Comme la vocation sacerdotale, la musique n’a pas été une évidence pour Thierry Félix. Né dans une famille non musicienne, il n’a pas tout de suite ressenti le désir de devenir chanteur. C’est à l’âge de 16 ans, alors qu’une amie lui fait découvrir le piano, que le coup de foudre s’opère véritablement. “J’étais obsédé par le piano, j’en jouais tout le temps et il s’est avéré que j’avais de grandes capacités dans ce domaine”. Un jour, alors qu’il déchiffre le choral “Jésus que ma joie demeure” de Jean-Sébastien Bach, il reste subjugué par la beauté de cette musique. “Ce jour là, j’ai fait une promesse au Seigneur. Je lui ai dit : “Si vous me promettez de faire de la musique, j’abandonnerai tout, je ne me marierai jamais””. Un signe, sans doute précurseur, de sa future vocation comme il le confie lui-même.
Après le baccalauréat, Thierry Félix entre à Science-Po mais ne s’y épanouit pas. Il change de voie et se dirige vers des études de musicologie à la Sorbonne tout en continuant à pratiquer la musique au conservatoire. C’est finalement à l’occasion d’une audition pour intégrer un chœur que sa future carrière de chanteur se révèle : “La directrice du conservatoire a été impressionnée par ma voix et m’a conseillé de persévérer. J’ai vraiment senti à ce moment là que j’avais trouvé ma vocation. Moi qui était asthmatique et timide, je me sentais tout à coup à l’aise en chantant. J’étais dans mon élément, cela me faisait du bien”, confie-t-il. Par la suite, tout s’enchaîne rapidement. Il se produit dans de nombreuses églises parisiennes, entre au Conservatoire national de Paris et interprète les plus grandes œuvres du répertoire sacré. Il devient un soliste baryton reconnu et sa carrière décolle véritablement lorsqu’il reçoit, en 1992, le premier prix de chant du concours international de la reine Élisabeth de Belgique. Une date importante qui marque le début de sa carrière internationale. Pendant vingt ans, il parcourt les plus grandes scènes du monde, obtient les plus prestigieux rôles à l’Opéra et enregistre de nombreux disques. Une belle carrière qui durera jusqu’en 2009, année où la foi va venir bousculer profondément sa vie.
“La foi s’est consolidée grâce à la musique”
Croyant depuis son plus jeune âge, Thierry Félix ne baignait pourtant pas dans une famille catholique. Né d’un père athée et d’une mère croyante, mais non pratiquante, le jeune homme n’avait pas reçu le baptême et n’avait jamais mis les pieds à la messe malgré son attirance pour les églises. “La foi était présente, je lisais le missel de ma mère, récitais des prières, déposais des cierges dans les églises mais c’était tout. Ma foi s’est consolidée grâce à la musique. Je chantais beaucoup de répertoire sacré et cette musique était pour moi transcendante, elle me reliait vraiment au Seigneur. Rien que le fait d’inspirer de l’air, de faire vibrer ses cordes vocales, il y a une incarnation dans le chant. C’est une prière qui s’adresse continuellement à Dieu”. Au fil du temps, le chanteur fréquente de plus en plus les églises, récite le chapelet mais ne va toujours pas à la messe.
À l’âge de 37 ans, alors qu’il fait de la randonnée en Suisse avec un de ses amis, ce dernier lui dit qu’il ne peut pas l’accompagner le dimanche matin car il doit se rendre à la messe. Une réponse qui l’interpelle. Bousculé par cette confidence, le chanteur décide de se rendre à la messe à la cathédrale Saint-Gall pour la première fois de sa vie. “J’ai été transporté et depuis ce jour je suis toujours allé à la messe. Et je communiais à chaque fois car j’ignorais qu’il fallait être baptisé !”, avoue-t-il dans un rire. À son retour à Paris, il fréquente l’église Sainte-Clotilde et apprend qu’il doit passer par trois ans de catéchuménat pour pouvoir communier. Son esprit rebelle se révolte : “Il me paraissait impossible que je réalise ce parcours de trois ans avec tous les déplacements que demandait ma carrière de chanteur. Je décidais alors de passer outre car j’étais persuadé que seule la foi comptait. J’ai donc continué à aller à la messe et à communier en toute conscience”. Après un temps de discernement, il réalise qu’il est important d’affirmer sa foi catholique et accepte l’idée de se faire baptiser. Un cheminement qui va de pair avec son désir de se poser plus personnellement. Il se fixe à Belle-Île-en-Mer et achète une maison, ouvrant ainsi un nouveau chapitre de sa vie.
“Ma carrière de chanteur ne répondait plus à mes attentes. Ma recherche de beauté, mon idéal, ne se trouvait plus dans la musique”
“Je suis allé voir le curé de Belle-Île et lui ai raconté mon histoire. Il m’a tout de suite ouvert les bras et a décidé de me baptiser quelques jours après, lors de la veillée pascale. Un baptême express que l’évêque a finalement accepté au vu de mon parcours.” C’est également à cette période que le jeune baptisé éprouve un profond désintérêt pour son métier. “Ma carrière de chanteur ne répondait plus à mes attentes. Ma recherche de beauté, mon idéal, ne se trouvait plus dans la musique”. La crise économique de 2009 mettant à mal ses contrats et des soucis de santé venant s’y ajouter, il ressent pleinement l’envie de changer de vie. “Je n’ai pas cherché à persévérer dans la musique et je n’ai jamais eu aucun regret. J’ai effectué des petits travaux et j’ai commencé à servir la paroisse. Je suis devenu en quelque sorte le vicaire du curé. J’animais la catéchèse, les messes, je tenais l’orgue. J’ai finalement appris le métier de prêtre comme cela !”
Si l’appel à la prêtrise commence à devenir de plus en plus palpable, c’est réellement à Sainte-Anne d’Auray que le Thierry Félix fait une expérience mystique qui va consolider son intuition. “Durant la messe de Pentecôte, j’ai entendu la voix d’une femme — que j’ai attribué plus tard à Yvonne-Aimée de Malestroit — qui m’a dit : “Thierry, tu dois faire quelque chose pour l’Église. C’est important, action !””. Il confie alors à son curé son désir d’être diacre bien que celui-ci espère secrètement qu’il se lance dans la voie de la prêtrise. Il est finalement ordonné diacre permanent quatre ans plus tard, en 2013, puis après un long discernement et une retraite de trente jours décisive, il exprime enfin à son évêque l’envie de devenir prêtre. Après trois ans de formation, il est ordonné le 23 juin 2019 à Vannes.
“Le Seigneur est partout et s’exprime aussi bien à travers un grand chœur que dans la voie d’une petite dame âgée”
“Je pense que j’ai toujours été appelé à être prêtre, confie-t-il. Mon vœu, à 17 ans, de ne pas me marier était déjà un signe. En vingt ans de carrière, l’idée du mariage est bien sûr venue à mon esprit mais les relations ont été des échecs car, au fond, je n’étais pas appelé à ça.” Lorsqu’on lui demande s’il n’est pas difficile de passer de la lumière à l’ombre et à une certaine “solitude”, il déclare : “Lorsqu’on est chanteur, on est très seul. On est adulé à la fin des concerts mais, une fois sorti de scène, on se retrouve seul dans sa chambre d’hôtel à l’autre bout du monde. On est constamment obligé de faire attention à sa voix. C’est une vie très difficile. Aujourd’hui, je célèbre la messe et c’est bouleversant. Je sens la présence de Dieu qui descend sur l’autel. C’est énorme !”
Quant à la musique, a-t-elle une place plus importante pour lui dans les célébrations liturgiques que ses frères prêtres ? “Bien sûr, je reste attaché à la musique et j’aime les belles messes. Quand j’ai assisté à ma première messe à Saint-Gall, je croyais que toutes les messes étaient comme cela. Grandioses avec des chants magnifiques. À Belle-Île, j’ai découvert la réalité et le Seigneur m’a véritablement dépossédé d’une chose à laquelle j’étais attaché. J’en suis heureux car ce n’est pas le plus important. Il y a autant de beauté dans une grande messe que dans une messe basse. Le Seigneur est partout et s’exprime aussi bien à travers un grand chœur que dans la voix d’une petite dame âgée qui tente, tant bien que mal, d’animer la messe. Il y une véritable incarnation dans la musique, qui s’exprime physiquement. Avec notre corps, nous portons la parole de Dieu dans le cosmos”.
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