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Prigojine, la journée des dupes

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Handout / TELEGRAM/ @concordgroup_official / AFP

Evgueni Prigojine, le chef de Wagner

Jean-Baptiste Noé - publié le 29/06/23

Après avoir semé la stupeur en Russie et en Occident, Evgueni Prigojine et sa milice Wagner sont rentrés dans le rang. L’épisode a duré moins d’une journée, observe le géopoliticien Jean-Baptiste Noé, mais il a suscité un flot de commentaires souvent contradictoires.

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Stupeur en Russie et en Occident : après des déclarations tonitruantes de leur chef Evgueni Prigojine, qui ont émaillé les dernières semaines, voici que les forces de Wagner prennent d’assaut le QG de commandement de Rostov-sur-le-Don et que plusieurs dizaines de véhicules se lancent sur la route de Moscou. Nombreux sont ceux qui s’attendent à un coup d’État et qui annoncent le renversement prochain de Vladimir Poutine, témoignage de son affaiblissement. Puis, moins d’une journée plus tard, et alors que des véhicules de Wagner sont à moins de 200 kilomètres de Moscou, le même Prigojine fait de nouveau une intervention tonitruante pour annoncer la fin de l’opération, son départ en Biélorussie et l’intégration des hommes de Wagner dans l’armée régulière. Une stupeur a chassé l’autre et beaucoup semblent avoir vécu une journée des dupes.    

Brouillard de guerre

L’événement mérite étude autant par son déroulé que par la façon dont il fut analysé et commenté. L’expression « brouillard de la guerre » n’a jamais été aussi juste. Durant cette journée, très peu d’information a filtré : quid de la situation réelle à Rostov, du nombre d’hommes de Wagner engagés dans l’opération et, point le plus important, des objectifs de Prigojine ? On lui a prêté beaucoup : volonté de faire un coup d’État, de renverser Vladimir Poutine, voire de déclencher une guerre civile. Or lui-même n’a jamais affiché ses intentions de façon claire : adepte des coups de sang et des propos péremptoires, il a dit tout et son contraire. Dans le flot des commentaires, ce sont surtout des projections de désirs qui se sont manifestées, c’est-à-dire interpréter et expliquer les événements en cours selon ses désirs propres et non pas selon l’état de la situation.

C’était oublié un peu vite ce que Wagner est. Il ne s’agit pas d’une société militaire privée (SMP) ou d’une entreprise de Prigojine, mais d’une structure militaire créée par le ministère russe de la Défense, à la tête de laquelle Prigojine a été placée. Wagner n’a aucune autonomie en dehors de l’État russe : c’est le ministère qui l’emploie, qui le finance et qui lui fournit les armes et les pièces de rechange. L’associer à du mercenariat est à ce titre un contresens, car les mercenaires ont une autonomie financière et, s’ils sont au service d’État-client, ils ne sont pas créés et gouvernés par ceux-ci. 

Des deux côtés, il y a eu des propos fermes, mais jamais de geste irrémédiable qui auraient pu empêcher une situation de non-retour.

Oublié aussi la personnalité propre de Prigojine. Il est resté un caïd, ancien cuisinier, ancien taulard, homme de basses manœuvres, disposant néanmoins d’un courage certain (il a été au plus près des lignes de front) et d’un grand sens de la communication (ses prises de paroles et les vidéos diffusées sont toujours à propos). Il a pris garde de ne jamais attaquer directement Vladimir Poutine. C’est au ministre de la Défense et au général en charge de l’opération en Ukraine qu’il s’en prend, non au chef du Kremlin. 

Le bilan matériel et humain de l’opération Prigojine est faible : deux ou trois hélicoptères abattus, deux avions de transport, une dizaine d’hommes tués. Nous sommes très loin d’un bilan de guerre civile. Wagner a envoyé 150 véhicules vers Moscou, dont certains étaient blindés. Soit au plus 1.500 hommes. Pas de quoi prendre une capitale et renverser le gouvernement. S’il y a eu demi-tour à 200 kilomètres de Moscou, le convoi n’était de toute façon pas armé pour attaquer les faubourgs de la capitale. L’armée russe n’est elle-même jamais intervenue, ni l’aviation qui aurait pu bombarder le convoi. Des deux côtés, il y a eu des propos fermes, mais jamais de geste irrémédiable qui auraient pu empêcher une situation de non-retour. On ne fait pas non plus un coup d’État depuis une ville de province, fut-elle le QG des opérations en Ukraine. Pour réussir, un coup d’État doit toujours se faire dans la capitale et Prigojine le sait plus que quiconque lui qui a conduit de rudes batailles urbaines.  

Quelles interprétations ? 

Cette intervention de Prigojine ressemble à une revendication musclée d’un syndicaliste. Le ministère de la Défense avait demandé aux hommes de Wagner d’intégrer l’armée officielle. Ce fut probablement un des enjeux des négociations, avec la question salariale et celle des pensions pour les blessés. Prigojine a aussi négocié son futur, dont on ne connaît rien. Les mois qui viennent permettront de voir s’il connaît un accident de voiture ou une chute de fenêtre inopportune. Dans la dernière déclaration de Vladimir Poutine, il a été laissé trois choix aux hommes de Wagner : partir en Biélorussie, quitter Wagner, intégrer l’armée russe. C’est ce qui était déjà prévu avant le coup de force de samedi. Reste à voir si Wagner continuera d’opérer en Afrique, où la société a signé de juteux contrats et où elle rend un service certain à Moscou.  

Vladimir Poutine ressort-il affaibli de cette séquence ? Pas vraiment. Il a fait deux brèves interventions télévisées, l’ordre est revenu en moins de 24 heures, Prigojine a quitté la Russie pour la Biélorussie et l’épineuse question de Wagner et de sa force de frappe a été résolue puisque les hommes vont intégrer l’armée officielle. Il y a eu surprise et déstabilisation, mais le pouvoir russe a réussi à reprendre la main et couper court à d’éventuels débordements. Cet épisode passé, reste pour la Russie l’essentiel : terminer la guerre et en sortir victorieux, ce qui s’avère plus compliqué que de canaliser les coups de sang de Prigojine. 

Tags:
PolitiqueRussie
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