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Pour unir les hommes, choisissons les mots justes

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Manuel Cohen / Aurimages

Jean-François Thomas, sj - publié le 01/01/21

Si les mots perdent leur valeur et leur significations propres, toute discussion devient un dialogue de sourds. En respectant les mots, nous respectons les hommes.

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Dans les temps confus, il arrive très souvent que les mots employés ne soient pas conformes à la pensée, qu’ils dépassent les bornes, qu’ils échappent à leurs auteurs et provoquent ainsi des catastrophes. La maîtrise de la parole fait beaucoup dans la résolution des crises. Chacun peut le constater à son petit niveau dans la sphère familiale. Ne pas savoir ou ne pas vouloir utiliser les mots justes conduit à des confrontations, à des cassures, à des mésententes. À plus forte raison, considérant le domaine social, politique et religieux, il est nécessaire de réfléchir avant de parler et de ne parler que lorsque la pensée, elle-même éclaircie, peut être exprimée avec équilibre et vérité. Dans un monde qui a la prétention de la communication maximale, la déconvenue est grande de constater que les paroles ne sont pas maîtrisées la plupart du temps et que chacun parle un langage différent, subjectif. La punition de l’aventure de la Tour de Babel n’a jamais été plus visible qu’aujourd’hui.

La grande falsification

Face à ce chaos, entretenu par l’homme, se dresse la Parole incarnée : In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum – « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et Dieu était le Verbe », nous répète le Prologue de l’Évangile selon saint Jean. Chaque mot est à sa place dans les Saintes Écritures. Dans l’enseignement de Notre Seigneur, aucun iota n’est à enlever. La parole uniquement et trop humaine, celle qui ne se soucie pas des détails, a causé et cause des catastrophes. Elle déclenche des guerres et, dans le domaine religieux, elle est souvent à l’origine d’hérésies et de schismes. Pensons par exemple à la querelle tragique du Filioque. Tous les grands conciles christologiques des premiers siècles s’appliquèrent à éviter la confusion et à repousser l’erreur en maniant les mots avec précaution, sagesse et prudence.


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Hilaire Belloc, dans son célèbre ouvrage Les Grandes Hérésies, proposait cette juste définition (en usant justement de mots adaptés et pesés) : « Une hérésie est une entreprise de déconstruction d’un corps de doctrine unifié et homogène par la négation d’un élément inséparable de l’ensemble. » Cet élément arraché au tout peut être simplement un mot, remplacé par un autre mot qui fait alors basculer tout l’édifice. Plus ce processus se reproduit et se multiplie, plus fleurissent les erreurs voulues ou involontaires.

Il est intéressant de voir à quel point le langage contemporain, en s’appauvrissant, a ouvert la porte à une compréhension de plus en plus floue de ce qui dit l’autre.

Il est intéressant de voir à quel point le langage contemporain, en s’appauvrissant, a ouvert la porte à une compréhension de plus en plus floue de ce qui dit l’autre. Nous-mêmes, nous avons du mal à clarifier nos pensées, à les exprimer par des mots à l’oral et à l’écrit. À force de peiner dans cette expression, ce sont nos pensées qui se tarissent à leur tour et il est alors tentant, car plus facile, d’épouser les idées qui traînent, celles qui sont de mauvaise qualité, celles qui ne remuent point l’être jusqu’à lui donner le désir de s’étonner, de contempler. Alors s’instaure le règne de ce que le jésuite argentin Leonardo Castellani nommait « la Grande Falsification ».

Le Malin veut toujours nous faire prendre des vessies pour des lanternes et il sait qu’un des moyens efficaces pour y parvenir est de semer la confusion dans les mots, de les vider de leur sens propre, de les réduire à une portion congrue, de les appauvrir, de les dessécher. Lorsque les mots deviennent élastiques, que leur substance s’étiole, la pensée et la foi suivent un chemin identique. Les mots de la liturgie et des dogmes ne souffrent pas de changement, d’improvisation. Ils doivent être fixés afin de devenir des repères. Si la parole des hommes politiques et des gouvernants possède aujourd’hui si peu de poids et d’autorité, la raison en est que tous savent qu’elle est malléable, sujette à des interprétations contradictoires et que ce qui est affirmé de façon doctrinaire en ce jour sera peut-être renié ou condamné le lendemain.

Dialogues de sourds

Blesser les mots et la parole, les manipuler pour son propre intérêt, entretenir l’ambiguïté par le flou ou une langue de bois endort l’intelligence et saigne à blanc la foi. Si les mots perdent leur valeur et leur significations propres, tout devient semblable et relatif. Aucun énoncé solide n’est alors possible et tout part à la dérive. Érick Audouard écrit dans Comprendre l’Apocalypse :

Et ce n’est pas un hasard que la possibilité même de penser soit menacée, puisque penser c’est établir des distinctions, c’est discerner et discriminer, au risque d’offenser ceux qui ne pensent pas, ou qui, de penser, ne souhaitent plus désormais prendre le temps ni la peine.

En écoutant les éternels « débats », sur toutes les questions imaginables, là où les opinions s’étalent, nous remarquons bien que la puissance des mots n’a plus de prise sur une manière de procéder qui évacue tout sens fixé et objectif. D’où des dialogues de sourds où, d’ailleurs, personne n’écoute les autres s’exprimer. Chacun veut écraser ses interlocuteurs, non point par la rationalité de sa démarche mais par son adresse à faire mentir les mots. Il faudrait au contraire que chaque mot employé fasse pleurer les pierres, pour reprendre une image de Georges Bernanos. Bien loin d’avoir désormais ce pouvoir, les mots pourrissent trop souvent sur pied et transmettent leur décomposition à ce qu’ils touchent. La parole est un don de Dieu galvaudé. Mieux vaudrait faire silence plutôt que de s’avancer en ordre dispersé et comme un malotru dans les plates-bandes des mots.

Avec les mots, aussi étrange que cela paraisse, le salut de l’âme est en jeu.

Avec les mots, aussi étrange que cela paraisse, le salut de l’âme est en jeu. Dans les sacrements, les mots prononcés par celui qui est validement ordonné pour les distribuer accomplissent réellement ce qu’ils recouvrent par les sons et les signes écrits. Même en dehors de ces circonstances particulières, nos paroles ne sont pas neutres. Nous savons à quel point nos mots peuvent honorer ou au contraire abîmer une personne. Des mots peuvent tuer, non point symboliquement mais physiquement, lorsqu’ils attentent à la réputation d’un homme jusqu’à le pousser au désespoir le plus noir.

La bataille des mots

Peser soigneusement ce que nous devons ou voulons dire, tourner sa langue plusieurs fois dans sa bouche comme le conseille l’adage populaire, permet de respecter les mots. Charles Baudelaire conseillait dans sa Critique littéraire : « Toute phrase doit être en soi un monument bien coordonné, l’ensemble de tous ces monuments formant la ville qui est le Livre. » Ce qui est vrai de l’écrit l’est aussi de l’oral. L’orateur ou l’écrivain devraient utiliser leur propre sang pour composer leurs dires. Léon Bloy, qui était l’un de ces serviteurs du verbe, notait dans son Journal : « Il faudrait pouvoir écrire des cris, noter comme de la musique les clameurs de l’âme ! » Les mots servent de nos jours trop souvent à l’exhibitionnisme de leurs auteurs qui profitent de ce moyen pour étaler leur impudeur ou le vide de leur âme. Ils s’inscrivent certes dans notre chair, non point pour révéler ce qui est de plus bas en nous mais au contraire pour exalter ce qui ne nous appartient pas et qui nous est inspiré par un ange.


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En un temps où la bataille des mots ressemble plus au piétinement des éléphants qu’à une armée au sein d’un exercice ordonné, où la cacophonie ambiante nous pousse à prendre pour argent comptant les dernières vociférations, il est bon de se poser, de fermer les écoutilles lorsque la rumeur l’emporte sur la vérité. La Très Sainte Vierge fut femme de peu de mots et Elle le demeure. En revanche Elle conserva dans son cœur les mots de prix comme autant de perles précieuses. Elle porta en son sein le Verbe pur. Qu’Elle nous aide, en cette nouvelle année de grâce donnée par le Seigneur, à chérir les mots et à préserver la parole de toutes les scories et les perversions du monde.

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Société
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