“L’humble serviteur dans la vigne du Seigneur”, comme il se désignait alors le jour de son élection, a accepté la lourde charge — qu’il n’avait pas désirée — du souverain pontificat et ce dans un esprit de total abandon à la providence. Pendant huit ans, Benoît XVI a mené la barque de l’Église, cette barque dont il disait, peu avant son élection qu’elle était battue par les flots et par moments prête à couler, salie par tant d’infidélités et de péchés de la part de ceux qui auraient dû en être les meilleurs serviteurs. Il l’a conduite, cette barque, à travers toutes les tempêtes que le prince de ce monde n’a manqué de soulever contre elle. [Aujourd’hui, 16 ans après], nous pouvons rendre grâce à Dieu pour le pasteur et pour le théologien que Joseph Ratzinger a été pour nous.
La passion de l’unité
Pasteur, il l’a été, notamment pendant les huit années où il a exercé le primat sur la chaire de saint Pierre. Il a guidé l’Église avec sagesse et fermeté dans le sillage de son prédécesseur tout en lui imprimant sa marque personnelle. À peine élu, l’année du quarantième anniversaire de la clôture du concile de Vatican II, il nous indiquait comment interpréter cet événement : non pas dans un esprit de rupture et de discontinuité qui ferait de la tradition millénaire de l’Église un passé dont il faudrait s’éloigner, mais dans un esprit de renouveau et de continuité où les textes doivent être lus à la lumière de la Tradition pour en même temps l’actualiser. Il nous indiquait ainsi ce que devait être la juste réception du Concile.
Benoît XVI a eu la passion de l’unité pour la Catholica, l’Église du Christ qui lui a été confiée. Il n’a eu de cesse de ramener à l’unité les frères éloignés depuis peu ou depuis plus longtemps. Ad extra, en facilitant la réintégration de pans entiers de l’anglicanisme et en favorisant un dialogue exigeant et sans concessions avec les autres, orthodoxes ou protestants. Ad intra, en multipliant les gestes de bonne volonté envers ceux qui s’étaient écartés de la pleine communion de l’Église. Il s’est ainsi patiemment efforcé de recoudre la tunique déchirée du Christ en nous invitant tous à regarder plus haut, vers le Seigneur, cœur de notre foi. Et cela aussi par son lumineux magistère ordinaire, tant par les catéchèses du mercredi que par les encycliques, abordant des sujets traditionnels comme l’apport des saints et d’autres plus nouveaux, à travers l’écologie par exemple.
Un maître spirituel
Il a redonné le goût d’une liturgie noble et sacrée, en insistant sur l’orientation de la messe, la dignité de la communion eucharistique, la beauté des ornements et des chants. Par le motu proprioSummorum Pontificum, il a redonné toute sa place à l’ancienne liturgie, en laquelle il reconnaissait depuis longtemps une source toujours actuelle de grâces. La liturgie a toujours été pour lui l’une des sources principales de son œuvre théologique.
Durant ces huit années, où il n’a pas hésité à parcourir le monde, il n’a cessé d’indiquer le visage de Celui qui est au cœur de notre foi.
Dans toute son action pastorale, et en particulier dans les douloureuses affaires disciplinaires dont il a eu à connaître, il s’est laissé guider par le souci de la vérité, vérité révélée ou vérité accessible à la droite raison qu’il n’a cessé par ailleurs de défendre à temps et à contretemps, devant tous les aréopages, qu’ils soient universitaires comme à Ratisbonne, son ancienne alma mater, culturels comme à Paris, ou politiques comme à Londres ou à Berlin. Il a osé résister avec fermeté et douceur aux déchaînements périodiques du pouvoir médiatique, agité par d’obscurs intérêts, et d’autant plus prompt à s’indigner qu’il l’est moins à se convertir. Durant ces huit années, où il n’a pas hésité à parcourir le monde, il n’a cessé d’indiquer le visage de Celui qui est au cœur de notre foi. Il nous a patiemment introduit, de sa parole douce et habitée, dans l’intimité du Maître. Il s’est ainsi révélé le maître spirituel dont nous avions aussi besoin.
Chez lui, dans la Parole de Dieu
Et en cela nous nous souvenons aussi du théologien qu’il n’a jamais cessé d’être, étant chez lui dans la Parole de Dieu, comme en ont témoigné les pages de Jésus de Nazareth et tant d’autres textes. Nous nous souvenons aussi du préfet du Saint-Office, la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui éclaira les points obscurs de la doctrine et synthétisa la Tradition dans le Catéchisme de l’Église catholique, qui mit fin à certaines dérives hétérodoxes par des instructions opportunes, qui défendit la foi des petits contre l’arrogance de théologiens aux doctrines aventureuses et soutenues par les médias. Nous nous souvenons du grand prélat qui osa un jour – dans Entretien sur la foi – dire ce qu’il pensait des années qui suivirent le Concile et ainsi qui rendit courage à tous ceux qui ressentaient le même malaise.
Nous nous souvenons du fin liturge qui contemplait dans la célébration de l’eucharistie l’union du ciel et de la terre, de la liturgie céleste et du chant du cosmos.
Nous nous souvenons du professeur — marqué par la pensée novatrice du cardinal Newman — qui ne cessa de défendre et d’expliciter le dogme dans de multiples cours, conférences, articles et livres, et qui en particulier ne cessa d’un côté de dénoncer le rétrécissement de la raison moderne à ce qu’elle peut manipuler — le quantifiable —, la rendant vulnérable à toutes les manipulations — celles de la technique en particulier —, et de l’autre de promouvoir le sain usage de cette même raison dans la religion pour en préciser la doctrine et pour en purifier les agissements. Nous nous souvenons du fin liturge qui contemplait dans la célébration de l’eucharistie l’union du ciel et de la terre, de la liturgie céleste et du chant du cosmos.
Par ses multiples écrits, dont l’édition complète en français est en cours, Joseph Ratzinger nous laisse une somme que des années d’étude ne sauraient épuiser. Effacé et discret en même temps que ferme et courageux, il reste une des figures intellectuelles et spirituelles les plus marquantes de notre temps.