seule raison d’espérer, disait récemment un jeune évêque, c’est qu’il n’y a pas de raison de… désespérer. Ce n’est pas une pirouette ! S’inquiéter ? Se scandaliser ? Réagir ? Oui, certainement. Mais désespérer : non ! On n’a jamais de raisons de désespérer : le désespoir est du côté de la déraison autant que l’espérance est du côté de la raison. Il faut moins chercher de raisons d’espérer que se tourner avec raison vers l’espérance.
Tout est affaire de regard et d’optimisme. Un regard de foi et d’espérance qui n’est pas un angélisme. Si le mystère du mal se manifeste de façon encore plus flagrante, nous devons regarder au-delà de l’horizon. Depuis l’aurore de Pâques, depuis la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, l’issue est certaine. Que va-t-il se passer ? La barque Église sera certainement encore bien secouée… Mais « ce que je sais pour demain, disait le grand prédicateur Henri Lacordaire, c’est que la Providence se lèvera avant le soleil ».
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L’Église est le peuple de Dieu : non pas parce que nous sommes les propriétaires de Dieu et de son message mais parce que l’Église est la propriété de Dieu. C’est Lui qui, en premier, a pris l’initiative de nous rassembler. Non pas pour faire du chiffre mais pour dire, en son nom, ce qui est vrai et bon pour l’homme. Même si les ténèbres semblent épaisses, nous ne marchons pas à l’aveuglette. Nous savons où nous allons : à la Rencontre du Christ qui, lui, vient au devant de son Église pour l’assister.
Mieux encore : il suscitera en elle des saints à la taille de la crise actuelle. Comme elle est d’importance… on peut donc espérer de très grands saints ! L’Église attend donc des familles et des écoles où l’on transmet courageusement la foi, des bénévoles qui servent les plus pauvres et les plus fragiles, des paroisses qui soient des lieux de consolation où l’on s’encourage et se réconforte pour repartir dans le monde.
En pèlerinage sur la terre, nous arriverons un jour devant le Maître avec nos vêtements déchirés, nos misères et nos faiblesses et nous lui dirons : « Je n’ai pas renoncé, je n’ai pas déserté, jusqu’au bout j’ai essayé d’être Tes mains, Ton cœur, Ta voix ». Alors, le Seigneur trouvera belle son Église pour laquelle il s’est livré et il dira : « Entre dans la joie de ton Maître ! ».
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