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Avis du CCNE : suicide, mode d’emploi ? 

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AFP

Tugdual Derville - publié le 15/09/22

En soutenant qu’il existe "une application éthique d’une aide active à mourir", le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) fait s’effondrer une digue essentielle et va encourager le suicide. Tugdual Derville y voit une rupture avec un message social constant, principe essentiel de l’écologie humaine : la vie de chacun a du prix pour tous.

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Lorsque parut en 1774 le roman de Goethe Les Souffrances du jeune Werther, qui s’achève par le suicide du jeune homme, on découvrit que de nombreux jeunes lecteurs se suicidaient de la même façon que le héros du livre, à tel point que ce dernier fut interdit. C’est l’effet Werther, théorisé en 1982 par le sociologue américain David Philipps. Il fut observé de la même façon après les suicides de célébrités, comme ceux de la chanteuse Dalida (1987), de l’ancien Premier ministre Pierre Bérégovoy (1992), ou du chanteur Kurt Cobain (1994). À chaque fois, dans les semaines qui suivent, des personnes du même âge et du même sexe ont mis fin à leur jour dans des proportions parfois exceptionnelles, attestant du lien de cause à effet : près de 25% de hausses des suicides chez les femmes de 45-59 ans à la suite de la mort de Dalida. À l’inverse, si la présentation d’un suicide est accompagnée d’évaluations négatives, l’effet de contagion est très réduit.

Aucune vie n’est inutile

Tous les spécialistes sérieux de la prévention du suicide demandent donc que celui-ci ne soit jamais présenté positivement, comme la solution à la souffrance et à la désespérance, et encore moins comme un acte courageux. Pendant la phase à hauts risques de la « crise suicidaire », souvent impossible à déceler de l’extérieur, le fil ténu qui retient à la vie est un message constant porté par la société : aucune vie ne mérite d’être considérée comme vaine, sans valeur et inutile. Voilà ce qui peut donner à autrui le courage de ne pas se suicider. En 1982, l’éditeur Alain Moreau avait fait scandale avec la sortie de Suicide mode d’emploi. Faussement atténué par son sous-titre « Histoire, technique, actualité », l’ouvrage était bel et bien conçu pour divulguer, à son dixième chapitre, ses « recettes médicamenteuses », autrement dit la liste des poisons permettant de ne pas se rater. L’éditeur a naturellement profité de la polémique, et l’ouvrage s’est vendu à cent mille exemplaires avant son interdiction neuf mois après sa parution. Le mal était fait. 

Or, voilà que mardi 13 septembre 2022, quarante ans après cette publication sulfureuse, le très sérieux Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié son avis n°139, titré : « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité. » Heureusement, huit voix courageuses, sur quarante-cinq, se sont publiquement désolidarisées de la principale recommandation de ce texte.

L’effondrement d’une digue vitale

Il faut en effet réaliser à quel point la « potion » élaborée par le CCNE est aux antipodes de l’éthique médicale : l’avis commence l’évocation des soins palliatifs, en argumentant finement en faveur de leur développement et de leur accessibilité. Viennent ensuite des réflexions à propos de l’acharnement thérapeutique (traitements inutiles ou disproportionnés) et même sur les inconvénients du suicide assisté et de l’euthanasie. Tout cela est connu et n’est pas contestable. Mais surgit, page 34, le « principe actif » de l’avis, celui que les médias retiendront. Il est empoisonné : « Le CCNE considère qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger. »

C’est une digue fondamentale que le CCNE attaque : l’interdit d’administrer la mort.

Pas d’argument éthique derrière le vocabulaire édulcoré (« aide active à mourir ») et l’affichage d’une apparente réserve (« conditions strictes » qu’il serait « inacceptable de transiger »), mais une simple affirmation assénée. Or, c’est une digue fondamentale que le CCNE attaque : l’interdit d’administrer la mort. Comment oublier qu’il s’agit là du premier principe qui permet la confiance entre soignants et soignés ? C’est lui aussi qui contribue à la prévention du suicide, fléau national deux fois plus fréquent en France chez les plus de 75 ans qu’au sein du reste de la population… « Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion », prend soin de préciser l’antique serment d’Hippocrate.

Un dévoiement de la solidarité

Quand on y réfléchit, l’expression « aide active à mourir » pourrait s’appliquer à la phase ultime des soins palliatifs, qui ont en effet comme vocation d’aider une personne et ses proches, par des actions appropriées de soins et d’accompagnement, à vivre cette mort, en soulageant le patient sans le tuer. Parler d’”aide” pour le suicide ou l’euthanasie est un dévoiement de la solidarité. Il est injuste de promouvoir en même temps deux pratiques incompatibles, car antinomiques. Utiliser le soutien aux soins palliatifs, en forme de compensation, pour mieux défendre le suicide assisté, voire l’euthanasie, est tout simplement une aberration.

Certains soignants semblent aujourd’hui imaginer que la promotion du seul suicide assisté (la prise d’une substance létale par la personne elle-même) pourrait les protéger d’avoir à pratiquer l’euthanasie à proprement parler (l’administration de la mort par un tiers). C’est faire preuve de naïveté. D’abord le CCNE compte bel et bien sur les médecins pour prescrire les produits létaux du suicide assisté ; ensuite l’avis 139, juste après avoir validé le suicide assisté, ajoute (recommandation n°16) : « Laisser en dehors du champ de la loi ceux qui ne sont physiquement plus aptes à un tel geste soulèverait un problème d’égalité des citoyens qui constitue en lui-même une difficulté éthique majeure. » Au nom même de l’éthique est aussitôt envisagé soit « un accès légal à l’euthanasie sous la même condition d’un pronostic vital engagé à un horizon de moyen terme », soit une exception d’euthanasie laissée « à l’appréciation du juge ». Il y aurait donc ceux qui peuvent s’auto-administrer la mort (par injection ou breuvage) éligibles au suicide assisté et ceux qui, ne le pouvant pas, seront euthanasiés par la main d’autrui. Suicide assisté et euthanasie sont donc articulés, et, dans tous les cas, des médecins seraient impliqués, comme le font les vétérinaires pour les animaux.

Les exceptions qui ruinent la règle

Gare à l’effet toboggan ! Ce n’est pas en entrouvrant une porte qu’on évite qu’elle soit grande ouverte. Il est des « exceptions » qui ruinent les règles. Les exemples étrangers montrent que, lorsqu’une société fait sauter le verrou qu’est l’interdit de tuer, elle bascule vers la culture de l’euthanasie. Elle délaisse ainsi progressivement la culture palliative, selon l’adage : « La mauvaise monnaie chasse la bonne. » Le prétendu « droit de mourir » devient même un devoir social. Le mobile-clé du CCNE est l’autonomie, érigée en exigence sacrée. Mais le CCNE ne peut ignorer — il y fait même mention — à quel point nous sommes des êtres sociaux, reliés, interdépendants. Nous nous influençons réciproquement. L’illusion d’une décision « autonome » de mettre fin à ses jours qui pousse les désespérés à passer à l’acte doit toujours trouver, dans la solidarité des soignants qui les secourent, les réaniment, les sauvent, un message vital (c’est le cas de le dire) : la vie de chacun a du prix pour tous. 

La « neutralité du terme suicide »

Un point est trop souvent passé inaperçu : l’annexe 6 de l’avis du CCNE (titrée « La sémantique du suicide ») discute de l’opportunité de renommer le suicide (médicalement) assisté par un sigle, SMA, pour le distinguer du suicide, mal connoté. Mais cette note conclue que le mot suicide doit être maintenu en expliquant :

La neutralité du terme suicide, qui est sans doute son aspect le plus problématique, devrait s’établir au fur et à mesure que l’on portera davantage notre attention sur les véritables points de débat, sur ce qu’il désigne, et moins sur les aprioris qu’on lui assigne parfois sans même s’en rendre compte.

La seule perspective de rendre « neutre » un tel drame et une telle violence devrait éveiller les consciences de tous ceux que le suicide d’un proche a endeuillés.

Protéger la vie des plus vulnérables, souffrants, désespérés est un principe essentiel de l’écologie humaine : c’est faire preuve d’humanité. Certes, le CCNE n’est que consultatif, mais il va malheureusement servir de caution aux politiques. Le processus participatif indécis que le président de la République a annoncé dans la foulée de la publication de son avis est à hauts risques, et appelle une mobilisation et une résistance durables.

Tags:
BioéthiqueEuthanasieFin de vieSuicide
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