De l’avis de tous les journalistes qui ont suivi le pape François de près durant son voyage à Chypre et en Grèce, le moment le plus poignant était à Lesbos, au quatrième jour. Là, au milieu des migrants, il a dénoncé un véritable « naufrage de civilisation ». Toutes les attentions étaient rivées sur cette deuxième visite du pontife dans l’île de la Mer Égée, et c’est là que l’homme en blanc a été accueilli avec le plus d’allégresse. Au milieu des conteneurs métalliques rangés derrière des fils barbelés, le pape de 84 ans a fait un véritable bain de jouvence en serrant les mains de centaines de migrants aux larges sourires éloquents. Applaudissements et acclamations débordantes ont ponctué chacun des pas du pape, jusqu’à la tente où des Africains chantaient à pleins poumons, infatigables, pour fêter le passage du chef de l’Église catholique.
« Je suis là pour voir vos visages, pour vous regarder dans les yeux », leur a-t-il dit depuis le podium installé devant la Méditerranée. Autour de lui, joie et gratitude, mais en l’attendant, nombreux avaient témoigné d’histoires douloureuses qu’ils n’évoquaient qu’à demi-mot, dans l’espoir de laisser leur détresse derrière eux. Durant ce périple de cinq jours, le pape jésuite a élevé la voix à répétition pour dénoncer les conditions « inhumaines » de certains camps de migrants qu’il a comparés aux camps nazis, et pour supplier l’Europe de ne pas laisser la Mare nostrum devenir la Mare mortuum.
Le « pardon » de François à ses frères orthodoxes
C’était l’autre grand thème sur lequel le pape était attendu. Dans son odyssée en terres orthodoxes, François a tendu une main aux orthodoxes dans une atmosphère quelque peu austère. Entre Rome et l’Église orthodoxe grecque, les blessures du passé sont encore vives et elles se sont encore fait entendre, jusqu’aux marches de l’archevêché orthodoxe. Alors que le successeur de l’Église catholique s’apprêtait à gravir le perron pour rejoindre Hiéronymus II, un prêtre orthodoxe âgé a hurlé « Pape hérétique ! », avant d’être exfiltré. L’événement pourrait sembler anecdotique si la fraicheur de l’accueil du pape par les orthodoxes ne s’était ressentie tout au long de son séjour.
Même le discours de l’archevêque d’Athènes a laissé entrevoir la distance qu’il reste encore à parcourir pour retrouver l’unité entre les deux Églises. Un fin connaisseur du monde orthodoxe souligne en ce sens que Hiéronymus II a pris le soin de préciser que le pape avait été invité par la République grecque et non par l’Église orthodoxe… Plus encore, le chef de l’Église orthodoxe a suggéré au pape, sans vouloir le mettre « dans l’embarras », de relire avec courage les manquements de l’Église catholique vis à vis des orthodoxes.
C’est donc à une Église encore blessée que le pape François a demandé pardon et exprimé sa honte, au nom de l’Église catholique, pour les « erreurs » du passé. Peu après, il a demandé de l’aide aux orthodoxes, alors que l’Église catholique vient d’entamer son vaste Synode sur la synodalité. « Nous avons le sentiment d’avoir beaucoup à apprendre de vous », a-t-il assuré. Vingt ans après le déplacement historique de Jean-Paul II en Grèce – une première depuis le Schisme de 1054 -, les lignes bougent. Mais lentement.