Un an après le coup d’envoi du Synode sur l’avenir de l’Église, le secrétariat général du Synode publie le Document de travail pour l’étape continentale, le 27 octobre 2022. Élaboré grâce aux 112 synthèses des Conférences épiscopales – sur 114 –, ce texte de 46 pages doit servir de trame pour la phase continentale de ce processus inédit censé rendre l’Église plus missionnaire, participative et accueillante, moins centralisée et cléricale.
Dans un texte ingénieusement construit qui intègre les citations des différentes synthèses nationales, les rapporteurs livrent un panorama des maux et des espérances de l’Église d’aujourd’hui. Place des femmes et des jeunes dans l’Église, souffrance des prêtres, débats autour de la liturgie ou des situations sensibles dans la vie des Églises locales – divorcés remariés, polygamie, LGBT, abus, etc. –, le document n’élude pas les difficultés. Il assume même une certaine critique de la démarche synodale – qui n’a pas su par exemple mobiliser les jeunes – et rapporte les craintes, les regrets et les oppositions qu’elle suscite.
Cet inventaire inédit et incarné, qui “n’est pas un document du Magistère de l’Église, ni le rapport d’une enquête sociologique”, propose un voyage mental dans les différentes réalités de l’Église dans le monde. Il révèle aussi bien des problématiques et opportunités singulières – la rencontre entre l’Église catholique au Cambodge et les moines et laïcs bouddhistes cambodgiens par exemple – et pose un diagnostic sur des défis communs à toutes les régions du monde – sécularisation croissante, tentations cléricales, manque de formations, défi de l’unité, etc. Décryptage des points essentiels du document.
Un “espace plus accueillant” pour les personnes blessées
Avec prudence et nuances, le texte revient sur les situations difficiles vécues par ceux “ressentent une tension entre l’appartenance à l’Église et l’expérience de leurs propres relations affectives, comme par exemple : les divorcés remariés, les familles monoparentales, les personnes vivant dans un mariage polygame, les personnes LGBTQ, etc.”.
“Les gens demandent que l’Église soit un refuge pour les personnes blessées et brisées, et non une institution pour les parfaits”, mentionne notamment le rapport provenant des États-Unis. Ces thématiques sont aussi exprimées dans des pays comme la Malaisie, le Lesotho ou l’Afrique du Sud, où des questions touchant aux transformations de la famille, notamment sur la question de l’homosexualité, ont été exprimées “dans tous les diocèses, tant ruraux qu’urbains”.
Évoquant “la douleur de ne pas pouvoir accéder aux sacrements ressentie par les divorcés remariés et ceux qui ont contracté un mariage polygame”, le texte reconnaît qu’il n’y a “pas d’unanimité sur la manière de gérer ces situations”. Ces préoccupations appellent donc à un “besoin de discernement de la part de l’Église universelle”.
Repenser la participation des femmes
Le rôle et la participation des femmes dans l’Église est “un point crucial sur lequel il y a une prise de conscience croissante dans toutes les parties du monde”, insiste le document, qui rapporte que “de tous les continents vient un appel” pour que les femmes catholiques soient “valorisées”. De Terre Sainte, de Corée ou bien de Nouvelle-Zélande, des voix mettent en évidence ce manque de considération des femmes dans l’Église “où presque tous les décideurs sont des hommes”, indique ainsi le rapport de la Terre Sainte, quand la contribution des Supérieures des instituts de vie consacrée parle de “sexisme” prédominant dans l’Église.
Si la quasi-totalité des contributions soulèvent la question de la participation pleine et égale des femmes, il n’y a toutefois pas d’accord sur une ” réponse unique” à cette problématique. De nombreuses synthèses invitent à poursuivre le discernement sur une série de questions spécifiques, dont la réflexion sur le “diaconat féminin”. “Des positions beaucoup plus diversifiées sont exprimées en ce qui concerne l’ordination sacerdotale des femmes, que certaines synthèses appellent de leurs vœux, tandis que d’autres considèrent que la question est close”, indiquent les rapporteurs.
La difficile articulation des ministères laïcs et ordonnés
C’est l’un des grands défis lancés par le pape François pour ce synode : redécouvrir le sacerdoce des baptisés pour que tous les catholiques, laïcs, clercs et religieux puissent participer effectivement à la vie de l’Église. “L’expérience faite […] a permis de redécouvrir la coresponsabilité qui découle de la dignité baptismale et a donné la possibilité de dépasser une vision de l’Église construite autour du ministère ordonné pour aller vers une Église “toute ministérielle””, fait ainsi remonter la conférence épiscopale d’Italie.
Certaines régions font part de leur expérience en la matière, comme l’Église en République démocratique du Congo : “Certains [catéchistes laïcs] sont “institués” Chefs des Communautés, spécialement dans les milieux ruraux où la présence des prêtres est rare.”
Reste que demeure une difficulté sur la définition du périmètre d’exercice du ministère laïc dans l’Église. Ainsi, la conférence épiscopale de Belgique pose une question essentielle qui devra être débattue lors des prochaines phases : “De nombreux groupes souhaitent une plus grande participation des laïcs, mais la marge de manœuvre n’est pas claire. Quelles sont les tâches concrètes que peuvent accomplir les laïcs et comment la responsabilité des baptisés doit-elle être envisagée par rapport à celle du curé ?”
Appel à une liturgie plus active et inclusive
Le document reconnaît que la question liturgique peut être source de “questions conflictuelles” dans certains pays – notamment concernant les rites pré-conciliaires. “Malheureusement, la célébration de l’Eucharistie est aussi vécue comme un motif de division au sein de l’Église”, fait ainsi remonter la Conférence épiscopale des États-Unis. Ces problématiques doivent être abordées de manière synodale, invite le document, qui rappelle que “l’Eucharistie, sacrement de l’unité dans l’amour en Christ, ne peut devenir un motif de confrontation, d’idéologie, de clivage ou de division”.
Le document assure en outre que de nombreuses synthèses ont exprimé le désir d’”un style synodal de célébration liturgique” qui permette une participation plus active de tous les fidèles. Dans certaines synthèses “le protagonisme liturgique du prêtre et la passivité des participants” ou encore “la séparation entre la vie liturgique de l’assemblée et le réseau familial de la communauté” ont été critiqués. La qualité des homélies a été signalée “presque unanimement comme un problème”.
Pour les rapporteurs, le chemin synodal a aussi été l’occasion d’expérimenter des formes différentes de prière et de célébration, notamment avec une place plus importante pour méditer sur les Écritures. D’autres ont mis en avant l’importance de la piété populaire.
Les prêtres, une voix souffrante et discrète
“L’une des voix les moins évidentes dans les synthèses est précisément celle de prêtres et d’évêques qui parlent d’eux-mêmes”, analyse le document. De nombreux pays font état “des craintes et des résistances du clergé” dans le processus synodal. Au Chili, on déplore “l’absence ou la faible implication des prêtres”. En même temps, les synthèses sont sensibles “à la solitude et à l’isolement de nombreux membres du clergé, qui ne se sentent pas écoutés, soutenus et appréciés”.
Quoiqu’il en soit, le ton des synthèses “n’est pas anticlérical, contre les prêtres ou le sacerdoce ministériel”. Beaucoup expriment “leur profonde appréciation et leur affection pour les prêtres”. Mais ils invitent à “débarrasser l’Église du cléricalisme”, comme le souligne la synthèse de la République centrafricaine qui critique les curés “donneurs d’ordres”, “imposant leur volonté sans écouter personne”. La synthèse polonaise explique ce refus d’écouter par “la peur des prêtres à devoir s’engager sur le plan pastoral”.
Les catholiques souhaitent “des prêtres mieux formés, mieux accompagnés et moins isolés”. En Autriche, on demande d’aborder la question de “l’épuisement” des prêtres, dont “certains voient leur ministère remis en question”. Les rédacteurs du document prônent “une écoute particulièrement attentive” des “dimensions affectives et sexuelles de leur vie”. Ils évoquent d’ailleurs ceux qui ont quitté le ministère pour se marier, plaidant pour “une Église plus accueillante” et une “protection pour les femmes et les éventuels enfants de prêtres”.
Un “aggiornamento permanent” et une étape continentale
En conclusion, le document appelle à poursuivre la “conversion” de l’Église à la synodalité. L’Église doit désormais se penser comme une “Église en apprentissage” capable de donner corps à “une véritable communauté catholique mondiale” tournée vers la “mission” et non plus vers la “préservation”. “Cette conversion se traduit par une réforme tout aussi continue de l’Église, de ses structures et de son style”, souligne le texte. Il place cette dynamique “dans le sillage de la volonté d’un “aggiornamento” permanent, précieux héritage du Concile Vatican II“.
Dans l’immédiat, c’est l’étape continentale du Synode qui doit poursuivre cette dynamique avec l’organisation d’”assemblées continentales”. Celles-ci rassembleront évêques, prêtres, laïcs et religieux, avec un attention à la présence de femmes, jeunes, pauvres et membres des autres Églises chrétiennes.
Trois questions sont posées à chaque assemblée : quelles sont “les intuitions qui résonnent le plus fortement” ? Quels sont les problèmes révélés par le Synode ? Qu’est-ce qui peut être partagé avec les autres continents ? Le processus doit aboutir à la rédaction de six documents d’étape continentale, lesquels serviront de base à la rédaction d’un Instrumentum Laboris qui sera publié en juin 2023, dans la perspective de la première phase ‘romaine’ organisée en octobre 2023.