On peut chipoter sur les minutes en moins qu’a duré l’entretien du 24 octobre dernier, entre le pape François et le président Macron, par rapport au précédent ! L’essentiel est ailleurs ! Leur troisième tête-à-tête, en seulement quatre ans, a réitéré leur volonté à l’un et à l’autre de profiter de leurs bonnes relations personnelles pour faire progresser la conversation entre la religion et la politique. Jamais, dans l’histoire récente entre le Saint-Siège et la France, un pape et un président de la République n’avaient manifesté autant de goût pour se voir et se parler. Sans tabous. Le chef de l’État a confié ainsi qu’il avait pris l’initiative d’aborder le sujet délicat de la fin de vie… Il a aussi suggéré à François de téléphoner à Poutine, Kirill et Biden… Entre l’ancien professeur jésuite argentin et le jeune président français, qui fut élève des jésuites à Amiens, outre une similitude de tempéraments, il y a, comme diraient les Anglais, du “feeling”. Les sentiments, cela ne se commande pas. Les mettre au service d’une réflexion sur le rôle des religions dans le monde bouleversé d’aujourd’hui, cela traduit une vision. Et cela implique du courage.
Un pied dans le futur
Auparavant, Emmanuel Macron avait été invité par la Communauté catholique Sant’ Egidio à traiter de la paix devant un aréopage international de dignitaires religieux et politiques, et il les avait interpellés : “Nous avons besoin de vous !” Était-ce le SOS d’un dirigeant européen dérouté après huit mois de négociations pour trouver une issue à la guerre de la Russie contre l’Ukraine ? Il faut plutôt entendre le cri lucide d’un gouvernant né après les Trente Glorieuses ; il voit que la politique ne suffit plus pour relever les défis gigantesques du changement d’époque que nous vivons. Pour Macron, les religions sont des pourvoyeuses de sens et de sagesses qui ne peuvent pas être remisées au magasin des accessoires. Il a illustré cette idée en visitant pendant une heure et demie la basilique Saint-Jean-de-Latran, en compagnie de l’archevêque de Paris, mais aussi du recteur de la Mosquée de Paris, de deux rabbins et d’autres personnalités d’horizons variés. La présence de cette délégation insolite dans la cathédrale du Pape a été, selon un témoin, comme “un moment historique où la paix nous échappe des mains”.
Comme Mitterrand, il a un sens de la transcendance, une connivence avec le spirituel, sans dépasser ce qui pourrait être dénoncé par les garants du magistère laïque comme de la connivence avec les religions.
Emmanuel Macron tient-il de Bonaparte qui voulait coiffer l’Église de son bicorne ? Ou bien a-t-il une interrogation métaphysique comme Mitterrand ? Il a peut-être des deux, pense Patrick Valdrini, éminent professeur de droit canonique et chanoine du Latran. “Comme Bonaparte, explique celui qui guida le président dans la basilique, il aime traiter directement des affaires avec le Pape, rêvant de signer — pacifiquement cette fois — une entente moderne entre l’Église et l’État. Comme Mitterrand, il a un sens de la transcendance, une connivence avec le spirituel, sans dépasser ce qui pourrait être dénoncé par les garants du magistère laïque comme de la connivence avec les religions. Comme les deux, il a un pied dans le futur et laisse sonner l’olifant quand on lui reproche de s’occuper de ce qui ne devrait pas le regarder !”
Un complexe minoritaire ?
L’historien italien et fondateur de la Communauté Sant’ Egidio, Andrea Riccardi est l’un des premiers observateurs à avoir pris au sérieux l’intérêt d’Emmanuel Macron pour les questions spirituelles. Cela lui parut évident en écoutant son discours au Collège des Bernardins en 2018. Pour la première fois depuis la loi de séparation de 1905, un président de la République allait à la rencontre de l’Église catholique en lui proposant de devenir une partenaire à part entière d’une société pluraliste qui cherche de nouvelles raisons communes de vivre sous un même drapeau. Cette main tendue ne fut pas saisie par l’épiscopat. Trop soucieux d’enjeux institutionnels, rattrapés bientôt par le scandale des prêtres pédocriminels, et affichant une extrême prudence politique, excessive peut-être, les évêques ont préféré botter en touche. Pour Riccardi, ce rendez-vous manqué a laissé se développer dans l’Église en France un complexe minoritaire qui l’empêche, par exemple, de savoir parler franchement à la société, avec aussi modestie et sympathie, du projet de légalisation du suicide assisté. Néanmoins déclare-t-il dans une interview à La Vie, “le discours historique des Bernardins reste et peut encore porter ses fruits. La tentation des chrétiens européens est de se préoccuper des problèmes internes et, comme le dit le pape François, de sortir peu. Or, l’avenir n’est pas dans la restructuration de la maison mais dans la rue, où il faut se rendre”. On connaît l’adage inspiré des Évangiles : “Nul n’est prophète en son pays !” Emmanuel Macron l’expérimente en allant à Rome, pour récolter un peu là-bas, ce qu’il a semé ici… Une façon de mettre le discours des Bernardins en marche.