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Ce cri des malheureux qui nous dérangent

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Wilfredo Rodríguez-CC

Pierre Vivarès - publié le 29/10/21

Chaque vendredi, le père Pierre Vivarès curé de la paroisse Saint-Paul à Paris, donne son regard de pasteur sur l’actualité. Aujourd’hui, il décrypte les rendez-vous manqués des chrétiens avec l’histoire : alors que les papes ne cessent de nous alerter sur les signes des temps, entendons-nous le cri des malheureux qui nous dérangent ?

Si les épreuves que nous traversons dans nos vies personnelles ou nos destinées collectives peuvent être l’occasion de prises de conscience, les événements que notre Église a traversés depuis deux siècles devraient nous donner à penser pour l’avenir. Car, en Occident du moins, les séquences vécues n’ont pas été très glorieuses pour notre qualité de discernement sur les « signes des temps » dont parle l’Évangile et que je commentais récemment en nous invitant à approfondir notre situation de simples fidèles pour devenir toujours plus des disciples du maître. 

La condition ouvrière au XIXe siècle

À part quelques exceptions qui sont à la gloire de notre Église, nous avons raté le coche de la condition ouvrière au XIXe siècle tandis que nous demeurions dans la nostalgie de l’Ancien Régime qui avait bercé et anesthésié notre vie ecclésiale pendant mille ans. Nous n’avons pas vu l’émergence d’une classe sociale déchristianisée parce que déracinée de ses sources paysannes, exploitée par un capitalisme naissant fruit des révolutions bourgeoises européennes et d’une colonisation mondiale de quelques grandes nations. Nous n’avons pas voulu voir les injustices qui pesaient sur elle et avons laissé aux courants socialistes et athées le soin se battre pour plus d’égalité et de justice en sa faveur. La parole prophétique d’un Léon XIII avec Rerum Novarum n’a pas irrigué le monde chrétien. 

Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale nous avons soutenu une politique coloniale qui nous permettait certes d’envoyer des missionnaires en Afrique et en Asie mais sans forcément soutenir la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, laissant là aussi des factions politiques communistes le soin d’une émancipation dont ces pays payent encore aujourd’hui les soubresauts démocratiques. 

Un clergé attentiste

L’Église de France était dans la mouvance de l’Action française pendant les années vingt et trente, entre la Chambre bleu horizon et la canonisation de Jeanne d’Arc, conduisant à un épiscopat aux amitiés douteuses pendant la Seconde Guerre mondiale. Quatre évêques furent déposés à la Libération et le grand Saliège fut créé cardinal car il avait été parmi les quelques rares prélats à s’opposer à la condition qui était réservée aux juifs de France. Même si de nombreux prêtres, religieux et religieuses, et bien sûr laïcs, furent déclarés Justes parmi les Nations, le mouvement collectif ecclésial était largement attentiste ou bien ouvertement en faveur de Pétain. La parole d’un Pie XI avec Mit brennender Sorgue n’a pas irrigué tout le monde chrétien. 

Dans les années soixante, après le concile Vatican II, comme des lapins pris dans les phares de la Modernité, l’Église a parfois été tentée de s’adapter « au monde », d’une façon aussi ridicule que le bourgeois gentilhomme de Molière voulait devenir un aristocrate à la mode. Les délires liturgiques, les pastorales gnostiques qui faisaient de Jésus un gentil hippie socialo-pacifiste ont fait perdre un temps précieux sur les véritables enjeux qui traversaient l’Europe quant au consumérisme hédoniste, à l’individualisme galopant et au mépris de toute dimension spirituelle de la vie humaine. 

Je n’en rajouterai pas en parlant du rapport Sauvé et de l’aveuglement dans lequel s’est tenu l’Église, toujours dans une situation de défense au lieu d’être au service des victimes sans avoir entendu ce que disait Jean-Paul en 2002 — il y a vingt ans — aux évêques américains, discours repris par tous les médias à l’époque : « Je prie le Seigneur de donner aux évêques des États-Unis la force de bâtir leurs réponses à la crise actuelle sur les solides fondements de la foi et sur l’authentique charité pastorale à l’égard des victimes ».

De véritables formes de contre-témoignage

Il est bien sûr facile de critiquer après coup : la posture est confortable, le jugement facile, le contentement assuré. On pourrait remonter aux croisades, aux querelles byzantines, aux inquisitions diverses et aux pogromes médiévaux. Après tout, ces reproches sur l’histoire de l’Église nous sont régulièrement offerts sur un plateau et Jean Paul II lui-même à l’aube du troisième millénaire en avait fait le compte. « Il est donc juste que, le deuxième millénaire du christianisme arrivant à son terme, l’Église prenne en charge, avec une conscience plus vive, le péché de ses enfants, dans le souvenir de toutes les circonstances dans lesquelles, au cours de son histoire, ils se sont éloignés de l’esprit du Christ et de son Évangile, présentant au monde, non point le témoignage d’une vie inspirée par les valeurs de la foi, mais le spectacle de façons de penser et d’agir qui étaient de véritables formes de contre-témoignage et de scandale » (Tertio Millennio Adveniente, 33).

Tout est dans l’Évangile

Mais regardons vers l’avenir : quels sont les Bartimée que « beaucoup de gens rabrouaient pour le faire taire » tel que l’évangile dimanche dernier nous le racontait (Mc 10, 46-52) ? Est-ce que l’Église ne serait pas aujourd’hui en train de rabrouer des Bartimée qui crient et qui nous dérangent ? Des ouvriers exploités, des juifs persécutés, des enfants violentés ? Qui sont les prochains Bartimée dont les membres de l’Église devront rendre compte au jugement dernier ? Le pape François nous a pourtant écrit Laudato Si’, qui contient tous les « signes des temps » de notre monde contemporain. Alors que certaines langues se délient sans complexe sur tous les plateaux de télévision, on pourrait en cette veille de la Toussaint relire les évangiles et spécialement Matthieu 25, 31-46. « Tout est dans le bouquin ! », me disait toujours un vieux prêtre quand j’étais jeune. C’est toujours dedans.

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