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Communio, la revue qui sort la théologie de son ghetto

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Jean Duchesne - publié le 04/10/22

Le travail théologique est aussi l’affaire des laïcs et nécessaire à la catholicité de l’Église. C’est ce qu’a voulu servir la revue internationale Communio, née après le concile Vatican II. Une aventure qui dure encore, et que raconte notre chroniqueur Jean Duchesne, l’un de ses cofondateurs.

La création il y a maintenant déjà un demi-siècle de la Revue catholique internationale Communio a correspondu à un besoin qui demeure aujourd’hui aussi vif et fécond. C’était aux lendemains de Vatican II, à un moment où déjà l’Église se divisait. D’un côté, on pensait que ce concile avait constitué une rupture salutaire, voire qu’il n’était pas allé assez loin. Et on disait “le Concile”, avec l’article défini et une majuscule initiale, comme si les conciles précédents étaient à oublier. En face, on ronchonnait au contraire que ce concile avait été imprudent et qu’en un temps où la sécularisation menaçait de balayer ce qui restait de la chrétienté, il fallait surtout ne rien lâcher ni changer.

Sortir la théologie de son ghetto

La résistance à cette dichotomie a été menée par saint Paul VI. Mais elle s’est manifestée aussi au sein de la Commission théologique internationale (CTI), créée en 1970. Ses membres avaient pratiquement tous joué un rôle décisif à Vatican II, soit directement en “experts” nommés par le Vatican ou amenés par un cardinal, soit indirectement grâce à leurs travaux antérieurs (même si aucun évêque n’avait osé se faire accompagner par un autre de ces professeurs francs-tireurs). Il existait bien, depuis 1965, une revue théologique appelée Concilium. Mais certains membres de la CTI (et non des moindres) ne la trouvaient pas assez fidèle à ce que l’on célébrait comme “l’esprit du Concile”. Et leur frustration était justifiée par leur expérience au sein de cette revue, à laquelle ils avaient eux-mêmes collaboré volontiers.

Pas question de nier que la pensée chrétienne devait partir des Écritures et de la Révélation (et non de la philosophie ni d’aucune science ou sentimentalité humaine), comme l’avait rappelé Dei Verbum de Vatican II.

Il faut préciser d’emblée que l’insatisfaction ne portait pas sur l’orientation théologique. Pas question de nier que la pensée chrétienne devait partir des Écritures et de la Révélation (et non de la philosophie ni d’aucune science ou sentimentalité humaine), comme l’avait rappelé Dei Verbum de Vatican II. Pas question non plus d’ignorer les sources et l’histoire du dogme, de la spiritualité et de la liturgie, en supposant tout cela immuable. Pas question, enfin, de négliger les développements récents de la culture, où l’anthropologie, la sociologie et l’esthétique ne sont jamais étrangères à la foi chrétienne, et forcément en dialogue avec elle. Il faut ajouter que l’idée n’était nullement de concurrencer et remplacer cette première revue postconciliaire, mais de réaliser ce qu’elle n’était pas équipée pour faire.

Le catholicisme n’est pas l’uniformité

Le problème était donc non pas de fond, mais structurel ou formel. Concilium reposait d’abord sur une fondation basée aux Pays-Bas, et les diverses éditions linguistiques étaient identiques : c’était les mêmes articles dans les versions allemande, anglaise, croate, espagnole, française, italienne, néerlandaise et portugaise. Ce discours unique, simplement dupliqué en traductions, ne faisait pas droit à la diversité des Églises et des cultures locales, où les besoins et les problématiques ont des accents particuliers. Comme l’a dit à l’époque un des cofondateurs de Communio : “Je ne vois pas ce qu’on a gagné en transférant Rome à Nimègue.” La catholicité authentique et conforme à l’ecclésiologie de Vatican II dans Lumen gentium n’est pas l’uniformité imposée à partir d’un centre ou sommet, mais la communion d’une pluralité d’entités dont les identités distinctes s’enrichissent mutuellement sans jamais se confondre ni qu’aucune absorbe les autres.

Indépendance et communauté des revues

La solution a donc été une communauté de revues indépendantes aux niveaux juridique, économique et rédactionnel, soutenues par un éditeur, ou une association à but non lucratif, ou un ordre religieux à l’échelon national. Les représentants de chacune choisissent et préparent ensemble les thèmes à traiter, et procurent des contributions qui sont échangées et dont aucune n’est obligatoire. Chaque équipe linguistique décide librement quels articles sont pertinents pour ses lecteurs et seront en conséquence traduits. Elle peut de plus publier des études et réflexions sur des sujets différents du thème commun, en fonction des opportunités ou de l’actualité dans son aire linguistique, et les autres revues peuvent traduire ces textes si ceux-ci paraissent de quelque intérêt au-delà de leur contexte d’origine.

Décléricalisation

En second lieu, la revue lancée dès la clôture de Vatican II était faite par des théologiens de métier pour d’autres spécialistes de sciences religieuses. Ce qui, d’une certaine façon, ne répondait pas au souci d’”ouverture au monde” qui avait animé le récent concile. Si la théologie est bien une discipline à part avec ses normes propres, elle ne peut être réservée à une corporation d’experts. Les croyants ont toujours besoin de mieux comprendre et d’approfondir leur foi, et ce qui est cru a un impact discernable dans la vie profane.

Si les réalités terrestres et temporelles ont bien leur autonomie, les activités “mondaines” ont un retentissement et des enjeux spirituels, comme l’a souligné Gaudium et spes. Le consortium des revues Communio n’a donc pas traité uniquement de questions internes à l’Église ou concernant sa crédibilité, et a abordé des sujets non spécifiquement religieux : problèmes de société, arts et de littérature, avancées intellectuelles, technologiques et scientifiques. 

Cet élargissement des champs explorés a contribué à de résoudre un troisième problème posé par un travail trop académiquement théologique, en visant un public non clérical et en donnant la parole à des laïcs. Dans les différents comités de rédaction et parmi les auteurs, on trouve ainsi, à côté de clercs, religieux et religieuses, de simples baptisés, hommes et femmes, pas nécessairement universitaires ni catholiques : philosophes et écrivains, savants et chercheurs en divers domaines, mais aussi témoins de la pertinence existentielle, dans l’Église et au dehors, de telle ou telle dimension constitutive de la foi. Et, chacun à sa façon et selon ses compétences, fait de la théologie, parce que “rien d’humain n’est étranger au Christ”. La foi n’interpelle pas moins le monde quand celui-ci tend à la marginaliser.

Autre temps, même exigence

Au fil des ans, il s’est avéré que la communion ne promeut pas moins l’unité que la diversité. Ce n’est pas simplement la coexistence non conflictuelle d’une pluralité de préoccupations, de points de vue et de réponses. C’est plutôt le partage d’un donné aussi unique qu’inépuisable, que nul ne peut s’approprier. Cinquante ans plus tard, le monde et l’Église sont toujours aussi divisés, de façon différente. L’affrontement Est-Ouest n’a pas disparu mais a considérablement évolué ; les menaces islamistes, nationalistes (chinoise, russe, etc.) et écologique ont succédé au communisme. En interne ecclésial, ce ne sont plus conservateurs et progressistes qui s’opposent, mais hiérarchistes et égalitaristes. Ils sont équitablement frustrés, parce que le Christ n’a établi ni un système féodal ni une république.

Dans ce contexte comme sans cesse depuis ses débuts, Communio ne cherche pas à élaborer une via media, mais à rester fidèle à la Tradition. Celle-ci n’est pas un corpus figé, mais une dynamique de transmission à laquelle il s’agit de prendre part.

Dans ce contexte comme sans cesse depuis ses débuts, Communio ne cherche pas à élaborer une via media, mais à rester fidèle à la Tradition. Celle-ci n’est pas un corpus figé, mais une dynamique de transmission à laquelle il s’agit de prendre part. Elle s’origine dans la vie même du Créateur qui a révélé et mis en œuvre dans l’histoire son dessein de Salut dont le moteur est le don de soi total, et réciproque, entre le Père, le Fils et l’Esprit. C’est dans cette histoire qu’il s’agit de se situer et d’entrer sans rien se cacher ni des richesses ni des tentations et déviations du passé et du présent. Cette exigence a mobilisé les fondateurs de Communio : Balthasar, Daniélou, de Lubac, Ratzinger… et les laïcs plus jeunes qu’ils ont entraînés : Jean-Luc Marion, Rémi Brague, votre serviteur… Ce même impératif continue de leur susciter des successeurs.

On peut découvrir ce qu’est et devient la revue sur le site https://communio.fr/

Tags:
Concile Vatican IIThéologie
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