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Brassens, le mécréant « à travers Ciel »

GEORGES BRASSENS

COLLECTION CHRISTOPHEL © PHOTOTH / Collection ChristopheL via AFP

Georges Brassens en 1966.

Théophane Leroux - publié le 21/10/21

Georges Brassens aurait fêté son centième anniversaire ce vendredi 22 octobre 2021 si un cancer ne l’avait emporté « à travers ciel ». Auteur de « Brassens à rebrousse-poil » qui vient de paraître aux éditions Première partie, le journaliste Théophane Leroux lève le voile avec tendresse sur les interrogations spirituelles du poète mécréant qui « parlait de Dieu dans ses chansons »…

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Le moins qu’on puisse dire, c’est que le moustachu n’a laissé personne indifférent de son vivant. Quarante ans après sa mort, son souvenir est toujours vivace, même s’il a été presque momifié par ceux qui se sont faits les gardiens de sa mémoire et qui ont, volontairement ou non, gommé ses interrogations spirituelles. Lorsque l’on s’intéresse de près à son œuvre, peu d’ouvrages ou d’articles s’éloignent de l’image d’Épinal du vieux et gentillet tonton de gauche, anarchiste, anticlérical et paillard. Il n’est pas rare d’entendre vanter son génie littéraire, qui fait souvent oublier son génie musical. On met en avant sa grande liberté, sa simplicité ou son détachement matériel. Mais peu ont osé entrer un peu plus profondément dans les méandres de sa vie intérieure. De peur d’en découvrir des choses qui écorneraient la statue du libertaire athée ?

Le chaud et le froid

Il faut dire que Brassens n’a pas facilité la vie des spéléologues de la vie intérieure. Tout au long de ses carnets, de ses chansons et des entretiens qu’il a pu donner, il a soufflé sans cesse le chaud et le froid. « Tu sais, je ne suis pas un mécréant, comme certains disent » a-t-il confié à un proche, quelques temps avant sa mort. « Je crois en Dieu, mais comme je suis un menteur, je dis que non », écrivait-il dans ses carnets, ou encore « ça m’emmerde que le Bon Dieu n’existe pas ». Au hasard d’une conversation ayant roulé sur la Bible et la foi, il s’était écrié : « Si Dieu existait, comme je l’aimerais ! » Ces déclarations en côtoient d’autres, tout aussi nettes : « J’ai perdu la foi en cours de route. Je ne dis pas que j’ai raison de ne pas avoir la foi, mais je ne l’ai pas », confiait-il durant un entretien. Ou encore : « Pour moi qui suis, enfin qui crois être athée, qui crois ne pas croire, je connais la mort comme la cessation de la vie. […] C’est une opinion personnelle, qui n’est fondée sur rien. Une opinion de mécréant ! Pour parler de [Dieu], je ne peux pas plus affirmer qu’Il existe ou qu’Il n’existe pas. » 

On aurait peut-être tort de vouloir faire de Tonton Georges un monolithe : il est indéniable qu’il a évolué tout au long de sa vie, passant de positions tranchées à des idées plus ouvertes, le temps s’étant chargé de lui rappeler que le monde était plus complexe en réalité que dans les articles du Libertaire, comme en témoigne son adoucissement envers les gendarmes ou les curés. C’est un Brassens vieillissant qui confie ceci à un journaliste : « Plus j’avance en âge et plus je doute : je n’ai aucune certitude. Je ne peux pas. Je suis un pauvre type, quoi ! […] Au fond, j’aimerais mieux que Dieu existât… Mais ça me paraît quand même assez discutable au vu de tout ce qui se passe depuis que le monde existe. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. »

Le Christ, son poète préféré

N’ayant pas la possibilité de sonder les cœurs ou les reins, ceux qui se penchent sur le bonhomme ne peuvent que se contenter des indices qu’a laissé le moustachu. Le premier d’entre eux est sa fascination envers le Christ et les Évangiles : « Je le lis, c’est mon livre », confiait-il durant un entretien. Et d’ajouter : « Mon poète préféré, c’est quand même le Christ, en admettant que le Christ ait existé vraiment et qu’il ait écrit, qu’il ait inspiré les Évangiles. C’est mon poème préféré, si vous voulez. Si on trouve dans mes chansons, dans mes lignes, quelque chose de mystique, cela provient de ce que je suis nourri de ce fameux poète. »

Si Brassens ne prétend pas être un modèle et encore moins un saint, il a gardé de son éducation et de sa formation une éthique, une morale, qui infuse tous les domaines de sa vie

Le second est cette sensation, peut-être mise sous le boisseau, mais bien réelle, d’« une présence », due à l’éducation donnée par sa mère, une bigote d’origine italienne, qui détestait les gros mots. Brassens, qui fut enfant de chœur et scout durant sa jeunesse, pouvait donner l’impression d’avoir tout fichu en l’air, il demeurait tout de même marqué par son éducation : « Même encore maintenant, quand je suis seul, il y a des gestes que je ne ferais pas parce que dans l’enfance, on m’avait donné ce sentiment que nous ne sommes jamais seuls. Cela exige une certaine dignité de gestes et de pensées, car cette présence, si elle était vraie, irait jusque-là. On serait nu extérieurement et intérieurement devant un tel regard. » Il avouait sans ambages l’influence de son éducation chrétienne sur son œuvre : « Je parle de Dieu dans mes chansons. Certains s’en sont étonnés, puisque je ne crois pas. Pourquoi ? Mais parce que je suis imprégné de l’idée de Dieu, de la morale chrétienne. Et puis, il y a dans la morale chrétienne, qui a été la mienne longtemps, beaucoup de choses que j’approuve. J’ai une morale qui emprunte un peu à la morale chrétienne, à la morale anarchique. »

Un désir de cohérence

Il en résulte pour l’homme à la pipe, une étonnante unité de vie. Si Brassens ne prétend pas être un modèle et encore moins un saint, il a gardé de son éducation et de sa formation une éthique, une morale, qui infuse tous les domaines de sa vie : une vraie fidélité en amour (magnifiée dans Saturne ou le Fidèle absolu), un goût pour l’enracinement (Auprès de mon arbre), et pour la cohérence (La Messe au pendu). Surtout, Brassens est d’une redoutable exigence envers ceux qui ont la foi et qui ne mettent pas leurs actes en cohérence avec celle-ci. « Vous avez entre les mains le bonheur des hommes : c’est “Aimez-vous les uns les autres”. Il n’y a rien de mieux, mais qu’est-ce que vous en avez fait ? » disait-il souvent lorsque l’on abordait le sujet de la foi.

Sa conception de la morale chrétienne était particulièrement fine. Ainsi, dans l’Assassinat, il chante une fille de mauvaise vie qui, après avoir participé à un meurtre atroce, se repent. « C’est une larme au fond des yeux / qui lui valut les cieux », raconte-t-il, actualisant en quelque sorte le destin de Dysmas, le bon larron, sauvé de la damnation éternelle par son repentir sincère au moment ultime. S’il ne s’agit pas de faire de Brassens un prophète ou un saint à inscrire au canon, son œuvre ne peut qu’inciter à nous remettre en question. 

« Si Dieu existe, il m’accueillera »

« Je n’ai jamais tué, jamais tué non plus, / Y’a déjà quelques temps que je ne vole plus ; / Si l’Éternel existe, en fin de compte, il voit / Qu’je m’conduit guère plus mal que si j’avais la foi », chante-t-il dans le Mécréant (!). Et d’ajouter, lors d’un entretien : « Je suis un chrétien dans ce qui est essentiel parce que j’aime vraiment les gens. Je me dis que, si Dieu existe, il n’accueillera pas trop mal Brassens. » Au fond, Brassens ne demandait qu’une chose : que son espérance ne soit pas désespérée. Malgré ses piques, ses excès et ses tourments, nous avons toutes les raisons de penser que le bon Dieu n’a pas trop mal accueilli Brassens.

BRASSENS

Théophane Leroux, Brassens à rebrousse-poil, Première partie, septembre 2021.

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