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André Manaranche, jésuite franc-tireur

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Guides et Scouts d'Europe

Jean Duchesne - publié le 15/04/20

Hommage à un prêtre qui a montré que l’évangélisation requiert une théologie solide.

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André Manaranche, jésuite, a été rappelé à Dieu dimanche dernier, jour de Pâques, comme l’avait été en 1955 un autre jésuite, Pierre Teilhard de Chardin, deux hommes de la même famille religieuse, dont le transitus de ce monde à l’autre a eu lieu en la fête de la Résurrection du Seigneur, et pourtant fort différents parce que tous deux peu ordinaires.

Ils ne se sont jamais rencontrés. Mais un troisième jésuite établit entre eux un lien personnel, puisqu’il les a connus, l’un au début et l’autre à la fin de sa longue vie à la fois féconde et semée d’épreuves : c’est le père Henri de Lubac. Pendant son noviciat, ce dernier a été impressionné par son aîné le père Teilhard, qu’il a toujours défendu par la suite. Et les travaux du père de Lubac ont éclairé et stimulé (en plus de saint Jean-Paul II qui l’a tellement apprécié qu’il a tenu à en faire un cardinal) le père Manaranche dans ses recherches et ses engagements. De sorte que lorsqu’ils se sont retrouvés dans la même maison, le disciple a pu honorer et soutenir le maître dans son grand âge.

Un itinéraire singulier

L’itinéraire d’André Manaranche est, dans son genre, aussi peu banal que celui du père Teilhard. Celui-ci est entré chez les jésuites à dix-huit ans et a été à la fois un scientifique de haut vol et un visionnaire qui a été presque autant critiqué qu’il a enthousiasmé. De son côté, le père Manaranche n’est devenu jésuite que neuf ans après avoir été ordonné prêtre diocésain en 1951, à vingt-quatre ans : vocation précoce au sacerdoce, et tardive pour les vœux religieux. Il comptait trouver à l’école de saint Ignace de Loyola la discipline spirituelle et les exigences intellectuelles requises pour exercer son ministère dans une société où il voyait bien que l’essentiel de la foi était en train de disparaître de la culture commune pendant les « Trente glorieuses ». 

Et il n’a pas trouvé dans la Compagnie de Jésus tout ce qu’il cherchait. Si les Exercices ignatiens ont dûment structuré sa prière et ses engagements, il est arrivé à un moment où il a semblé à beaucoup que la théologie et l’apologétique développées depuis les Pères de l’Église — exemplairement celles du père de Lubac — ne suffisaient plus face à l’avènement des « maîtres du soupçon » : Marx, Nietzsche et Freud, et que s’imposaient des investissements en philosophie (notamment Hegel et sa postérité) et en « sciences humaines ».


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Au cours des études qu’il reprend, après celles de son séminaire, au scolasticat jésuite de Lyon, André Manaranche en vient à se demander si la foi peut n’être qu’un simple appoint ou complément aux principes moraux qui découle de l’anthropologie et de la sociologie. C’est la question que pose un de ses premiers livres en 1969 : Y a-t-il une éthique sociale chrétienne ? Sa réponse sera que l’espérance du Royaume annoncé par le Christ et la découverte du mystère du Salut qui dévoile ceux de la tentation, du mal et de la souffrance sont des motivations non seulement plus radicales mais encore indispensables.

Apologétique et recherche théologique

C’est ce qu’il exposera inlassablement — sans, il faut le reconnaître, que ses supérieurs le freinent — dans près de quarante livres. Il est impossible de les citer tous ici. Mentionnons seulement : Quel salut ? (1969), Un chemin de liberté (1971), Celui qui vient (1976), Les Raisons de l’espérance (1979), Pour nous les hommes, la Rédemption (1984), J’aime mon Église (1992), Déclin ou sursaut de la foi (2002)… Notons aussi l’accent mis sur ce que signifie l’amour : Un amour nommé Jésus (1986), Premiers pas dans l’amour (1988), et sur le rôle du prêtre : Le Prêtre, ce prophète (1982), Vouloir et former des prêtres (1994), Prêtre : genèse d’une réflexion, qui est une autobiographie (2009).


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Son dernier ouvrage (2010) fut une substantielle préface à la réédition des Yeux de la foi, un long article datant de 1910, dû à un autre jésuite, Pierre Rousselot, tué pendant la Grande Guerre et qui a marqué les PP. Teilhard de Chardin et de Lubac. La thèse, censurée dans le climat méfiant de la répression du modernisme, était que la Révélation n’est pas la somme d’une série de vérités distinctes et séparables, mais un tout qui n’est pas un objet dont on pourrait s’emparer et dont aucun aspect n’est pleinement représentatif, mais qui est rendu accessible dans la relation interpersonnelle de foi en Jésus-Christ. Ce point de vue aide à comprendre la vision de l’évolution chez le père Teilhard et du développement du dogme chez le père de Lubac après saint John Henry Newman.

Professeur et aumônier

Ces publications, dont la pédagogie vibrante pas vieilli, sont des échos d’enseignements dispensés en Afrique (du Nord et subsaharienne) et à Madagascar, loin du nombrilisme européen obsédé par la sécularisation : des cours de dogmatique, c’est-à-dire sur la cohérence interne et la portée des « fondamentaux » de la foi, là où de jeunes et souvent prometteuses Églises ont besoin de s’approprier les ressources de la Tradition.




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Mais le père Manaranche a été demandé aussi en France. Il a toujours trouvé du temps pour le travail pastoral et la direction spirituelle. Il a été régulièrement invité aux séminaires de Paray-le-Monial et d’Ars et a servi de conseiller religieux des Scouts d’Europe — un mouvement d’où sont issues nombre de vocations sacerdotales ces dernières années. Il a encore assuré des formations dans les écoles de prière et d’évangélisation « Jeunesse Lumière », fondées et animées par le père Daniel-Ange. Il a enfin permis à plusieurs communautés charismatiques de grandir sur des fondements théologiques solides.

Un apôtre passionné et clairvoyant

Enfin, si Jacques Fesch est un jour béatifié, cette reconnaissance devra beaucoup au père Manaranche. Le jésuite a saisi ce qu’avait de fécond le destin de ce jeune homme guillotiné en 1957 pour le meurtre non prémédité d’un policier au cours d’un braquage d’un amateurisme maladroit. Il avait été condamné d’une façon qui s’avère aujourd’hui excessive et choquante. Mais il avait trouvé la foi en prison, laissant des lettres et des écrits qui ont été publiés et ont touché quantité de cœurs. Le père Manaranche a participé, avec le père Daniel-Ange, à la publication en 1989 de Dans 5 heures je verrai Jésus, le journal tenu par Jacques Fesch les deux mois précédant son exécution. Il a réuni toute une documentation et rencontré les survivants de l’affaire et/ou leurs descendants, en tirant une biographie : Jacques Fesch : du non-sens à la tendresse. Révisée et complétée jusqu’en 2003, celle-ci demeure une référence.

Franc-tireur sans peur d’aller à contrecourant ni de critiquer (il n’a pas apprécié qu’il soit fait appel à des non-croyants pour des conférences de Carême à Notre-Dame de Paris, et il l’a fait savoir), il reste pour ceux qui l’ont connu un apôtre à la fois passionné et clairvoyant, d’une charité aussi attentive qu’intransigeante. Son rayonnement persistera à travers ses livres que l’on ne découvrira, relira et conseillera pas en vain.

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