Assise, 1206. Alors que François se rend sur la place du palais épiscopal en ce début d’après-midi de jour de marché, l’évêque d’Assise, Guido Ier, est perdu dans ses pensées. Ce n’est pas la première fois qu’on fait appel à lui pour régler des différends entre père et fils pour des histoires de dettes. Ce n’est pas la jeunesse gâtée et ingrate qui manque à Assise.
Mais lorsque Pietro Bernardone est venu le trouver pour réclamer justice et exiger que son fils lui rembourse l’argent qu’il lui doit, Guido est surpris. Cela fait un moment que le nom François Bernardone fait scandale au sein de la ville. On dit qu’il se promène dans les rues déguisé en mendiant, donne tout son argent aux démunies et embrasse les lépreux. Et voilà que son père le traîne en justice pour vol ? Quelle étrange affaire.
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Une fois arrivé, l’évêque loue place sur le trône qu’on lui apporte. Puis on lui amène Pietro et François, et une foule se forme rapidement autour de lui. Les procès publics ne manquent jamais d’attirer les curieux et les commères. Une fois de plus, Guido s’étonne. François est vêtu d’une vieille tunique miteuse qui ne se présente pas son milieu mais son visage montre une sérénité que l’évêque a rarement vu durant sa vie. Encore moins chez quelqu’un d’aussi jeune. Sans mensonge, sans omission, François répond poliment aux questions qu’on lui pose. Il avoue avoir subtilisé et vendu des tissus ainsi qu’un cheval appartenant à son père.
– Pourquoi commettre un tel acte contre le père qui t’a élevé ? demande Guido.
– Mon père des cieux m’a confié une mission. Je dois réparer l’église de Saint-Damien.
La foule ricane, le traitant de fou. Mais la paix intérieure qui se définit sur le visage de François est criante de vérité. Et l’évêque en est persuadé : il ne ment pas. Guido lève la main pour réclamer le silence.
– Il n’y a pas d’obéissance sans justice, François. Tu dois régler ta dette à ton père.
– J’ai honte de mon impulsivité, répond l’accusé, en baissant les yeux. Vous avez raison, je ne peux servir le Seigneur avec des biens mal acquis.
François s’approche alors de Pietro et lui remet en mains propres la bourse pleine de l’argent de son crime. Il retire ensuite sa tunique, puis ses chaussures et ses bas sous les cruelles railleries de la foule, et les dépose aux pieds de son père.
– Reprends ce qui t’appartiens, Pietro Berdarnone car aujourd’hui, je ne suis plus ton fils mais celui de notre père des cieux. Désormais, je mendierai pour reconstruire Saint-Damien.
La foule rit de plus bel mais François reste impassible. Quant à Pietro, toute trace de colère a disparu de son visage, elle cède place à la stupeur. Laissant tomber la bourse pleine à ses pieds, il saisit son fils par les épaules.
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Avec les yeux d’un père sur le point de perdre son enfant, il le supplie de reprendre ses esprits, lui pardonne tout si seulement il accepte de rentrer… Mais François, le regard toujours aussi doux, le repousse.
– Adieu papa. Ne te soucis plus de moi. C’est le Seigneur qui pourvoira pour moi à présent.
Guido reste figé quelques instant de plus, stupéfait par les paroles et surtout la résolution du jeune homme.
– François, demande alors l’évêque, le Seigneur t’a-t-il confié d’autres missions ?
– Il m’a seulement dit « répare ma maison qui tombe en ruine ».
La foule se fait une raison. C’est un fou. Un fou de Dieu. Ce genre d’être qui avance en pleine confiance dans la lumière de Dieu en endurant toute les épreuves des hommes, et qui finit toujours par toucher les cœurs. Il n’y a plus de doute à avoir. La “maison” qui a été confiée à François, ne se limite sans doute pas à la petite église de Saint-Damien. Mais cela, Guido le garde pour lui.
L’évêque quitte son trône et retire son manteau pour couvrir François. Aussitôt, la foule se tait, sachant qu’il ne s’agit pas d’un acte anodin. En lui donnant son manteau, Guido a revêtu François de la protection de l’Eglise.
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