Beaucoup rendent hommage, dans la presse et sur les réseaux sociaux, à ces travailleurs, indépendants ou salariés, qui ne restent pas chez eux à l’abri de la contamination, mais acceptent de se confronter plus directement au virus. Depuis plusieurs semaines déjà, bien avant le déconfinement progressif annoncé, des usines ont relancé la production, des chantiers ont repris. Cela n’est possible que parce que des entrepreneurs et des fédérations professionnelles ont travaillé dur pour sécuriser les conditions et les postes de travail, adapter les plannings de production et fournir du matériel, notamment des masques. Et cela n’est possible que parce que les travailleurs eux-mêmes montrent de la bonne volonté et du courage.
Le courage des humbles
Des commentateurs soulignent à juste titre ce courage des humbles cols bleus qui, aujourd’hui, font tourner la machine. Certains soulignent que ce sont notamment les Gilets jaunes, jadis méprisés ou ignorés, comptés pour rien ou peu, qui se retrouvent en première ligne. Cette remarque est juste. Cependant, il faut entendre, dans ce contexte, le terme “Gilet jaune” au sens large.
En effet, le terme ne désigne pas ici seulement ceux qui ont manifesté tant de samedis consécutifs, qui ont exprimé une soif d’amitié civique sur les ronds-points, mais il désigne aussi le cœur sociologique du mouvement : cette France profonde et laborieuse qui est la laissée-pour-compte de la mondialisation et dont il est criant qu’elle constitue une ressource inestimable lorsque la mondialisation tousse.
“Cette France laborieuse n’est pas un poids pour la nation, c’est une ressource. Pas seulement une ressource économique en raison de sa grande endurance au travail, mais encore une ressource morale.”
L’élite d’en-bas
Une partie des Français avait pourtant manifesté son incompréhension des Gilets jaunes, y voyant des assistés ou des immatures qui réclamaient toujours plus de subsides publics. Ils se trompaient. Le cœur sociologique du mouvement des Gilets jaunes réclame une reconnaissance, demande à vivre dignement du fruit de son travail et exprime son ras-le-bol des impôts et taxes alors que les services publics désertent peu à peu leurs terroirs. Cette France laborieuse n’est pas un poids pour la nation, c’est une ressource. Pas seulement une ressource économique en raison de sa grande endurance au travail, mais encore une ressource morale. “Vous ne pouvez rien faire sans vous appuyer sur les ressources morales du peuple”, disait l’archevêque Bergoglio aux politiciens argentins, alors que son pays traversait une grave crise.
Un socle moral
C’est une vérité éternelle : oui il faut une élite, mais l’élite seule ne peut rien. Et cette notion d’élite va au-delà des classes dites “dirigeantes”. Il y aussi une “élite d’en bas”, une élite du travail, une élite du courage. Aujourd’hui, en France, se déploie une énergie populaire qui n’attend pas tout de l’État, lequel montre les limites de son omnipotence. Cette énergie populaire constitue un atout, elle est le socle des ressources morales dont notre pays a besoin pour faire face à une crise dont nul ne sait encore l’ampleur qu’elle prendra dans un proche avenir.
Chronique publiée en partenariat avec Radio Espérance, 29 avril 2020.
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