Jésus aurait-il des préférences ? La question dérange, car on a l’étonnante impression de ne jamais faire partie de ces élus. ‘‘Jésus préfère les pauvres’’ ; mince, je vis confortablement ; ‘‘Il préfère les étrangers’’ ; dommage, je suis chez moi, et ainsi de suite. Le simple fait que saint Jean évoque le “disciple bien-aimé”, fait immédiatement basculer le lecteur dans le champ de la gradation, fruit d’une certaine tendance naturelle à la jalousie présente dans le cœur de l’homme. Est-ce à dire que certains disciples seraient moins aimés du Christ ?
La pauvreté, une attitude spirituelle
Jésus a vécu comme un pauvre, d’une véritable pauvreté humaine et matérielle ; pas dans la misère, mais dans le détachement, afin de vivre pauvrement parmi les pauvres. Indiscutablement, le ministère de Jésus témoigne de son attention très forte aux plus démunis : par son mode de vie, il est très attentif à celui qui n’a pas ; qu’il s’agisse de pauvreté physique (le lépreux), matérielle (Bartimée, l’aveugle qui mendie), ou spirituelle (le fils prodigue). Toutefois, la pauvreté de Jésus n’est pas circonstancielle mais choisie et le rend libre. Il a lui-même vécu cette pauvreté, de sa naissance à Bethléem à sa mort, alors que les soldats se partagent ses vêtements. Son détachement va même jusqu’aux extrême confins de la détresse humaine, à Gethsémani, lorsqu’il implore le Père : “Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe” (Lc 22,42). Ainsi, la pauvreté n’est pas uniquement une circonstance de vie, mais une attitude spirituelle alors que la richesse est un obstacle à la rencontre avec Jésus.
L’homme riche pense n’avoir pas besoin de Dieu
Le riche est celui qui se laisse submerger par les tracas de la vie, et qui finit par se perdre dans les soucis du monde jusqu’à en oublier l’essentiel. C’est le sens de la parabole des invités aux noces : la richesse occupe la vie et finit par détourner de la rencontre avec Dieu. D’ailleurs il ne s’agit pas tant ici des richesses matérielles que des vies déjà remplies d’elles-mêmes : quand le sens de ma vie ne tourne que sur moi, je n’ai plus besoin de Dieu. La ligne est occupée, il n’y a plus de place pour Lui. Dans la parabole de Lazare, ce que Jésus reproche au riche propriétaire n’est pas d’avoir des richesses, mais que ces richesses l’empêchent de donner sa juste place à l’homme qui attend à sa porte. Lorsque le Christ annonce qu’“il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux” (Mt 19, 24), il ne vise pas tant la richesse matérielle qu’une vie déjà pleine d’elle-même, lorsque l’homme pense n’avoir plus besoin de Dieu parce qu’il trouve son épanouissement dans son mariage, son travail, ou sa vie sociale.
“Le pauvre est celui qui ne trouve sa richesse qu’en Dieu”
Dès lors, qu’est-ce qu’un pauvre ? Difficile en effet de définir un pauvre puisque même le riche qui ne partage pas vit une forme de pauvreté, poursuit le prêtre. En cela, tout homme est un pauvre. Cependant, il semble qu’à travers l’épisode de la veuve (Lc 21, 1-4) et la parabole de Lazare (Lc 16, 19-31), le pauvre est celui qui ne trouve sa richesse qu’en Dieu et que le riche soit celui qui refuse de se recevoir de Dieu. L’évangile semble manifester que Dieu est démuni devant celui qui ne veut pas l’accueillir et qui croit pouvoir se sauver lui-même. Or après l’épisode du jeune homme riche, Jésus dit à ses disciples : pour l’homme, c’est impossible ! Jésus préfère la pauvreté, c’est là le sens du conseil évangélique : “Ne vous faites pas de trésors sur la terre, nous intime le Christ, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel […]. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur” (Mt 6, 19-21).