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Comment aimer encore l’Église ?

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AFP/Getty Images

Michel Cool - publié le 21/01/23

Aimer l’Église quand celle-ci vous fait souffrir, c’est la lancinante épreuve vécue par de nombreux chrétiens. Il n’y a peut-être pas de réponse toute faite à ce dilemme intérieur, suggère l’essayiste Michel Cool, sinon dans le silence habité par la présence de Dieu.

Comment aimer l’Église dans le contexte actuel des abus de toutes sortes qui défraient régulièrement la chronique ? Comment aimer l’Église quand de prétendus témoins de la foi, après avoir été portés aux nues, voient leurs turpitudes démasquées et sont déboulonnés comme des statues de pierre frappées de pulvérulence ? Comment aimer l’Église quand tant de personnes souffrent dans leur âme et leur chair parce qu’elles se sentent incomprises, brimées ou écartées par elle ? Comment aimer l’Église quand les murs du Vatican dégagent des remugles d’affaires sulfureuses non réglées, mettant en jeu des vies humaines, comme celle d’Emanuela Orlandi, jeune citoyenne du Vatican disparue depuis 1983, et laissant des familles abandonnées à leur ignorance et à leur chagrin. Comment aimer l’Église, quand un ancien pape étant à peine enterré, un de ses proches publie un livre à gros renforts publicitaires, comme on lance une boule puante, pour ternir la réputation du pontificat en cours ? Comment encore aimer l’Église ?

Cette Église qui fait souffrir

On peut bien sûr fuir la question en faisant la politique de l’autruche, en enfouissant sa tête dans le sable. On peut aussi crier au complot : c’est un artifice récurrent mais qui témoigne souvent d’une faiblesse ou d’une étroitesse d’argumentation, voire d’une pathologie paranoïaque. On peut encore — autre pirouette fréquente — distinguer l’amour du Christ de l’amour de l’Église en considérant que cette dernière n’est vraiment pas digne de son fondateur et qu’elle peut donc ne pas être aimable. Ce point de vue s’oppose à celui de catholiques pratiquants ou engagés pour qui l’Église incarnant le corps du Christ, chacun de ses membres est co-responsable de l’ensemble. Pour certains, l’Église ayant un caractère sacré et formant une “société parfaite”, l’aimer docilement — aveuglément ? — sans condition, serait comme l’acmé d’une foi authentiquement catholique. D’autres plus instruits de la théologie conciliaire de “l’Église peuple de Dieu”, misent sur son effort de conversion évangélique permanente. Et puis parmi ceux, laïcs ou clercs, qui sont montés en première ligne pour lutter contre les abus et écouter les témoignages des victimes, beaucoup sont aussi taraudés par cette question lancinante, perçante comme une plaie à vif : “Comment encore aimer cette Église qui crée tant de souffrances et me fait souffrir ?”

Comment aimer une Église blessante ? Le silence du Christ face à Pilate — peut nous aider peut-être à résister à la détresse, à la colère, voire à la rupture

La voix du silence

Il n’y a peut-être pas de réponse toute faite à apporter à ce dilemme intérieur. Devant Pilate lui demandant : “Qu’est-ce que la vérité ?” (Jn 18, 38), Jésus qui lui fait face, les mains enchaînées et le dos lacéré par les coups de fouet, lui répond par un profond silence. Ce silence n’est ni une dérobade, ni un aveu de défaite, encore moins une forme d’arrogance spirituelle. C’est un silence habité par la présence de Dieu et par le respect d’autrui ; un silence respectueux de la dignité d’autrui, quel qu’il soit, aimable ou répulsif ; un silence qui invite le questionneur à rechercher lui-même la vérité des choses, à faire son propre pèlerinage de sens, son examen de conscience, son inventaire personnel ; à chercher, à trouver une réponse, ou à défaut, une esquisse de réponse à apporter à une question qui le tarabuste, lui fait mal.

Comment aimer une Église blessante ? Le silence du Christ face à Pilate — peut nous aider peut-être à résister à la détresse, à la colère, voire à la rupture ; à ne pas non plus succomber à la pente si facile de “jeter le bébé avec l’eau du bain”, et de sombrer dans un nihilisme très amer. Le silence du Christ face à Pilate — qui se lavera les mains de la mort d’un juste — peut nous inspirer de préserver en nous le “courage de la nuance”, l’exigence du discernement et le choix de la persévérance.

Au sommet de l’âme

Devant le visage de l’Église défiguré par les écarts fautifs, les actes criminels de certains de ses membres, il ne faut pas craindre de lancer des “Appels au Dieu du silence” pour reprendre le titre du livre d’un des plus éminents théologiens catholiques du XXe siècle, le jésuite allemand Karl Rahner (réédité chez Salvator en 2017). Quelques jours avant sa mort, Joseph Ratzinger s’enquérait auprès du théologien français Michel Fédou de l’influence de l’œuvre de son illustre collègue et compatriote. Dans ce beau livre, écrit en amont des horreurs de la guerre et organisé en dix méditations, Rahner invite son lecteur à dialoguer, comme lui et à l’instar du Psalmiste, d’Augustin d’Hippone ou d’Ignace de Loyola, avec le Dieu du silence. Il découvrira alors durant ce “dialogue au sommet de l’âme”, combien Dieu silencieux sait aussi s’approcher, se donner, être là à ses côtés. Il pourra aussi faire l’expérience intime, personnelle de Dieu “qui ne peut d’aucune façon être confondu avec quoi que ce soit d’autre, quand il se fait proche ainsi lui-même, par sa grâce”. Comment encore aimer l’Église ? En faisant appel plus souvent que d’habitude au Dieu du silence, car Lui tient toujours ses promesses.

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ÉgliseVatican
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