Commençons aujourd’hui par une courte histoire. Il existe une pensée juive qui interprète la présence de cette marque de quelques centimètres que nous avons de la base du nez à la lèvre supérieure. Je m’excuse déjà pour les oreilles médicales qui trouveraient cette explication un peu surannée. L’interprétation donnée est la suivante : alors que le bébé est encore dans le ventre maternel, il est en présence de Dieu, il voit Dieu, il lui est intime. Et au moment précis de sortir, un ange divin vient frapper de son doigt, comme pour lui dire “chut”. Il dit ainsi au nouveau-né, qu’il ne doit pas révéler ce qu’il savait de Dieu, parce que de l’autre côté, nous, ne comprendrions pas. Il nous faudra alors, le temps de notre vie terrestre, tout réapprendre en nous efforçant de retrouver un cœur d’enfant. Un cœur curieux de Dieu, un cœur qui se laisse enseigner. D’une certaine manière, cette interprétation se trouve un tant soit peu confirmée par Jésus, lorsqu’il dit que le Royaume des cieux appartient aux enfants et à ceux qui leur ressemblent (Mt 19,14).
Avoir ce cœur d’enfant
En ce dimanche, la première lecture évoque une naissance miraculeuse à venir (R 4, 8-16), tout comme la lecture de la veille (Gn 18, 1-15). L’évangile ne parle en revanche ni des enfants ni du Royaume, mais il me semble pourtant y déceler un lien. De fait, Jésus dit ceci : “Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète” (littéralement il est écrit : en nom de prophète) (Mt 10, 41). Or pour accueillir vraiment en tant que prophète, c’est-à-dire pour discerner Dieu à travers celui ou celle qui vient à moi, je crois qu’il faut avoir ce cœur d’enfant, ce cœur qui recherche Dieu. Il est indéniable que seule la foi peut discerner, dans l’apôtre, le Christ qui l’envoie. Par la foi nous intériorisons cet accueil, et nous pouvons devenir des disciples missionnaires.
Une récompense de prophète
Notre être de disciple est alors marqué de quatre façons que je relève dans l’évangile proclamé ce dimanche. Je précise que je lis les paroles de Jésus en considérant que je suis un des disciples auxquels le Seigneur s’adresse. Mais cela vaut aussi pour vous. D’abord Jésus m’invite à le préférer à tout. C’est le Deus primum, c’est-à-dire Dieu premier servi ! (dixit Jeanne d’Arc, ou Louis et Zélie Martin, par exemple). Avoir un amour préférentiel, voire d’exclusivité, nous connaissons cela humainement parlant, c’est d’ailleurs un écueil possible de l’amour. Mais ici, le Christ nous le demande expressément : aimer Dieu plus que tout. Ensuite, Jésus me convoque à sa suite, en prenant ma croix. Cette sequela Christi (suite du Christ) doit passer par la souffrance ; mais une souffrance acceptée par amour. C’est un sens du mot passion que l’on oublie parfois. Aimer c’est crucifiant !
Puis, Jésus m’inscrit dans une chaîne de transmission qui me relie au Père. En effet, le Père envoie le Fils, qui envoie les disciples, eux-mêmes faisant d’autres disciples. Et lorsque ces derniers “accueille[nt] un prophète en sa qualité de prophète”, alors c’est comme si l’amour remontait à travers eux vers Christ. Quant à Jésus, il récapitule tout en Dieu son Père. C’est ainsi que notre vocation baptismale s’exprime pleinement. Enfin, Jésus me dit quelle sera ma récompense. Si j’accueille un prophète sur cette terre, je recevrai une”récompense de prophète” (Mt 10, 41). Mais bien sûr… pour cela il me faut accepter de perdre ma vie ici-bas, pour trouver la vie éternelle, en Dieu. Tout dépend de la mesure avec laquelle j’ai mis toute ma foi en Dieu (et là nous revenons au premier point, Deus primum).
Accueillir au nom de Jésus
Au fond, accueillir un prophète en nom de prophète, réclame d’accueillir au nom de Jésus. Un geste de bienfaisance humanitaire, aussi fort soit-il, est d’un autre ordre qu’un acte dont la charité chrétienne est la source. Ne serait-ce qu’un simple verre d’eau (Mt 10, 42), dit Jésus. Si c’est notre foi en Dieu qui nous conduit à agir, si nous aidons le prochain comme membre du [corps du] Christ, alors ce geste nous obtiendra une récompense céleste. Cette récompense sera du même ordre : l’amour que nous aurons exprimé au nom de Dieu, nous sera rendu par Dieu en amour. Saint Grégoire donne une précision intéressante : “Celui qui pourvoit à la nourriture du prophète, lui donne la force de parler : il recevra donc avec le prophète la récompense du prophète, parce qu’il a subvenu à ses besoins dans l’intention de plaire à Dieu” (St Grégoire, Cat. Aurea, 4040).
Présentons donc au Seigneur notre vie en sacrifice d’amour, un sacrifice qui soit digne de lui plaire. Déposons-lui nos vies sur l’autel où lui-même se donne à nous. Approchons-nous de lui avec un cœur d’enfant, qui désire (re)trouver son Père. Et prions avec saint Claude de la Colombière, s.j. :
“Mon Dieu, je suis si persuadé que tu veilles sur ceux qui espèrent en toi, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de toi toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci et de me décharger sur toi de mes inquiétudes.”