Nous sommes dans une classe de collège, comme il en existe partout en France. Depuis le début de l’année, Cécile se colle invariablement au fond de la classe. Les autres ont bien repéré qu’elle était un peu “ralentie”. Elle ne comprend pas grand-chose, et quand elle comprend, c’est toujours après tout le monde. Le groupe de filles assises à quelques mètres d’elle a pris l’habitude d’en rigoler en douce, de sourire en coin. Personne ne la maltraite, personne ne va vers elle, et c’est comme ça depuis le début de l’année. Même Marie-Hélène, une élève sensible et généreuse semble s’être fait une raison : Cécile n’est pas comme nous mais n’a pas l’air d’en être très malheureuse, laissons-la tranquille. Comme on dit, elle est vraiment “ralentie”. D’autres pensent même “attardée”.
Le besoin d’être aimé
Mais un jour, alors qu’une moquerie lâchée un peu plus haut traverse les bavardages, la jeune Marie-Hélène jette un regard par-dessus son épaule. Elle aperçoit Cécile, toujours dans son coin, toujours impassible. Impassible ? Non. Une larme, une toute petite larme a perlé au coin de son œil, et coule lentement le long de sa joue. Pour Marie-Hélène, ce n’est pas une simple larme, c’est une déchirure qui la marque au cœur, à vie. Elle comprend que l’enfant renfermée vit des émotions, a des sentiments en dépit de son intelligence empêchée. Elle comprend qu’un enfant enfermé par son handicap a les mêmes besoins profonds que tout un chacun : le besoin d’être aimé, d’être accueilli, le besoin d’avoir des amis. Et Cécile pleure à l’intérieur d’elle-même depuis des semaines. Aujourd’hui la larme est sortie.
Cet événement est arrivé il y a quatre-vingt-ans dans un petit collège de filles, comme il y en avait tant en France. Depuis, Marie-Hélène Matthieu a fondé l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) pour offrir le meilleur aux fragiles, aux désemparés, aux désarçonnés par la faiblesse de leur condition physique et mentale : des amis, un soutien, une communauté. Elle a fondé le premier grand pèlerinage de Lourdes dédié aux personnes handicapées, à une époque où le projet paraissait totalement aventureux. Parce qu’on ne peut pas laisser tout seul et sans amitié quelqu’un qui va mal.
“Que veux-tu que je fasse ?”
La leçon de cette larme et de l’aventure humaine qu’elle a déclenchée est immense. Parfois nous exprimons des désirs, parfois nous répondons aux désirs des autres mais passons à côté de leurs besoins profonds. Le désir apparent de cette petite fille au fond de la classe ? Qu’on lui fiche la paix, qu’on la laisse tranquille, qu’elle puisse rester aussi transparente que possible, le plus longtemps possible. Mais son besoin profond ? Tout l’inverse : avoir des amies, pouvoir comme les autres s’amuser avec des filles de son âge.
Ouvrir les yeux sur les petites larmes, avoir le cœur sensible au besoin non exprimé de notre frère.
Il y a des petites larmes qui disent les besoins profonds de nos âmes. Là où nous pensons exaucer un désir : en finir plus vite, quitter cette terre au jour où on l’aura décidé, nous pouvons enterrer un besoin profond : être aimé jusqu’au dernier souffle. N’hésitons pas alors à poser la question que fr.aleteia.org/tag/jesus/">Jésus pose à l’aveugle Bartimée”>Jésus pose à l’aveugle Bartimée : “Et toi, que veux-tu que je fasse pour toi ?” Quelle question ! Jésus est Dieu, il sait ce que veut Bartimée. Et pourtant, il laisse Bartimée exprimer son besoin profond. Bartimée aurait pu demander une piécette à l’homme qui lui parle, exprimer une envie raisonnable. Mais non, il tente le tout pour le tout, il demande le grand jeu, le maximum : voir. La lumière, les couleurs, la vision, enfin. Et Jésus, qui veut combler non seulement nos désirs mais nos besoins les plus profonds, lui donne la vue.
C’est peut-être une demande que nous pouvons alors faire à Jésus : nous accorder d’ouvrir les yeux sur les petites larmes, d’avoir le cœur sensible au besoin non exprimé de notre frère, de notre soeur, d’être de ceux qui transforment une petite larme de détresse en torrent de générosité.