Le deuil masculin n’est pas le même que le deuil féminin. “Réhabiliter celui du père est essentiel pour que l’épreuve de la fausse couche vécue à deux permette au couple de se renforcer, s’épauler et s’appuyer mutuellement pour accueillir la nouvelle grossesse”, souligne Corinne Charoy, psychologue clinicienne et psychothérapeute. Pourtant, beaucoup de pères s’effacent devant la douleur de la mère. Comme s’ils n’avaient pas le droit de reconnaître ouvertement qu’eux aussi sont touchés par l’épreuve.
L'impuissance indicible
“Nous avons perdu notre bébé il y a un an”, raconte Antoine, 37 ans. La fausse couche a eu lieu à 4 mois et demie de grossesse. C’était notre premier bébé. Laure, ma femme, était dévastée, et moi, je me sentais cruellement impuissant. Mon rôle n’était-il pas de la protéger ?… J’étais pris d’une immense tristesse pour nous, mais aussi d’un chagrin d’amour pour notre enfant”, confie-t-il à Aleteia. Comme Antoine, Etienne, 42 ans, père de deux enfants, connaît très bien ce sentiment d’impuissance. Il se souviendra toujours de ce jour où sa femme pleurait dans la salle de bain alors que lui attendait impuissant devant sa porte. C’était à deux mois de grossesse. “Claire souffrait terriblement, et je ne pouvais rien faire pour l’aider. C’était la chose la plus difficile : voir son cœur se briser et ne rien pouvoir faire pour l’empêcher”, reconnaît-il.
Quant à Louis, 32 ans, père d’un petit garçon d’un an, après deux fausses couches de sa femme Catherine, il se rappelle de chaque détail de cette nuit glaciale en plein mois de janvier : “Nous nous sommes retrouvés aux urgences gynécologiques sans croire à ce qui nous arrivait. Cela nous paraissait inimaginable, inenvisageable… Le pire pour moi, c’était ce sentiment fataliste d’être impuissant : il n’y avait pas de solution, pas de réponse, pas d’espoir… Comme face à une maladie incurable. Cette nuit-là, on a pleuré, on a souffert, mais on s’est promis d’être parents” confie-t-il encore ému.
Corinne Charoy reconnaît qu’avec la perte de l’enfant à naître, les hommes se mettent souvent dans le sillon de la peine de leurs femmes. “Si le deuil masculin n’est pas le même que le deuil féminin, le chagrin de l’homme peut entraîner une profonde souffrance : l’homme peut être atteint dans son projet de vie et même dans son identité d’homme en pensant que la fausse couche s’est produite à cause de sa propre défaillance”, explique la psychologue.
La douleur silencieuse
Dans un monde qui ne laisse déjà pas beaucoup de place pour le deuil de la mère en cas de fausse couche, celui du père est souvent caché, étouffé et silencieux. “En fait, la seule personne qui a compris ma douleur était… ma femme”, confie encore Antoine. “Les conversations des proches, mais aussi des médecins tournaient autour de son deuil à elle. Mais, moi aussi, j’ai perdu mon enfant”, insiste-t-il. « Avec l’imagerie en 3D, j’avais bien vu sa tête, il était si présent déjà dans mes pensées, mes prières, mes rêves », poursuit-il.
C’était aussi le cas pour Etienne : « Des amis qui étaient au courant de la fausse couche ont soutenu merveilleusement Claire et je leur étais très reconnaissant. Quant à moi, j’avais l’impression que personne ne voyait vraiment mon chagrin. De toute manière, la dernière chose que je voulais faire dans cette situation, c’était de me mettre en avant et de dire : Et moi dans tout cela ? », raconte-t-il. Etienne restera silencieux en comprenant finalement que l’entourage a parfois du mal à imaginer qu’un homme puisse être autant impliqué dans la vie d’un enfant à naître. Comme le remarque Corinne Charoy “Etienne encaisse et il se tait, mais j’ai envie de lui dire comme à tous les hommes : vous êtes deux à concevoir, vous êtes deux à porter le deuil. Vous êtes deux à avoir le droit d’exprimer votre chagrin” ! Quand la femme occupe entièrement le terrain de la souffrance, le bébé décédé ne peut pas retrouver sa place ni dans le couple, ni dans la fratrie, ni dans famille, le deuil sera beaucoup plus difficile, voire parfois impossible”, insiste la psychologue.
Le regard de l'autre qui cicatrise
C’est le regard de l’autre qui enclenche le travail de cicatrisation. Louis avait cette intuition. Il se rappelle très bien de ce voyage en urgence de la station de ski pour rejoindre Catherine à l’hôpital : “Mon ami, qui me conduisait, savait ce qui se passait, mais il ne s’y est pas intéressé. Il continuait de parler de ses vacances au Brésil qu’il enchaînait juste après notre week-end de ski… Même si c’était décevant pour moi, je comprends qu’il est difficile d’imaginer la douleur si on ne l’a pas vécue soi-même… Alors, oui, je ne me suis pas senti soutenu par lui, mais d’autres amis avaient des mots et des gestes très réconfortants. Mais ce qui était le plus important, c’est Catherine et moi, notre couple. Etre présent l’un pour l’autre était essentiel pour moi”, résume-t-il.
La place du père à restaurer
“Il faut permettre aux hommes de faire le deuil de la fausse couche sans leur donner l’impression d’être égoïstes. La place du père est fondamentale dans le deuil de l’enfant”, souligne Corinne Charoy. “Je pense qu’aujourd’hui, les femmes n’ont pas assez conscience qu’il faut replacer le bébé mort dans le couple, entre la mère et le père. C’est important pour la fratrie, pour le couple et finalement pour toute la famille. Il est donc essentiel de restaurer la réalité du deuil du père dans ce triangle : père, mère, enfant”, poursuit la psychologue. Selon elle, manifester toute sa fragilité et dire son effondrement est légitime : “Oser dire la vérité est le début du deuil en couple. Et la vraie force du couple est dans cette vérité des émotions. Ce n’est pas pour rien que le pape François a décidé de déclarer 2021 l’année saint Joseph, car il est temps de restaurer la place du père, de lui redonner toute sa place et être dans la vérité. Là, est la vraie force », conclut-elle.
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