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Après la Commune, la mémoire et le pardon

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Leemage via AFP

La Commune de Paris en 1871. Perquisition par les communards d'une maison occupée par des religieuses (Petites sœurs des pauvres), située rue de Sèvres. Les fédérés, après avoir découvert l'argent de la communauté des religieuses, remirent l'argent dans la boite et le rendirent a la mère supérieure, parce que cet argent était destine aux pauvres.

Anne Bernet - publié le 30/05/21 - mis à jour le 21/04/23

Victime des massacres de la Commune, le clergé parisien fera pourtant tout son possible pour sauver les communards de la répression des Versaillais. Puis vient le temps du souvenir et du pardon.

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En ces derniers jours de mai, la reprise de Paris par les troupes versaillaises et la fin de la Commune sont une affaire d’heures. Beaucoup, parmi les fédérés les plus compromis, les plus idéalistes, vont crânement se faire tuer sur les barricades, fidèles jusqu’au bout à leur combat. C’est le cas du préfet de Paris communard, Raoul Rigault, l’un des responsables des massacres d’otages, qui sait pertinemment n’avoir rien à espérer des vainqueurs. 

Quelques curés de plus

En attendant, et parce que, perdu pour perdu, certains veulent faire un maximum de dégâts, on incendie la capitale, et l’on se fait quelques curés de plus. Tandis que les Tuileries, l’hôtel d’Orsay, la Cour des Comptes partent en fumée, crime contre le patrimoine que certains attribuent à d’anciens collaborateurs du régime impérial, désireux de faire disparaître des documents compromettants pour le défunt pouvoir, l’on s’en prend aussi aux édifices religieux mais bien moins qu’on pouvait le craindre.

Hormis la chapelle des Tuileries, détruite dans l’incendie du palais, seule Notre-Dame de Bercy flambe. Sans doute a-t-on bien allumé, ici et là, des départs de feu, mais, à l’instar des dispositifs placés dans le chœur et l’entrée de Notre-Dame de Paris, ils se sont éteints sans provoquer de dégâts.

Le 27 mai, pour le plaisir de tuer, les Communards passent encore par les armes l’archidiacre de la cathédrale, Mgr Surat, le curé de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, l’abbé Bécourt, et un prêtre des Missions étrangères de Paris, le père Jean-Baptiste Houillon, qui trouve en France le martyre qu’il n’avait pas obtenu en Chine. Ces exécutions seront les dernières. Quelques heures plus tard, les gouvernementaux reprennent le contrôle de la capitale et les victimes changent de camp… 

Les victimes changent de camp

Le général de Gallifet, qui a reçu de Thiers l’ordre d’être impitoyable, et gagnera dans l’affaire le surnom, trop mérité, de « fusilleur », ne fait pas de quartiers. On ne saura jamais combien de fédérés sont sommairement abattus par la troupe. Entre 17.000 et 30.000, chiffre effarant qui s’explique par la grande peur de la bourgeoisie et que les massacres d’otages aident à faire passer auprès d’une opinion publique en état de choc.

Dans quelques mois, lorsque les communards détenus auront droit à des procès normaux, les condamnations à mort seront peu nombreuses et frapperont des hommes dont la culpabilité ne fait aucun doute, entre autres les responsables des massacres de La Roquette et de la rue Haxo. Les autres sont déportés vers la Nouvelle Calédonie, ou condamnés à des peines de prison. L’amnistie de 1880 les libérera. Mais, pour l’heure, on tue tout homme, ou tout gamin, que ses mains calleuses, sa blouse d’ouvrier, une odeur de poudre, désignent comme un éventuel insurgé…

L’Église intervient

Il ne faut pas longtemps à l’Église pour réagir. S’il est impossible, dans le contexte, d’intercéder pour ces malheureux, et les filles de la Charité, à Reuilly, qui recueillent des fédérés blessés, s’y essaient en vain, quelques prêtres réussissent malgré tout à soustraire des communards aux vainqueurs, en leur prêtant une soutane et les aidant à quitter la capitale. Faute de sauver la vie de ces malheureux, prêtres, religieux, religieuses s’emploient au moins à sauver leurs âmes.

À Reuilly, sur le conseil de Catherine Labouré, alors que les Versaillais doivent venir le lendemain chercher les blessés, sans illusion sur le sort qui les attend, l’on place des médailles miraculeuses à leur chevet. Tous les acceptent et s’en iront sous la protection de la Sainte Vierge. Nombreux aussi sont les prêtres qui se proposent spontanément pour accompagner les condamnés à mort et tenter, souvent avec succès, de les réconcilier avec Dieu.

Un sauvetage inespéré

Mais c’est Notre-Dame qui opère le sauvetage le plus inespéré de cette histoire. Tous les témoins des événements de La Roquette et de la rue Haxo ont mis en avant le rôle tenu par une femme habillée en homme qui se faisait appeler « capitaine Pigère ». Au soir du 26 mai, elle se targuait d’avoir tué treize prêtres de sa propre main, dont Mgr Darboy.

C’est elle, incontestablement, qui s’est acharnée sur le vieux père Tuffier de Picpus et le petit abbé Seigneret, le séminariste qui avait voulu l’aider dans leur marche à la mort, sur les pères de Bengy et Olivaint, devenu, à La Roquette, sa bête noire en raison de la compassion qu’il lui témoignait. Elle encore qui a tué le père Planchat. Le journaliste Maxime du Camp la décrit, reprenant les récits des témoins, comme « possédée ». Le mot est exact.

Arrêtée, la capitaine Pigère reconnaît se nommer en réalité Louise-Félicité Gimet. Elle est née en 1835 dans une bonne famille catholique de la région lyonnaise. Elle a, jeune, perdu la foi et, acquise aux idées socialisantes, initiée à la franc-maçonnerie, s’est mise à haïr le catholicisme et l’Église comme les principaux obstacles à la révolution, l’espoir du Ciel détournant l’humanité de la lutte pour l’avènement du paradis prolétaire sur terre. Cette exécration de la religion l’a conduite au satanisme et à passer un pacte écrit avec le diable.

Pourtant, du fond de l’abîme où elle s’enfonce, Félicie conserve, intacte, sa dévotion mariale d’enfant…  Par quel paradoxe adore-t-elle le démon en même temps qu’elle vénère Celle qui doit lui écraser la tête ? C’est le secret de Notre-Dame qui n’abandonne pas sa brebis perdue. Le curé d’Ars l’a annoncé à la jeune femme venue le voir par provocation : elle fera beaucoup de mal mais la Sainte Vierge ne permettra pas qu’elle se perde ; à la fin, elle se convertira. 

Elle échappe à la mort et se convertit

Durant la Semaine Sanglante, elle a, en effet, fait beaucoup de mal, bien plus qu’elle ne l’avait jamais imaginé. « J’ai tué treize prêtres. » Quelques semaines plus tôt, dans le feu des combats, cette affirmation l’emplissait d’une joie mauvaise et elle se vantait de ses crimes. Détenue, certaine d’être condamnée à mort, elle n’en est plus si fière… Dans l’établissement carcéral tenu par des religieuses, la supérieure, Sœur Marie Éléonore, se rend compte de ce revirement. Loin de lui inspirer de l’horreur, la « fille Gimet » l’emplit de pitié.

Face à sa compassion, Félicie se livre, raconte ces jours de folie, son acharnement contre les prêtres prisonniers, et surtout ce jésuite dont elle n’a pas oublié le nom, le père Olivaint, qu’elle persécutait haineusement, alors même qu’il l’attirait et qu’elle éprouvait sans l’avouer une sorte de joie à être auprès de lui et à l’écouter… Elle se souvient de ce qu’il lui a dit, alors qu’elle le moquait de croire au Ciel : « Je reviendrai m’occuper de vous. » Elle l’a haï pour cette promesse ; maintenant, elle voudrait tellement que ce soit vrai ! 

Un jour, sœur Marie Éléonore revient avec un livre : les sermons du père Olivaint. Félicie les lit, en sort bouleversée. Elle se jure, si elle échappe à la peine capitale, de changer de vie et d’essayer de racheter ses crimes, remet à un prêtre le pacte qu’elle a signé avec le diable et conserve sur elle. La capitaine Pigère n’est pas condamnée à mort. Elle sort de prison en 1880, y retourne volontairement, afin de travailler au service des détenues. En 1890, la tueuse de prêtres prend le voile sous le nom de sœur Marie-Éléonore, en hommage à son amie. Elle sera une religieuse exemplaire, en dépit d’incessantes attaques démoniaques qui glaceront de terreur son couvent. Elle meurt à Montpellier le 23 septembre 1893, après des semaines de souffrances, affirmant sa confiance absolue en la miséricorde divine. Comme quoi il ne faut désespérer de personne.

Immolés en haine de la foi 

En cette fin mai 1871, tandis que tombent les derniers réduits de la Commune et que l’on prend la mesure des massacres d’otages, l’heure est aux commémorations et aux cérémonies expiatoires. Dès que cela s’avère possible, des proches, des amis, des confrères sont allés reconnaître les sépultures des martyrs. Rue Haxo, l’on relève dans un grand concours de voisins désolés, les corps des suppliciés, jetés pêle-mêle dans une espèce de fosse d’aisance.

L’un des premiers identifiés, au milieu des sanglots de ses apprentis de Charonne, est le cadavre du père Planchat, le crâne éclaté, le corps percé de huit balles. L’état des autres est pire. C’est par dizaines que les légistes dénombrent les impacts de balles et les entailles d’armes blanches sur les suppliciés, pas moins de 47 coups de baïonnette sur la dépouille du père de Bengy. L’on s’est sauvagement acharné, post mortem, sur les victimes, piétinées, défigurées. L’horreur absolue… Dans un premier temps, les corps sont transportés au cimetière de Belleville, où certains reposent encore. 

Avec une hypocrisie tranquille, Thiers, qui a sciemment laissé perpétrer son assassinat, tient à donner à Mgr Darboy des obsèques nationales. La dépouille mortelle de l’archevêque de Paris est solennellement transportée à Notre-Dame de Paris où il reposera. L’abbé Deguerry, le curé de la Madeleine fusillé avec lui, est ramené dans son église. Les religieux de Saint Vincent de Paul recueillent le corps du père Planchat, inhumé dans la chapelle de l’Ordre placée sous l’invocation de Notre-Dame de la Salette et la Compagnie de Jésus ceux de ses cinq religieux, déposés dans leur église de la rue de Sèvres.

Les pères de Picpus ramènent également leurs martyrs chez eux. Les dominicains massacrés avenue d’Italie vont reposer dans la chapelle de l’école Saint Albert d’Arcueil. Le séminaire Saint-Sulpice fait transférer à Issy-les-Moulineaux le corps de l’abbé Seigneret. Mgr Surat est inhumé dans son ancienne paroisse, à Charenton-le-Pont. Quant à l’abbé Sabatier, sa famille demande qu’il soit ramené dans son village de Chastel-Marlhac en Auvergne. Nul ne doute alors que l’Église reconnaîtra tôt ou tard que ces hommes ont été immolés en haine de la foi et qu’ils seront portés sur les autels. 

Un centenaire silencieux

C’est dans cette certitude qu’au début des années 1890, la Compagnie de Jésus acquiert la villa Vincennes, rue Haxo, théâtre du massacre du 26 mai 1871 et décide d’y construire une chapelle, remplacée, en 1938, par l’actuelle église Notre-Dame des Otages, au 81 de la même rue. En 1897, la cause des martyrs est ouverte par l’archevêché de Paris mais traîne en longueur car, à Rome, l’on n’a pas oublié les prises de position gallicanes de Mgr Darboy ni son refus de l’infaillibilité pontificale.

Comme s’en plaint, dans les années trente, le postulateur de la cause, Mgr Grente, le martyre n’a pas effacé au Vatican les soupçons « d’hérésie »… En 1968, à l’approche du centenaire de la Commune, l’archevêché de Paris préfère mettre la cause Darboy en sommeil, ce qui interrompt l’instruction de toutes les autres, un choix assumé en un temps où l’Église veut ménager le Parti communiste français. Seuls les religieux de Saint Vincent de Paul et les Picpuciens se rebiffent et dissocient les dossiers des pères Planchat, Tuffier, Radigue, Rouchouze et Tardieu de ceux de leurs compagnons. Leur obstination s’avère payante puisque Rome semble aujourd’hui s’apprêter à reconnaître la réalité du martyre des cinq prêtres.

Aucune commémoration ne marquera le centenaire des événements et les paroisses qui envisagent de les rappeler seront priées de s’abstenir. C’est l’époque, aussi, où les reliques des martyrs, et leurs tombes, deviennent dérangeantes ; on s’ingénie à les occulter, quand on ne s’en débarrasse pas, ce qui explique la dispersion dans les salles de vente d’objets personnels des suppliciés ou de linges tachés de leur sang. L’on dissimule les vestiges de la prison de La Roquette, portes des cellules des martyrs ou pans de murs, récupérés dans les années 30, lors de la démolition des bâtiments.

Les traces des martyrs

Toute trace des martyrs de la Commune n’a cependant pas disparu. Il demeure possible de les voir, en dépit des aléas de l’histoire et des bouleversements du paysage parisien. Si La Roquette n’existe plus, l’on peut faire halte dans le square du même nom, dans le XIe arrondissement, à l’emplacement de la geôle où les martyrs vécurent leurs derniers jours et où certains moururent.

Par la rue des Pyrénées, l’on peut ensuite suivre le chemin qui fut celui des otages emmenés vers la rue Haxo jusqu’au numéro 83-85, l’ancienne villa Vincennes où logeait l’état-major communard. C’est là que les quarante-neuf prisonniers furent massacrés. Une plaque commémorative le rappelle. Une autre est apposée à l’intérieur de Notre-Dame des Otages, qui conserve la porte de la cellule de la Roquette occupée par les pères Ducoudray, de Bengy et Olivaint, ainsi qu’un pan du mur devant lequel les victimes furent fusillées, où se distinguent encore les impacts de balles. Un monument rappelle la mémoire de toutes les victimes du massacre au cimetière de Belleville. 

L’ancienne chapelle Notre-Dame de La Salette, en retrait de l’actuelle église du même nom, 38 rue de Crondstadt dans le XVe, abrite la sépulture du père Henri Planchat. Au 33 rue de Sèvres, dans l’église des jésuites, Saint-Ignace, et plus précisément dans la chapelle des Martyrs du Japon, reposent Léon Ducoudray, Anatole de Bengy, Pierre Olivaint, Alexis Clerc et Jean Caubert. Au 39, rue de Picpus, les pères des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie ont rejoint le cimetière historique de leur ordre, lieu de repos d’une grande beauté et d’un calme étonnant en plein Paris. Y sont aussi enterrées les dernières victimes de la Terreur, guillotinées place de la Nation au début de l’été 1794, dont les carmélites martyres de Compiègne.

Enfin, 25 rue de la Lune, dans le IIe arrondissement, à Notre-Dame de Bonne Nouvelle, on a relégué dans un débarras la porte de la cellule qui fut celle du curé de la paroisse, l’abbé Bécourt. Celle de la cellule de Mgr Surat est en revanche bien visible dans l’église Saint-Pierre de Charenton-le-Pont à l’occasion de l’exposition consacrée au prélat. Après la vente de l’école Saint-Albert et la destruction de la chapelle, les dominicains abattus avenue d’Italie ont été transférés au cimetière de Cachan.

Le souvenir et le pardon

Plus difficilement accessible, la tombe de la plus touchante des victimes, l’abbé Seigneret, se trouve dans la crypte de l’église du séminaire d’Issy-les-Moulineaux. On y conserve aussi la porte de sa cellule et un pan de mur du lieu de l’exécution. L’abbé Noël Sabatier est enterré dans le cimetière de son village de Chastel-Marlhac. Enfin, dans l’église de Martigné, en Mayenne, sa famille fit installer à la mémoire du père Ducoudray, né à Laval mais élevé dans une propriété voisine, un gisant le représentant. Elle y est toujours.

Se souvenir du calvaire de ces hommes n’est pas insulter la mémoire des fédérés victimes des massacres de Thiers mais se souvenir qu’une voie de pardon, d’amour, de compassion demeure possible, même au cœur des pires déferlements de haine.

Tags:
commune de parisPardon
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