“Plusieurs fois lors de nos entretiens, le pape François a déclaré que selon lui, en 2005, la seule personne qui pouvait percevoir l’héritage de Jean Paul II était le cardinal Ratzinger”, a confié Luigi Maria Epicoco à Aleteia, à l’occasion de la sortie du livre San Giovanni Paolo Magno.
Aleteia : Comment est née l’idée du livre ?
Luigi Maria Epicoco : L’idée est née lors d’un colloque avec le Pape, en juin 2019. Je lui ai parlé de mon projet d’écrire une brève biographie spirituelle pour les 100 ans de la naissance de Jean Paul II. À cette époque, le Pape m’a raconté quelques anecdotes personnelles liées à son prédécesseur, et c’est ainsi qu’est née l’idée de recueillir son témoignage et de l’ajouter au livre. Depuis lors jusqu’à Noël dernier, nous nous sommes vus régulièrement pour organiser et collecter ses propos.
La préface étant datée du 2 février, certains pourraient y voir une réponse à l’ouvrage du cardinal Sarah et du pape émérite Des profondeurs de nos cœurs…
Le volume a été achevé en janvier mais l’Épiphanie était déjà passée et la première date liturgique « forte », utile pour ajouter un point symbolique, était la Chandeleur.
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On ne peut pas penser aux deux sans penser à Benoît XVI : il est le véritable trait d’union entre la fin d’un important pontificat, comme celui de Jean Paul II, et un autre pontificat important, celui du pape François, qui n’aurait jamais pu exister sans les décisions et les intuitions du pape Benoît. En outre, plusieurs fois pendant les entretiens, le pape François a déclaré que selon lui, en 2005, la seule personne qui pouvait percevoir l’héritage de Jean Paul II était le cardinal Ratzinger.
Quelle passage du livre préférez-vous ?
Dans le chapitre « Le prêtre », j’ai demandé au Saint-Père un mot sur l’accompagnement spirituel, car dans Christus Vivit, il avait invité les jeunes à se laisser aider dans leur développement, et avait ajouté que Jean Paul II lui-même avait plusieurs compagnons d’exception, dont le saint laïc Jan Tyranowski. Le Pape a affirmé à plusieurs reprises qu’il convenait de ne pas considérer le ministère de l’accompagnement comme quelque chose que l’Église pouvait ou devait codifier, comme c’était le cas des ministères institués :
… fondamentalement, l’accompagnement spirituel est un charisme. Il ne s’agit pas tant d’une fonction, mais plutôt d’une paternité, une fraternité qui trouve sa racine ultime non pas dans notre organisation mais dans la vie de l’Esprit. Certes, il est du devoir du prêtre d’accompagner, mais je réaffirme l’idée de fond selon laquelle l’accompagnement est un charisme, qui se manifeste fortement dans certains cas, et dans d’autres est plus difficile à reconnaître, et qu’il n’appartient pas uniquement aux prêtres, mais aussi aux laïcs et aux femmes consacrées, car les baptisés portent en eux ce charisme.
Pape François (avec Luigi Maria Epicoco), San Giovanni Paolo Magno, p. 76-77
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Et quel est le passage préféré du pape François ?
Il est difficile de dire qu’il a une page préférée : le Saint-Père a souhaité revoir attentivement les notes et j’ai été heureux de lui remettre personnellement deux exemplaires du livre imprimé, qu’il a reçu avec enthousiasme. Je crois que je ne fais de mal à personne si je révèle que, dans les phases de révision, son attention s’est portée sur sa réponse à une de mes questions concernant les façons spécifiques dont le mal est fait et ses conséquences sur le moment présent historique : le Pape a donné une réponse très claire indiquant que « l’une d’entre elles » est la « théorie du genre » et a apporté des précisions importantes qu’il convient également de garder à l’esprit dans le débat actuel qui peut être d’une grande virulence.
À chaque époque historique, le mal se manifeste de différentes manières. Selon vous, à notre époque, quelle est la manière la plus spécifique qu’a le mal de se manifester et d’agir ?
L’une d’elles est la théorie du genre. Mais je tiens à préciser immédiatement qu’en disant cela, je ne parle pas des personnes qui ont une orientation homosexuelle. Le Catéchisme de l’Église catholique nous invite au contraire à accompagner et à accorder une attention pastorale à ces frères et sœurs. Ma référence est plus large et fait allusion à une racine culturelle dangereuse. Celle-ci propose implicitement de vouloir détruire à la racine le projet de création que Dieu a voulu pour chacun de nous : la diversité, la distinction. Obtenir un tout homogène, neutre. C’est s’attaquer à la différence, à la créativité de Dieu, à l’homme et à la femme. Si je dis ceci clairement, ce n’est pas pour discriminer qui que ce soit, mais simplement pour mettre tout le monde en garde contre la tentation de tomber dans ce qui était le projet fou des habitants de Babel : supprimer les différences pour n’obtenir qu’une seule langue, une seule méthode, un seul peuple. Cette apparente uniformité les a conduits à l’autodestruction, car il s’agissait d’un projet idéologique qui ne prenait pas en compte la réalité, la vraie diversité des gens, l’unicité de chacun, la différence de chacun. Ce n’est pas la suppression de la différence qui nous rapprochera, mais l’accueil de l’autre dans sa différence, dans la découverte de la richesse de la différence. C’est la fécondité présente dans la différence qui fait de nous des êtres humains uniques à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais surtout capables d’accueillir l’autre pour ce qu’il est et non pour ce en quoi nous voulons le transformer. Le christianisme a toujours donné la priorité aux faits plutôt qu’aux idées. Dans le cas du genre, on voit que l’on veut imposer une idée à la réalité, et cela de manière subtile. On veut saper la base de l’humanité dans tous les domaines et dans toutes les déclinaisons éducatives possibles, et cette volonté est en train de s’imposer en norme culturelle qui, au lieu de naître d’en bas, est imposée d’en haut par certains États comme le seul chemin culturel possible auquel il faut se conformer.Ivi, 103-105