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Quand l’intelligence trouve la foi sans la chercher

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ULF ANDERSEN Aurimages via AFP I montage Aleteia

Teilhard de Chardin et René Girard

Jean Duchesne - publié le 24/05/22

Chacun à sa manière, le scientifique Pierre Teilhard de Chardin et l’académicien René Girard, sans être théologiens, ont donné à la foi une place dans la pensée qui se croyait postchrétienne. Pour l’essayiste Jean Duchesne, ils ont ouvert de nouvelles approches et compréhensions de la foi.

Les catholiques — au moins français — n’ont sans doute pas encore pris la mesure des contributions de deux de leurs compatriotes et coreligionnaires, qui leur donnent de rester culturellement « dans le coup » au XXIe siècle. Je veux parler de deux personnalités successives et qui n’ont pas tellement de points communs : d’abord le jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), et puis le laïc René Girard (1923-2015). L’un et l’autre se sont employés à montrer que la foi avait, dans des domaines fort différents, des pertinences jusque-là insoupçonnées, et ils ont été paradoxalement parfois mieux reçus dans les milieux profanes que dans l’Église.

Ni l’un ni l’autre n’a fait carrière en France et tous deux ont fini leur vie aux États-Unis. Mais les ressemblances formelles s’arrêtent là. Ils ne sont pas contemporains. Comme scientifique, Teilhard (1881-1955) n’a guère été contesté dans son domaine : la paléontologie. Il y a même été reconnu comme un chercheur éminent. Girard (1923-2015) pour sa part a été critiqué par les gardiens des territoires de chasse où il avait braconné : littérature, philosophie, anthropologie, sociologie, psychanalyse, etc. Teilhard a été censuré par le Saint-Office. Girard n’a jamais encouru les foudres de Rome, mais il a été traité d’amateur superficiel et présomptueux par des théologiens de métier. 

Il n’empêche que le premier, l’aîné, le jésuite, a permis de dépasser l’incompatibilité supposée depuis la fin du XIXe siècle entre science et foi, avec notamment la théorie darwinienne de l’évolution. Quant au plus jeune, l’électron libre dans les universités américaines plus souples que celles de France et d’Europe, il a fait quelque chose de comparable dans le champ des sciences dites humaines qui se sont prodigieusement développées au XXe siècle. Il a notamment montré qu’en ce qui concerne les religions, ce que disent la Bible et l’Évangile ne peut pas être ignoré pour ne s’attacher qu’aux formes extérieures et aux retombées socio-institutionnelles ou psychologiques des croyances.

« Le Christ Jésus, par sa Passion et par sa Croix, vient abolir de l’intérieur cet engrenage destructeur : il est le bouc émissaire qui prend sur lui le mal du monde et qui brise l’engrenage de la culpabilité » René Girard

Contestation et reconnaissance, dans l’Église et dans la société

Teilhard a refusé une chaire au Collège de France et a été nommé au CNRS en 1951. Et un établissement scolaire public (à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme) porte son nom depuis 1968. Aujourd’hui, il est cité par le pape François dans son encyclique Laudato si, où une note (au n. 83) reconnaît son « apport » et rappelle les approbations de Paul VI, Jean Paul II et Benoît XVI. Par ailleurs, le nom du paléontologue et visionnaire mystique a été donné au nouveau centre de dialogue entre chercheurs, philosophes, théologiens et étudiants, ouvert au milieu des campus scientifiques du plateau de Saclay par plusieurs diocèses d’Île-de-France et la Compagnie de Jésus.

Quant à Girard, il a été élu à l’Académie française. Et, à son décès, son confrère sous la coupole et évêque, Mgr Claude Dagens, a déclaré qu’il « avait revalorisé la religion chrétienne en philosophie, en montrant que la réalité du mal provoque l’engrenage de la culpabilité : s’il y a du mal, il y a des coupables […] ; si on les trouve, on les accuse ». Mais, selon le prélat académicien, l’universitaire français émigré aux États-Unis amontré que« le Christ Jésus, par sa Passion et par sa Croix, vient abolir de l’intérieur cet engrenage destructeur : il est le bouc émissaire qui prend sur lui le mal du monde et qui brise l’engrenage de la culpabilité ».

Culture profane et pensée religieuse

Teilhard et Girard ont ainsi l’un et l’autre marqué à la fois la culture profane et la pensée chrétienne. En ce temps de sécularisation, ce n’est pas sans portée. Il y a certes toujours eu et il y a encore d’un côté des « intellectuels catholiques », c’est-à-dire des écrivains et auteurs qui sont réputés dans leur domaine de compétence profane, ne cachent pas être sereinement croyants et ne dédaignent pas de faire à l’occasion un peu d’apologétique. Et en même temps, il y a eu et il y a encore des théologiens lus et respectés jusqu’en dehors de l’Église, comme Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar ou Joseph Ratzinger, élus membres de l’Institut de France à l’Académie des Sciences morales et politiques. 

Aujourd’hui où croire n’est plus du tout une évidence, [Teilhard de Chardin et René Girard] mettent en pratique un adage inversé et adapté à l’ère du soupçon et des désillusions : Intellectus inveniens fidem (l’intelligence trouvant la foi, qui la stimule et nourrit).

Mais Pierre Teilhard de Chardin et René Girard ne sont ni l’un ni l’autre théologiens de profession, et c’est dans le cadre de leurs recherches scientifiques ou académiques, dans la logique propre de leurs recherches et travaux, en dehors de toute structure ecclésiale ou visée de témoignage ou d’apostolat, qu’ils ouvrent de nouvelles approches et compréhensions de la foi chrétienne. C’est pourquoi ils ont été critiqués aussi bien au nom de la laïcité qui ne veut pas entendre parler de religion que par des gardiens du dogme qui leur reprochaient de ne pas raisonner de l’intérieur de la foi, à partir d’une acceptation préalable, explicite et inconditionnelle de la Révélation et du Magistère.

Saint Anselme en symétrie à l’ère de la sécularisation

Qu’importe, cependant, si de tels novateurs ne répondent pas directement aux questions immédiates que se posent les croyants sur le fonctionnement interne de leurs communautés et l’impact que celles-ci peuvent avoir dans la vie sociale. Il y a là des marques de la fécondité de la Bible et de l’Évangile dans ce qu’il est convenu d’appeler la culture. On peut très bien, en entendant parler de Teilhard, rester perplexe devant la « noosphère », se demander si la Croix a bien sa place dans ce scénario cosmique et percevoir le Christ comme moins éloigné que le « point Oméga ». En lisant Girard, on peut n’être pas pleinement convaincu par la « théorie mimétique » et douter que le principe du « bouc émissaire » suffise à expliquer toute la violence dans le monde.

Ces deux auteurs ne seront peut-être jamais érigés en saints ni en nouveaux Pères de l’Église. Mais, même s’il n’est pas question de donner à leurs spéculations une portée doctrinale, ils montrent que la foi stimule la rationalité sans du tout la paralyser. Au XIe siècle, quand croire allait de soi, saint Anselme a insisté sur le devoir de comprendre ce qui était cru : Fides quaerens intellectum (la foi cherchant l’intelligence). Aujourd’hui où croire n’est plus du tout une évidence, le jésuite paléontologue et le professeur de Stanford mettent en pratique un adage inversé et adapté à l’ère du soupçon et des désillusions : Intellectus inveniens fidem (l’intelligence trouvant la foi, qui la stimule et nourrit). En ce sens, Teilhard et Girard riment avec « rares », et ils sont de fait précieux en interpellant aussi bien les incroyants que les autres.

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