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La sainte incrédulité de saint Thomas

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HERITAGE IMAGES / AURIMAGES

L'Incrédulité de saint Thomas, Le Caravage, 1600-1601.

Jean-François Thomas, sj - publié le 15/04/23

On se moque facilement de saint Thomas l’incrédule, dont la foi est grande. Son désir de toucher le Christ est aussi celui d’être touché par la grâce du Maître. À sa suite, nous sommes invités à utiliser tous nos sens, et pas simplement la vue, pour saisir l’événement de la Résurrection.

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Parmi le groupe des apôtres, saint Thomas est sans doute celui qui a provoqué le plus de commisération chez les fidèles qui se regardaient comme des esprits forts. Nous levons sévèrement les yeux vers le ciel en entendant de nouveau le récit de son incrédulité dans l’Évangile selon saint Jean (Jn 20, 19-31) : comment put-il douter de la Résurrection du Maître alors que ses confrères et les saintes femmes en témoignaient ! Quelle âme tiède et bornée ! Ah ! si nous avions été à sa place, nous n’aurions eu besoin d’aucune preuve pour croire ! Il faut reconnaître que nous possédons généralement une facilité étonnante à nous placer au-dessus de la mêlée, avec une bonne conscience et un aveuglement hors du commun. La contemplation d’une des toiles les plus célèbres du Caravage peut nous remettre les idées en place. Il s’agit de l’Incrédulité de saint Thomas, peinte en 1602 pour le marquis Vincenzo Giustiniani à Rome, alors que l’artiste vient de perdre le soutien de son mécène le cardinal Francesco Maria Bourbon del Monte. Passée dans les collections des rois de Prusse, avec d’autres toiles du Caravage hélas détruites durant la Seconde Guerre mondiale, cette peinture s’est creusée une niche au milieu d’une multitude d’autres compositions au cœur de la galerie du palais Sanssouci de Postdam. Il se fait petit, et pourtant, il crève l’espace et repousse dans l’ombre les peintures qui le cernent. De ce tableau lui-même n’émerge plus que la figure du Christ ressuscité, comme s’Il sortait juste à l’instant de son tombeau. 

« Il est comme saint Thomas »

L’épisode du doute de saint Thomas est tellement fameux que cet Apôtre est devenu le symbole de ceux qui ont besoin de preuves concrètes pour croire à la réalité. Chacun a déjà utilisé cette expression : « Je suis comme saint Thomas… » ou bien « Je ne suis pas comme saint Thomas… » Il est devenu la balance Roberval de l’incrédulité idiote et bornée. Devant le tableau du Caravage, il faut relire les savoureuses lignes de Léon Bloy dans son Exégèse des lieux communs, au sujet de cette expression si usitée par les intelligences supérieures : 

Vous l’avez tous connu, ce Sicambre du pot-au-feu, affirmant ainsi son indépendance. Il est comme saint Thomas. Pour croire, il a besoin de voir et de toucher. Car il est bien entendu, n’est-ce pas ? que l’apôtre saint Thomas, surnommé le Double Abîme par l’Esprit saint, doit être apprécié selon la jugeotte contemporaine et mesuré avec la dernière exactitude, d’après les irréprochables méthodes d’évaluation psychologique instaurées par les Paul Bourget pour l’assiette indéfectible du Bourgeois. Aucun homme doué d’intelligence n’hésitera à reconnaître que saint Thomas est le patriarche des positivistes, c’est-à-dire des hommes sans foi et même, s’il faut tout dire, d’un assez grand nombre de crapules qui se faufilent, par malheur, dans ce groupe lumineux, quelques précautions qu’on prenne. Mais il y a une chose très belle qu’on ne dit pas. C’est que le disciple a dépassé le maître et que le Bourgeois est beaucoup plus grand que saint Thomas. Son admirable supériorité consiste, en effet, à ne pas croire, même après avoir vu et avoir touché. Que dis-je ! à devenir incapable de voir et de toucher à force de ne pas croire. Ici on est au seuil de l’Infini. Une visionnaire fameuse a dit que le doigt de saint Thomas, ce doigt qui est entré dans les Plaies des Mains, fait tourner le monde. C’est effrayant de songer à ce que peut faire tourner un individu qui est plus grand que saint Thomas et qui ne croit être que son égal ! (XXI, Je suis comme saint Thomas…

Un homme sensé

Les nains ne peuvent pas se moquer du géant. Il suffit de reprendre les paroles du récit évangélique pour découvrir que c’est Notre Seigneur Lui-même qui, apparaissant une première fois à dix apôtres, leur montre aussitôt les plaies de ses mains et de son côté : « Jésus vint, et se tint au milieu d’eux, et leur dit : “La paix soit avec vous !” Et après avoir dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent donc, en voyant le Seigneur » (Jn, 20,19-20). Voir n’est donc pas une faiblesse ou un péché. Thomas, absent ce jour-là, réagit à ce que lui rapportent ses frères comme tout un chacun l’aurait fait : lui aussi veut voir, et, comme il est exigeant et curieux, il veut, en plus, toucher les plaies car les yeux sont trompeurs et ils peuvent voir ce qui n’existe pas, ils peuvent se laisser prendre au piège par de malins esprits : « Les autres disciples lui dirent donc : “Nous avons vu le Seigneur.” Mais il leur dit : “Si je ne vois dans ses mains le trou des clous, et si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point” » (Jn 20, 25). Bref, un homme sensé. D’ailleurs son désir de toucher est aussi celui d’être touché, touché par la grâce du Maître, lui qui est un familier du Seigneur.

Lorsque le Christ apparaît de nouveau, cette fois en sa présence, il saute aux yeux que toutes les réserves de saint Thomas tombent instantanément : « Et il se tint au milieu d’eux, et dit : “La paix soit avec vous ! Ensuite il dit à Thomas : “Introduis ton doigt ici, et vois mes mains ; approche aussi ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais fidèle.” Thomas répondit, et lui dit : “Mon Seigneur et mon Dieu !” » (20, 26-28.) Son exclamation qui est l’acte de foi le plus profond qui soit, puisqu’il reconnaît Jésus comme Dieu, met en marche la foi de toute l’Église. Il n’a plus besoin de voir ou de toucher. Saint Jean n’écrit pas que saint Thomas toucha les saintes plaies. Le Caravage ne respecte pas ici le texte évangélique, il nous entraîne plus loin, plus avant, car il sait, de par sa propre expérience, que nous avons besoin de plus de preuves que le bon saint Thomas. 

Vers l’intérieur du corps ressuscité

Dans sa composition, il fait surgir trois apôtres, dont Thomas, de l’obscurité tandis que le Ressuscité est, non point dans la lumière, mais source de la lumière. Avec quelle rudesse et quelle autorité enfonce-t-Il le doigt de son disciple dans son flanc ouvert ! jusqu’à ce Cœur qui aime tant les hommes… Les trois hommes sont marqués par le temps et par la vie rude, par le péché et par la tristesse, ils sont burinés et ridés à force d’efforts, de luttes, de marche dans les ténèbres d’où ils émergent. Ils quittent enfin la nuit pour le soleil du grand jour. Ils étaient des mendiants, comme la manche décousue de Thomas semble l’indiquer, et ils reçoivent l’aumône qui les rend riches à jamais. Saint Thomas scrute, s’avançant aussi près qu’il le peut, abandonnant son doigt à la puissance du Maître. Tout son être est poussé en avant, vers l’intérieur de ce Corps ressuscité. Ce n’est plus la lance qui ouvre le côté du Christ, mais le doigt de l’homme encore hésitant mais subjugué. Du voir, il faut passer au toucher, et du toucher à l’extase, à la saisie totale, comme ce que vivra plus tard sainte Thérèse d’Avila dans sa transverbération lorsque l’Ange lui apparaît : 

Jai vu dans sa main une longue lance d’or, à la pointe de laquelle on aurait cru qu’il y avait un petit feu. Il m’a semblé qu’on la faisait entrer de temps en temps dans mon cœur et qu’elle me perçait jusqu’au fond des entrailles ; quand il l’a retirée, il m’a semblé qu’elle les retirait aussi et me laissait toute en feu avec un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu’elle me faisait gémir ; et pourtant la douceur de cette douleur excessive était telle, qu’il m’était impossible de vouloir en être débarrassée. L’âme n’est satisfaite en un tel moment que par Dieu et lui seul.La douleur n’est pas physique, mais spirituelle, même si le corps y a sa part. C’est une si douce caresse d’amour qui se fait alors entre l’âme et Dieu, que je prie Dieu dans Sa bonté de la faire éprouver à celui qui peut croire que je mens (Autobiographie, XIX. 17). 

Toucher ce qui échappe à la mort

Le doigt de Thomas est une flèche, non point pour que son Seigneur entre en extase, mais pour que s’opère une transverbération inversée, puisque la lumière du Christ passera en l’apôtre par ce doigt qui est toute l’humanité enfin rachetée et transfigurée. Cet échange est bien mystérieux puisque Thomas est ainsi assujetti à la puissance divine, tout en étant le libre auteur du mouvement qui le transforme. Le Caravage saisit ce moment unique de conversion où l’apôtre dépose sa fausse liberté pour être revêtu de celle qui détruit l’esclavage du péché. Ainsi, à la suite du disciple, nous sommes invités à utiliser tous nos sens, et pas simplement la vue, pour saisir l’événement de la Résurrection. Saint Grégoire le Grand, commentant ce passage de l’Évangile, souligne combien tout ce que nous touchons habituellement est appelé à se corrompre (Homélies sur l’Évangile selon saint Jean, XXVI), tandis que dans ce cas saint Thomas est appelé à toucher ce qui échappe pour l’éternité à la destruction et à la mort. L’apôtre touche l’éternité et entre déjà en paradis. Il ne regarde pas le Christ mais son doigt dans l’ouverture béante, et le Christ ne pose pas les yeux sur ses apôtres mais sur ce geste qui les introduit à ce que son être possède de plus précieux, la vie éternelle. Tous les sens sont alors suspendus et s’effacent derrière une autre dimension, celle où ils ne seront plus nécessaires. Ne nous attachons pas au doute de Thomas mais plutôt à l’élan qui l’emporte, et tous les Apôtres à sa suite. Le Maître a ensuite raison de proférer ces paroles de sagesse :« Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! » (Jn20, 29.) Se laisser happer par les Plaies du Christ en se configurant à ce qu’Il est, en L’imitant, en s’unissant à Lui, telle est la récompense pascale.

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Résurrection du Christsaint thomas
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