Je ne sais pas pour vous, mais, moi, les jours d’obsèques, je veux entendre encore un peu de la parole, de la voix de celui qu’on pleure. On se risque à ouvrir ou réouvrir un livre, puis un autre, à la recherche de l’âme, du cœur du défunt. Ce qui frappe le lecteur de Benoît XVI, ou son relecteur, c’est de trouver, si souvent sous sa plume, une conscience très vive de l’immensité de Dieu. Que Dieu soit infini, c’est, tout bien réfléchi, assez normal ! C’est même, pour ainsi dire, sa définition, mais cela redevient original, dans la littérature chrétienne contemporaine, plus prompte — souvent — à valoriser la proximité de Dieu et sa petitesse.
Dans ses Dernières conversations, Joseph Ratzinger le dit : « Dieu est si grand que nous n’aurons jamais fini. Il est toujours nouveau. » Dans Lumière du monde, ouvrage antérieur écrit avec le même Peter Seewald, le pape alors en exercice en faisait sa feuille de route : « Nous devons montrer que l’infinité dont l’homme a besoin ne peut venir que de Dieu » et c’est même un objectif : « Nous devons aussi trouver de nouveaux mots et de nouvelles manières pour permettre aux gens de franchir le mur du son de la finitude. »
Dans ce regard ouvert vers l’absolu, la mission de pape est, par voie de conséquence, « une charge immense. Quand on sait que comme aumônier, comme curé, comme professeur, on porte déjà une grande responsabilité, il est facile d’imaginer par extrapolation quel fardeau gigantesque pèse sur celui qui porte la responsabilité de toute l’Église ». Chaque fois que le pape défunt parlait de Dieu, du réel, de sa mission, c’était donc pour dire sa grandeur, si clairement qu’on se sent, avec lui petit, tout petit, presqu’écrasé comme un personnage de Sempé perdu dans un immense dessin.
« À côté des grands papes, il y en avait aussi de petits, qui donnent ce qu’ils peuvent » confessait-il humblement. Sitôt élu, il avait d’ailleurs confié sa conviction aux cardinaux : « Mon pontificat sera de courte durée, ce sera un pontificat de paix et de réconciliation, de travail mais aussi de souffrances. » Et ses premiers mots au balcon de Saint-Pierre : « Après le grand pape Jean-Paul II, Messieurs les cardinaux m’ont élu, moi, simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur. »
« C’est un saint que j’ai rencontré »
En janvier 2016, j’ai eu la joie d’accompagner un cardinal et un sportif à une audience privée avec le pape émérite dans son monastère, Mater Ecclesiae, sur les hauteurs des jardins du Vatican. Quand s’ouvre la porte de l’ascenseur, le pape émérite lâche son déambulateur, s’approche de nous avec un vrai sourire. La conversation dure quelques minutes et évoque des choses toutes simples. Puis Benoît XVI s’en va. Nous sommes reconduits dans le petit salon d’attente où nous avions laissé nos affaires. Notre sportif tombe ici à genoux, prostré, en larmes, submergé par l’émotion. Il me dira, ces jours derniers, combien il avait senti alors l’Esprit de Dieu, et son fardeau de pécheur, au point qu’il demande immédiatement à se confesser, ce qu’il fit en redescendant — pieds nus — dans les jardins du Vatican : « Pour moi, j’ai rencontré un saint, j’espère qu’il sera canonisé, commente-t-il aujourd’hui, même si je n’ai pas fait beaucoup d’école, mais j’ai fait l’école de la vie. C’est un saint que j’ai rencontré. »
Merci Benoît XVI, pour votre petitesse qui nous reconnectait à l’immensité ! Dans un autre livre, Joseph Ratzinger racontait son arrivée au Vatican : « J’ai fait mes valises pour Rome et depuis longtemps je marche, mes valises à la main dans les rues de la Ville Éternelle. J’ignore quand on me donnera congé. » Vous pouvez désormais poser vos valises, Très Saint Père, vous voici à la maison. « Pour de bon ! »