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Présidentielle : les évêques ne clivent pas comme il faut

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Mgr de Moulins Beaufort

Corinne SIMON/CIRIC

Mgr Eric de Moulins Beaufort s'est dit "embarrassé" par certaines dispositions contenues dans le projet de loi sur le séparatisme.

Louis Daufresne - publié le 21/01/22

Le rédacteur en chef de Radio Notre-Dame était présent à la présentation à la presse du document épiscopal de réflexion en vue de l’élection présidentielle. Les évêques de France appellent à voter en conscience, selon des orientations qui… ne clivent pas comme il faut.

Depuis 2007, les évêques fournissent « un document de réflexion et de discernement » en vue de l’élection présidentielle. Le rituel tournait à la ritournelle. Un seul point intéressait les journalistes : l’Église va-t-elle faire barrage à l’extrême-droite ? Mardi, lors de la présentation du texte à la presse, on put vérifier que cette question demeurait obsessionnelle. En 2002, les évêques avaient appelé à ne pas voter pour Jean-Marie Le Pen au second tour. En 2017, La Croix citait encore René Rémond quand le politologue commentait les résultats du fameux 21 avril : « L’Église constitue un barrage à l’influence du Front national. Son affaiblissement est d’ailleurs une des causes de la montée du FN. » Qu’en serait-il vingt ans plus tard ? Hisserait-elle encore un homme sur le bûcher ? L’institution appellerait-elle à la croisade contre Éric Zemmour ? Au passage, observons que les milieux indifférents ou hostiles à l’Église attendent de sa part une attitude plus inquisitoriale que miséricordieuse. Si le clergé va dans leur sens, aucun excès ni sectarisme ne lui sera reproché.

Voter en conscience

Un trio de religieux était chargé de répondre à la presse. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, le père Hugues de Woillemont, secrétaire général, et Mgr Matthieu Rougé, archevêque de Nanterre et inspirateur du document. Tous trois ne dévièrent pas d’un iota de la ligne qu’ils s’étaient fixée : « Nous ne donnons ni ne donnerons de consignes de vote, encourageant plutôt chacun à voter en conscience à la lumière des critères de discernement » qu’enseigne l’Église. 

Les journalistes liront-ils L’espérance ne déçoit pas ? Probablement non. Cette phrase revigorante est incompréhensible si on n’est pas sérail. Ce point incita sans doute l’AFP à noter que « la Conférence des évêques de France (CEF) s’adresse aux citoyens catholiques ». L’appréciation est vraie sous l’angle commercial. Seul un public motivé ira en librairie se procurer cet opuscule d’une soixantaine de pages coédité par trois maisons historiques (Bayard, Cerf, Mame). Cette cible n’est certes pas négligeable et vote même plus que les autres. Mais la démarche épiscopale allait bien au-delà. Mgr Éric de Moulins-Beaufort se plut à rappeler que « les évêques ne veulent pas cléricaliser ni confessionnaliser le débat présidentiel et législatif ». Prétendre que le document s’adresse aux catholiques seulement, c’est le déprécier et le rendre inéligible au champ politique, comme s’il ne concernait pas l’ensemble de la société. N’est-il pas relatif à la croyance qui le porte ? Les évêques auront beau se prévaloir d’un regard et d’une attention universels, ils se verront toujours ramenés à du particulier et du facultatif.

Une place assignée

Pourquoi ? Il y a la place symbolique assignée au catholicisme : « Aucune loi n’est supérieure aux lois de la République », dit Gérald Darmanin à Mgr de Moulins-Beaufort à l’automne dernier et cela ne s’applique pas qu’aux affaires de mœurs. Dans l’esprit du régime, il faut que l’Église soit toujours dominée, ne devienne jamais surplombante. Tout ce qu’elle dit se rapportera ainsi à des préoccupations catégorielles, de portée limitée. On est dans l’ordre de l’interdit : les catholiques ne doivent pas imposer les sujets de l’élection présidentielle ou même peser dans le débat public. Tout au plus peuvent-ils y jouer le rôle qu’on attend d’eux. Le « on » englobe les médias.

Les journalistes étaient venus mardi pour savoir si l’institution désavouerait Éric Zemmour. L’info était fixée à l’avance. Ce n’est pas exceptionnel. Si étrange que cela paraisse, le professionnel des médias, avant de vivre un événement, sait déjà ce qu’il doit dire dessus. Ainsi la machinerie de l’info résulte-t-elle plus de choix stéréotypés que de l’imprévu et de la rencontre. On vient pour une seule chose. Si on repart bredouille, on zappe.

Bons et mauvais clivages

Bref, si l’espérance ne déçoit pas, les journalistes durent être déçus. C’est que, pour les intéresser, il faut cliver. Mais pas n’importe comment. Ce qui compte, ce sont les personnes, pas les idées. Celles-ci sont utiles non point pour ce qu’elles disent mais pour ce qu’elles permettent de faire : étiqueter celui qui les énonce. Les journalistes aiment les idées quand elles fonctionnent comme des aimants. Or le texte des évêques agit comme un brouilleur. Il aimante tous azimuts, de sorte que la tête chercheuse ne sait pas quelle cible taper.

Le document est très clivant quand il s’attaque à des tabous absolus comme le « respect inconditionnel de toute vie humaine, naissante ou finissante ou précarisée »

Pourtant, sur le fond, il y aurait de quoi. Le document est très clivant quand il s’attaque à des tabous absolus comme le « respect inconditionnel de toute vie humaine, naissante ou finissante ou précarisée ». Mais justement, comme ce sont des tabous absolus (surtout l’avortement), les médias arrêtent de jouer, pour que lesdits tabous ne deviennent pas des sujets politiques si jamais ils se mettaient à les relayer. Ce que dit l’Église de grave se trouve ainsi hors du champ de l’opinion jugée acceptable. Certains sujets « pape François », comme les migrants ou l’écologie, s’en tirent mieux. Dans une certaine mesure seulement. Par exemple, on voit bien que le concept d’écologie intégrale a du mal à passer sur le marché politique. Il parasite l’écologie politique qui le perçoit comme du confusionnisme. 

Insaisissable

De toute façon, ce qui intéresse les journalistes, c’est quand cela saigne et qu’on se mouille sur le sable de l’arène. Forcément, on en revient alors au cas Zemmour. Que faire de ce candidat embarrassant qui se prévaut des « racines chrétiennes » ? L’approuver ? Impossible. Les évêques n’auraient plus qu’à se couvrir la mitre de cendres. Le réprouver ? Risqué. L’épiscopat a appris du Christ à se sauver par le haut. Mgr de Moulins-Beaufort le dit : « Tous les candidats, j’espère, […] sont capables de reconnaître l’héritage chrétien de notre pays. Mais il faut aussi bien comprendre ce que voudrait dire des “valeurs chrétiennes”, des “racines chrétiennes”. Les “valeurs” ne sont pas tant à défendre qu’à choisir. » Le christianisme manipulé par l’identitaire semble ici récusé. Autre phrase : « Nous voulons affirmer que le christianisme est une force d’ouverture, d’intégration et de dialogue pour avancer positivement vers l’avenir. » Réacs s’abstenir, peut-on présumer. Et encore : « Les échéances qui approchent seront cruciales. Mais la peur est toujours mauvaise conseillère. » Mais de quelle peur s’agit-il ? Peur de la Covid, peur du trop-plein migratoire ? Les évêques sortent-ils ici de leur neutralité partisane ? Dans une tribune précédente, nous parlions du vote catholique insaisissable. L’épithète est aussi assez « clerc » !

L’espérance ne déçoit pas, Bayard, Cerf, Mame, janvier 2022, 4,90 €

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