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Général de Villiers : « Il faut être absorbeur d’inquiétude et diffuseur de confiance »

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JOEL SAGET / AFP

Général Pierre de Villiers.

Agnès Pinard Legry - publié le 02/12/20

Alors que la France fait face à des crises multiples et multiformes, le général Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major des armées, appelle au courage. Il détaille auprès d’Aleteia sa vision de la France. Entretien.

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20% des Français seraient prêts à voter à la présidentielle pour le général Pierre de Villiers selon un sondage Ifop pour Valeurs actuelles mesurant le « potentiel électoral » de l’ancien chef d’état-major publié le 20 novembre. Une proportion éloquente à dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle. Actuellement en pleine promotion de son troisième livre en trois ans, L’équilibre est un courage, l’ancien chef d’état-major des armées possède cette capacité à rassembler. Une capacité qu’il tire probablement de sa longue expérience militaire, des convictions qu’il défend et des vertus qu’il prône. Le courage par exemple. Celui qui permet de se tenir droit dans sa vie mais aussi de développer une vision pour une équipe, une entreprise, un pays. « Le courage est une qualité essentielle pour un dirigeant », assure-t-il à Aleteia. « Celui de décider, de trancher, de dire la vérité, à soi-même, à ses chefs et à ses équipes ».

Aleteia : « Halte au feu ». C’est par ces mots, un ordre bien connu des militaires, que vous débutez votre nouvel ouvrage. En quoi s’applique-t-il à la France ? 
Général Pierre de Villiers : « Halte au feu » dans l’armée est un commandement sacré qui requiert l’obéissance individuelle immédiate, car un événement, une situation collective l’exige. Il est donné lorsque, par exemple, il y a un risque de tirs fratricides en opération entre deux unités alliées. La manœuvre globale peut aussi devoir être urgemment modifiée, parce qu’elle ne produit pas l’effet escompté ou tout simplement parce que l’échelon supérieur le commande. Quand on entend ce commandement, tout s’arrête. La situation change et les dispositions ad hoc sont prises. Une nouvelle phase s’en suivra forcément et la patience du soldat fera le reste. Le silence revient instantanément et ne subsistent que l’odeur de la poudre et les fumées. C’est un commandement d’urgence qui nécessite une exécution immédiate. Je pense que c’est le moment de dire « Halte au feu » aux Françaises et aux Français. Il y a urgence à se réconcilier, à se mettre autour de la table, voir ce qui nous réunit, ce qu’est la France, pourquoi vit-on ensemble dans ce beau pays. Il n’y a pas une minute à perdre pour entreprendre cette démarche ! Et il faut la faire dans la vérité. Quand on dit « Halte au feu » la poudre s’arrête, c’est le silence. Ensuite le chef réfléchit, prépare et ordonne. Nous devons aujourd’hui trouver cet ordre, cette direction, cette vision avec en son cœur cette phrase, que je trouve essentielle et qui devrait peut-être être écrite en lettres d’or dans nos écoles de formation : « La vraie richesse est chez les autres ».

Qu’est-ce que vous a décidé à publier L’équilibre est un courage ?
Le déclic, je l’ai eu lors d’une séance de dédicaces après une conférence devant 1.500 personnes au Mans, à l’abbaye de l’Epau. Il y avait un monde fou et je me souviens d’une dame venant me voir, les larmes aux yeux, pour me faire part de son angoisse concernant une manifestation de Gilets jaunes à laquelle son mari voulait participer, avec en face son fils qui était réquisitionné avec sa compagnie de CRS. Elle avait peur que les deux ne s’affrontent. J’ai réalisé que c’était là le début d’un potentiel combat physique au sein d’une même famille et il m’est apparu urgent de réfléchir tant qu’il était encore temps à la façon dont on pourrait réconcilier les Françaises et les Français.


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Plus globalement, les conférences et séances de dédicace qui ont suivi la sortie de mes deux premiers livres m’ont permis d’être en contact direct, les yeux dans les yeux, avec des milliers de Français. Au fil des rencontres, j’ai vu une multiplicité de fractures apparaître de plus en plus fortement dans notre pays. Une fracture territoriale avec les Gilets jaunes, une fracture sociale avec le projet de réforme des retraites, une fracture économique, une fracture politique, on le voit avec cette crise de confiance et de l’autorité entre ceux qui décident et ceux qui exécutent, ainsi qu’une crise géostratégique mondiale avec le terrorisme islamiste. Dans ce contexte d’instabilité, je me suis dit que j’avais quelque chose à écrire de plus.

Le courage… C’est une valeur que l’on prête plus volontiers à des militaires qu’aux hommes politiques. Pourquoi ?
Il y a plusieurs types de courageDans l’armée, le premier courage auquel on pense est le courage physique, celui d’aller jusqu’au sacrifice suprême si nécessaire, celui de sa vie, face à un ennemi déterminé. On le voit en opérations aujourd’hui. Mais le courage le plus communément pratiqué, par tout homme, par toute femme, est le courage de se surpasser, de se maîtriser, de prendre des décisions. Je disais souvent lors de ma carrière militaire : « Chacun décide de son propre chef », on est chef de son propre destin, chacun mène sa vie et prend ses décisions.

Il faut avoir le courage d’affronter ces difficultés, non pas par une forme de fatalité ou d’esprit de mode, de courtisanerie, mais par l’équilibre.

Dans les qualités d’un chef, il y a le courage. Malheureusement dans la formation de nos dirigeants, elle ne fait pas partie de celles qui apparaissent en premier et parfois même elle n’apparaît pas du tout, ou si peu. Or le courage est une qualité essentielle. Le courage de décider, de trancher et de dire la vérité, à soi-même, à ses chefs et à ses équipes. J’aime beaucoup cette phrase qui est le titre d’un livre de Jean Veil et de Patrick Wajsman : « Ceux qui n’ont pas de courage ne savent pas ce qu’ils perdent ». Nous nous trouvons dans une période difficile, anxiogène, où il y a une forme de dépression collective et il faut avoir le courage d’affronter ces difficultés, non pas par une forme de fatalité ou d’esprit de mode, de courtisanerie, mais par l’équilibre. Les Français attendent de l’équilibre, un équilibre entre la fermeté et l’humanité. L’équilibre ce n’est pas de la mollesse, du non choix, ce n’est pas du centrisme au sens péjoratif du terme. C’est placer les Français au centre des préoccupations, les considérer avec humanité et respect et prendre des décisions qui élèvent.

C’est une notion qu’il peut sembler paradoxal d’associer au terme d’équilibre.. ?
Notre monde manque d’équilibre. Les déséquilibres actuels de notre société appellent des dirigeants équilibrés. Aujourd’hui on dit « c’est un homme équilibré » avec une once de dédain. En fait non, c’est tout l’inverse, l’équilibre est un courage et un effort de tous les instants. La société qui aura ce courage est la société qui aura de l’avenir. Albert Camus avait raison.

Vous évoquez dans votre ouvrage trois France. Quelles sont-elles ?
Je décris essentiellement trois France : la France rurale, la France urbaine et la France des cités. On ne vit pas de la même manière au quotidien quand on est au centre d’une grande ville comme Paris, quand on est au fin fond d’un territoire rural ou quand on est dans une cité comme Les Mureaux. On ne vit pas de la même manière, on n’a pas les mêmes problèmes d’emploi, de sécurité, on n’a pas les mêmes facilités de transport… C’est intéressant et important de l’avoir en tête. Il faut en urgence retrouver les valeurs communes qui nous unissent, qui constituent la Nation et qui font que nous sommes une communauté d’hommes et de femmes qui acceptent de vivre ensemble sur ces valeurs et sur notre sol, c’est-à-dire la patrie, cet héritage qui nous est donné, la terre des pères, et que nous faisons fructifier pour la transmettre à nos enfants. Ce qui me soucie dans cette fracture territoriale qui a été mise au grand jour avec les Gilets jaunes, est qu’il y a un point commun qui unit ces trois France : aucune d’elles n’accède au vrai bonheur. Pire encore, la pauvreté s’y développe.


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Comment les réconcilier ?
Il faut sortir de cette logique de dépression collective, d’échec et de fracture et avoir une approche stratégique qui allume la lumière au bout du tunnel ! Nous nous trouvons aujourd’hui dans une approche tactique, événementielle, instantanée, de l’émotion et de l’inquiétude. Mon livre a pour but de montrer que la France en a vu d’autres et qu’il y a des solutions. La France est un chapelet de pépites extraordinaires qui ne demandent qu’à s’épanouir ! Encore faut-il retrouver ces corps intermédiaires qui responsabilisent les gens, et ensuite remettre en place cette réconciliation, cette unité et cette fierté nationale. Il y a trop de personnes qui font des constats et s’arrêtent là, ce qui accentue encore la dépression. Je propose une approche active, qui tire vers le haut et qui s’inscrive dans le long terme.

Quelle serait la priorité ?
Tout commence par l’éducation. Il faut retrouver ce trilogue entre parents, enfants et professeurs. Nous devons retisser le projet national, placer au-dessus de tout l’amour de la France par sa jeunesse et refonder le creuset national pour que ces trois France aient un sentiment d’appartenance commune. Cela passe par des fondamentaux d’éducation qui tirent vers le beau, le vrai et le bien avec des méthodes pédagogiques qui ont fait leurs preuves comme l’autorité, le cadre, l’amour, la capacité de vivre en commun, le sens du collectif et le respect. Le respect de la personne ! L’écologie humaine doit s’acquérir à travers l’éducation.

Comment orienter la jeunesse vers le bien commun ?
Quand on est jeune, on a soif d’idéal. Or aujourd’hui notre jeunesse est assommée très tôt par les difficultés de notre société. Pourquoi l’institution militaire arrive-t-telle encore à recruter 25.000 jeunes par an ? Parce qu’elle ne propose pas un simple métier, savoir-faire technique ou une expertise, mais parce qu’elle propose un idéal, un engagement pour quelque chose qui nous dépasse, le service de la France, de valeurs, de la paix, des autres. On y apprend que la vraie richesse est chez les autres, que rien ne vaut plus que le collectif. Je crois que c’est ce qu’il faut retrouver, ce sens du collectif, cette réconciliation, cette unité qui est source de vrai bonheur.

Il n’y a pas de résilience sans vision.

Comment sortir grandis des crises que nous traversons ?
Par la résilience. Prenons le contexte actuel : nous sommes en crise sécuritaire avec les attentats, en crise sanitaire avec la pandémie de Covid-19, en crise économique avec le chômage et la mondialisation dont on voit bien les limites, en crise sociale, en crise géostratégique… Cette multiplicité de crises s’abat sur notre continent l’Europe et sur notre territoire. Mais les nations, comme les civilisations, sont mortelles. C’est là que la résilience entre en jeu. Il s’agit de la capacité d’un peuple, grâce à la multiplicité des talents individuels et le sens du collectif, du bien commun, à surmonter ces crises et à en faire des opportunités d’en sortir plus fort. Le défi qui est devant nous aujourd’hui même, à l’heure où vous m’interrogez, c’est cela ! Et pour le faire, il faut une vision. Il n’y a pas de résilience sans vision. Vous ne pouvez pas appeler des gens à se surpasser si vous n’avez pas une vision, une vision avec un point loin dans l’espace et dans le temps. C’est ce que le général de Gaulle appelait une certaine idée de la France.

Vous écrivez « On peut tout faire aujourd’hui et à tout moment. Le silence nous échappe et la suractivité nous guette. Il serait bon de revenir à l’ordre naturel, pour redonner de la densité à notre vie ». Comment y arriver ? 
Pour avoir une vision il faut avoir du temps et la force du silence. Malheureusement, nos dirigeants, que ce soit en entreprise ou en politique, sont vibrionnants. Leurs agendas explosent ! Vous savez qu’elle était ma principale difficulté quand j’étais chef d’état-major ? La gestion de l’agenda, faire rentrer les tâches à accomplir dans la valise du temps. Ce n’est qu’en prenant ce temps de la réflexion, cette hauteur de vue, que l’on pourra développer une vision cohérente et de long terme. J’insiste sur le temps long car c’est ce qui manque le plus aujourd’hui. Nous nous perdons dans la gestion des affaires courantes, des crises. Mais pour sortir d’une crise il faut voir loin. Quel est l’effet final recherché ? J’avais souvent cette conversation au sommet de l’État à propos d’une action militaire : quelle paix derrière ? Comment instaurer une gouvernance derrière pour le bien-être de la population ? Et bien c’est ça la question. Quel ordre naturel veut-on ?

Le fait de nier une certaine transcendance de l’homme a-t-il contribué à fracturer la société ? 
Oui, cela explique une partie des fractures de la société. L’une des raisons très profonde du terrorisme islamiste qui se développe dans le monde, c’est que cette idéologie donne à certains des raisons d’espérer, cette soif d’engagement qu’une partie de notre jeunesse cherche à épancher. Nos sociétés matérialistes qui font uniquement confiance au progrès scientifique et matériel et oublient la dimension spirituelle courent ce danger de ne pas nourrir suffisamment les personnes qui la composent.

La France est un pays génial, qui l’ignore parfois.

De quoi ont-elles besoin ?
Tout homme porte en lui quatre dimensions. La première est la dimension physique et nécessite un équilibre qui passe par la pratique du sport, le souci de sa santé, ce que l’on appelle communément l’hygiène de vie. La deuxième est intellectuelle, c’est-à-dire le développement de l’intelligence et la culture générale, ce qui reste quand on a tout oublié. Vient ensuite la dimension affective, le cœur, les tripes, la passion, c’est comme cela qu’on entraîne les gens vers de grandes choses. Et puis il y a la dimension transcendantale : la foi pour ceux qui croient en une religion et la capacité à se retrouver seul face à soi-même dans le silence pour les autres. Cette dimension transcendantale doit être développée au même titre que les trois autres. Aujourd’hui j’ai le sentiment, dans cette période de lutte contre le virus, qu’on développe beaucoup l’aspect hygiénique et qu’on néglige un peu l’aspect affectif et spirituel.

Quels sont vos motifs d’espérance ?
Il y en a plein ! À travers mes déplacements, je rencontre des gens très différents. Il y a une diversité géographique, sociale, de conviction, de caractère mais aussi une diversité de talents, et quels talents ! La France est un pays génial, qui l’ignore parfois. Elle est un grand pays avec une histoire, une langue, une culture. Elle est admirée à l’étranger, elle est respectée dans le monde entier. Mais on l’oublie dans une sorte de dépression collective et de repentance à la mode, en particulier à Paris. Je trouve que la France est un motif d’espérance, que les Françaises et les Français le sont aussi. Et puis regardez, dans la période que nous vivons, de nombreux jeunes s’engagent et se dévouent pour aider les plus anciens ! Il y a plein de belles choses. Simplement on insiste trop souvent,  sur ce qui ne va pas, sur les difficultés, sur tout ce qui peut assombrir. Vous savez, pour sortir des crises, pour gagner la guerre, il faut être absorbeur d’inquiétude et diffuseur de confiance… c’est important. Il ne faut pas être anxiogène, ne pas trop gesticuler, s’agiter, ne pas trop parler. Il faut amener de la stabilité, de l’équilibre, de la confiance, de l’espérance. Et puis, pour les chrétiens, l’espérance est l’une des vertus théologales. Elle est essentielle pour avancer.

couverture du livre l'équilibre est un courage
Fayard

L’équilibre est un courage, par Pierre de Villiers, Fayard, octobre 2020, 22,5 euros.

Tags:
Politique
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