Les lettres minuscules occupent chaque centimètre carré du carnet improvisé que le père Maccali a confectionné pendant ses deux années de détention dans le désert. Quand les pages ont été intégralement recouvertes, il a écrit au verso d’une étiquette de conserve de fruits qui lui avait été offerte lors d’un jour faste. Il reste un peu de place en bas de cette feuille improvisée : “Nous avons été libérés à ce moment-là, avant ce blanc. Mais il y avait eu tellement de faux espoirs auparavant que je n’y croyais plus. Je craignais de devoir écrire encore”. Le père Pier Luigi Maccalli a été otage durant près de deux ans entre le Niger et le Mali avant d’être libéré le 8 octobre 2020.
Ces notes griffonnées dans son italien natal parlent de solitude et d’incompréhension. D’une vie d’otage absurde, qui venait rompre un quotidien bien rempli, au service de l’Évangile. Dès sa scolarité au Petit séminaire, Pier Luigi s’est passionné pour l’Afrique et la médecine. Dès son ordination, il rejoint la Société des Missions Africaines et part pour Bondoukou, en Côte d’Ivoire. Il y est accueilli avec chaleur, gentillesse et s’est senti tout de suite à sa place dans ce pays dynamique, aux besoins immenses. La réalité le rattrape néanmoins lors de son premier service à l’hôpital. Un bébé venait de mourir. Les médecins et le personnel médical qui s’activaient l’avaient laissé sur la table d’opération. “Je lui ai confectionné un cercueil avec ma boîte à chaussure, je l’ai enveloppé dans un linge blanc. Cela a été pour moi la première rencontre avec la fragilité et la détresse de ce pays”, témoigne le prêtre.
Pier Luigi l’Africain
Il passe ainsi onze ans en Côte d’Ivoire. Puis, il est contraint à retourner en Italie où il ronge son frein : “Ma Mission était en Afrique, où il y avait tant à faire. Il y avait des besoins médicaux, des besoins d’aide à l’agriculture…”. Il repart ainsi pour le Niger où il restera dix ans avant d’être enlevé le 17 septembre 2018.
Le silence de Dieu ce n’est pas le néant, mais un vide nécessaire pour l’accueillir.
Pier Luigi perd vite ses repères géographique, brinquebalé d’un désert à l’autre par de tout jeunes gens qui le pointent avec leurs armes. “Je craignais une mort à la Charles de Foucauld, avec un coup qui part sans prévenir de la part d’un de ces gamins à qui on donne une arme à feu”, se souvient-il. Il tient en revanche scrupuleusement son calendrier, avec les fêtes, les anniversaires de ses proches, qu’il célèbre dans la solitude du désert. Différents groupes de ravisseurs, parfois hostiles, parfois presque amicaux le prennent successivement en charge. Tous veulent qu’il abandonne sa foi et lui font lire le Coran.
Le silence de Dieu
Baladé d’un coin de désert à l’autre, sans perspective, il expérimente une “nuit obscure”. Arraché une nouvelle fois à sa mission, contraint à l’inaction, il n’a le plus souvent comme compagnons que “le silence intérieur et la musique du vent dans le désert” témoigne-t-il. “Je disais à Dieu : J’ai toujours annoncé ta Parole… Maintenant, donne-moi une parole !” Le prêtre à la barbe blanche reste de toute évidence marqué par cette expérience du silence de Dieu, qu’il tâche de restituer avec des mots d’hommes : “J’ose dire que Dieu est silence, si tu dis Dieu, Dieu n’est plus Dieu…” Il ose dire aussi que cette expérience douloureuse a changé ses perspectives, lui a permis d’accueillir Dieu d’une façon inédite. “L’une de mes nièces qui venait d’être enceinte disait que ses organes faisaient de la place pour accueillir la vie… Je crois que c’est un peu ça… Le silence de Dieu ce n’est pas le néant, mais un vide nécessaire pour l’accueillir…”
À ma descente de l’avion, mon neveu m’a embrassé. Il m’a tenu dans ses bras deux minutes, et j’ai pleuré les dernières larmes qui me restaient. Ces deux minutes ont lavé le ressentiment et l’angoisse accumulés en deux ans de captivité.
Après de multiples faux espoirs, le prêtre est finalement libéré le 8 octobre 2020. Le voilà rapatrié en Italie où sa famille l’attendait depuis deux ans, en union de prières et d’espérance. “À ma descente de l’avion, mon neveu m’a embrassé. Il m’a tenu dans ses bras deux minutes, et j’ai pleuré les dernières larmes qui me restaient. Ces deux minutes ont lavé le ressentiment et l’angoisse accumulés en deux ans de captivité”.
Bien qu’il soit rentré chez lui, le prêtre n’est pas “rentré à la maison” pour reprendre son expression. “J’ai été enlevé il y a quatre ans, et depuis tout ce temps, je ne suis pas retourné auprès des chrétiens du Niger”, rappelle-t-il. Pour l’heure, la situation sécuritaire dans ce pays, soumis aux actions de groupes terroristes, ne permet pas à ce prêtre européen de revenir dans sa terre de mission. Il reste toujours une dizaine d’otages au Sahel, pour la libération desquels le père prie chaque jour.
Pratique