Si un seul édifice religieux médiéval devait répondre à cette injonction que rien n’est trop beau pour Dieu, ce serait certainement la Sainte-Chapelle. Tout, depuis sa conception jusqu’à sa consécration fut pensé pour une plus grande gloire de Dieu. Nous sommes en 1237. Le roi Louis IX reçoit Baudouin, prince impérial latin de Constantinople, venu en France lever hommes et fonds pour sauvegarder son empire des attaques des Grecs. Le roi et sa mère Blanche de Castille sont sensibles à la demande de la malheureuse altesse. Nul ne pense cependant que la situation des Francs en Orient est à ce point désespérée.
La Couronne d’épines est à vendre
Durant le séjour de Baudouin, deux nouvelles fracassantes parviennent pourtant à la cour de France : la mort de l’empereur Jean de Brienne, beau-père de Baudouin, qui propulse ce dernier à la dignité impériale, à dix-neuf ans à peine ; et le souhait des seigneurs latins de Constantinople de vendre à des banquiers étrangers la Couronne d’épines du Christ, détenue dans le trésor de la ville, pour parer aux dépenses militaires les plus urgentes.
Pour le jeune Baudouin II, la chose est impensable. Louis IX et sa mère se portent acquéreurs. Vendre l’insigne relique au très chrétien roi de France semble plus honorable à l’empereur latin (et franc) de Constantinople. Des émissaires sont dépêchés sur place pour récupérer la couronne d’épines. Mais celle-ci, entretemps, a été déposée en gage à des marchands vénitiens. Louis IX ayant acquis auparavant la relique, ce sont les Français qui la récupèrent, acceptant seulement que la couronne transite par Venise où les habitants pourront la vénérer avant son arrivée à Paris.
Pieds nus et en chemise
La couronne d’épines traversera la France en juillet 1239. Louis IX va à sa rencontre le 9 août, près de Sens, et porte lui-même la relique en procession. Accompagné de son frère Robert, il est pieds nus, ceint d’une simple chemise, au milieu de la foule en prières. À Paris, la relique est de nouveau portée en procession par le roi, puis exposée à la vénération des fidèles à Notre-Dame de Paris, avant d’être conduite jusqu’en la chapelle Saint-Nicolas, au palais royal dans l’île de la Cité. Par la suite, Louis IX acheta d’autres reliques de la Passion du Christ, notamment des fragments de la Vraie croix, la Sainte Éponge et le fer de la Sainte Lance.
Une châsse de lumière
Ces acquisitions ont pour objectif de faire mieux honorer Dieu en France et de placer le royaume sous la spéciale protection du Divin Maître. Pour ces reliques, cependant, Saint-Nicolas semble un écrin insuffisant. C’est pourquoi, afin de manifester ce désir d’un plus grand amour de Dieu, Louis IX ordonne-t-il en 1243 la construction d’une Sainte-Chapelle, en son palais royal, qui sera comme une immense châsse pour ces reliques insignes. La chapelle sera desservie par un chapitre de chanoines auquel le roi donne une dotation en terres lui garantissant l’autonomie suffisante pour se consacrer sans crainte à la prière. La chapelle est également dotée en vue de son entretien à venir.
Le bâtiment est un chef d’œuvre d’art gothique, avec sa nef dégagée de piliers et ses hautes ouvertures vitrées donnant toute sa place à la lumière. Les peintures murales colorent les lieux et surtout les vitraux constituent une illustration presque intégrale du récit biblique, et de l’histoire de ces reliques, pour l’édification des fidèles. La consécration des lieux, le 26 avril 1248, est aussi celle d’un programme politique, tout entier tourné vers la sanctification des peuples, par ce roi dont la mère disait qu’elle aurait préféré le savoir mort plutôt qu’en état de péché mortel. Peu de temps après, Louis IX partira pour la croisade, dont il fut l’un des derniers souverains européen à avoir su magnifier l’esprit.