“On ne peut séparer le Christ de l’Église. La grâce du baptême nous donne la joie de suivre le Christ dans et avec l’Église.” C’est ce propos du pape François, en 2013, qui me vient à l’esprit en lisant l’Évangile de ce dimanche. Le Christ fonde l’Église sur la confession de foi de Pierre. L’Église n’a d’autre raison d’être que Jésus-Christ… et nous n’avons accès à Jésus-Christ que par l’Église.
La sainteté de l’Église
Depuis saint Paul, les théologiens aiment prendre l’image de l’époux et de l’épouse, pour parler du Christ et de l’Église, qui sont à la fois deux et un. Un même mystère d’amour, où l’un révèle le visage de l’autre… et pourtant deux réalités distinctes, où l’Église reçoit en permanence sa sainteté du Christ. Lorsque j’étais enfant, mon père m’avait dit “papa c’est comme maman, si l’un dit quelque chose, l’autre est d’accord”. J’avais vite compris que ce n’était pas tout à fait vrai et que l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre n’empêchait pas qu’il y ait des divergences entre eux… dans lesquels je pouvais essayer de m’engouffrer pour négocier telle ou telle autorisation parentale. Le Christ époux de l’Église ne fait qu’un avec elle, et pourtant l’un et l’autre sont bien distincts… et parfois bien différents.
L’Église de Dieu est à Dieu, pas à nous. Et si nous volons l’Église, Dieu nous en chassera, pour l’éternité.
Le Christ est saint, absolument saint. On dit que l’Église est sainte, mais peut-on encore parler de sainteté de l’Église, quand la lâcheté des uns couvre la turpitude des autres ? Peut-on encore parler de sainteté de l’Église, quand elle devient un club très fermé où l’on s’entretient dans le confort d’avoir raison ? Peut-on encore parler de sainteté de l’Église, quand on est confronté au quotidien à un système sclérosé, qui semble n’avoir de raison d’être que lui-même ?
L’Église n’est pas à nous
Non. Il n’y a pas à chercher de pirouette théologique. Ceux qui détournent l’Église à leur profit doivent entendre la parole que le Seigneur adresse au gouverneur Shebna, par le prophète Isaïe, dans la première lecture de ce dimanche : “Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place” (Is 22, 19). Il nous faut l’entendre, cette mise en garde. Elle ne s’adresse pas à un homme du passé, mais à nous, membres actifs de l’Église. L’Église de Dieu est à Dieu, pas à nous. Et si nous volons l’Église, Dieu nous en chassera, pour l’éternité.
L’Église est le lieu où se forme notre sainteté, au contact du Christ mort et ressuscité. Tous, nous avons à passer par la mort avec lui.
Alors, bien sûr, chacun mettra qui il veut derrière cette figure du gouverneur Shebna de la première lecture. Mais veillons à ne pas y mettre seulement les autres car nous serions dans l’illusion. Permettez-moi comme pasteur, de le dire à ceux qui ont tellement donné à l’Église qu’ils ne font plus la différence entre l’Église et eux-mêmes. L’Église n’est pas à nous, elle est l’Église de Dieu. Shebna, ce sont ceux qui refusent de changer leur répertoire de chants ou leurs horaires de messes. Shebna, ce ceux qui ont chassé de leur église, à coup de regards appuyés, telle ou telle personne qui n’était pas habillée comme il faut. Shebna, ce sont ceux qui s’offusquent parce que les jeunes se mettent à genoux à la messe ou parce que leur curé prêche trop longtemps. Shebna, ce sont ceux qui pensent être à eux seuls l’Église du Christ et son avenir. Shebna, encore, ceux qui s’appuient sur le “on a toujours fait comme cela” pour empêcher l’Église d’annoncer Jésus-Christ aux hommes de ce temps. Car l’Église a pour mission de révéler le visage du Christ à ceux qui cherchent Dieu.
Le lieu où se forme notre sainteté
Je me suis longtemps demandé pourquoi le Christ interdisait à ses apôtres de l’annoncer comme Christ, justement à ce moment-là de l’Évangile, lorsqu’il fonde l’Église… alors que “l’Église existe pour évangéliser” (comme nous le rappelle saint Paul VI). C’est, je crois, parce que l’Église doit prêcher le crucifié, à jamais vivant. Avant la mort de Jésus, les disciples sont tentés d’annoncer le faiseur de miracles. Le risque est alors de détourner l’Église, pour en faire une start-up spécialisée dans le miraculeux, une société de communication, ou une ONG. L’Église est, au contraire, le lieu où se forme notre sainteté, au contact du Christ mort et ressuscité. Tous, nous avons à passer par la mort avec lui — et sûrement plus d’une fois dans notre vie, parce que ce travail se déploie au long de notre existence… comme le “oui” du mariage qui se déploie dans les multiples “oui” du quotidien. De même, notre baptême, notre vie dans l’Église, se déploie dans le temps et façonne notre sainteté, ce qui suppose que nous soyons quotidiennement dans cette expérience de mort et de résurrection.
Voici la grande question de l’humanité. Qui est Dieu ? Qui est celui qui pourra nous donner la clef de notre existence ?
Il n’y a pas alors à s’étonner que notre Église soit défigurée par le péché. Elle est unie au Christ crucifié, qui prend sur lui le péché du monde. L’Église, l’Église sainte, n’est pas une Église de cathares, de gens purs, de gens biens. Elle est le rassemblement des pécheurs et des saints, des saints parce que pécheurs, des pécheurs parce que saints. Ne rêvons pas d’une Église idéale, lisse à l’image de ces roses du Bengale que l’on dit “sans parfum et sans épine”. L’Église de nos rêves serait toujours une Église incomplète, une Église où tous n’auraient pas leur place, particulièrement ceux qui ne sont pas comme nous imaginons la sainteté. Mais l’Église, c’est nous, dans notre cheminement avec le Christ, un chemin de poussière et de sueur. L’Église, c’est nous, avec nos incohérences et nos incompréhensions. L’Église est ainsi catholique, parce qu’elle est la totalité de l’humanité unie au crucifié.
La seule question qui vaille
Et l’Église est là pour affermir notre foi. Les portes de la mort ne l’emporteront pas sur elles. Les papes et les curés meurent, les comités de paroissiens et les équipes d’action catholique aussi… mais l’Église reste ferme, comme un phare dans la tempête, pour affermir notre foi. Elle éclaire notre manière de répondre à la question que Jésus pose à tout homme : “Pour vous, qui suis-je ?” C’est dans l’Église, dans l’Église pleinement catholique, que se trouve la plénitude de la réponse de Pierre : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Car en définitive, voici la seule question qui vaille le coup que l’on risque sa vie pour elle. Voici la grande question de l’humanité. Qui est Dieu ? Qui est celui qui pourra nous donner la clef de notre existence ? Qui est celui qui pourra assumer notre souffrance, notre liberté, notre mal ? Qui es-tu Seigneur ? Le mystère du Christ et le mystère de l’Église s’éclairent l’un l’autre. C’est dans l’Église que nous accédons à l’expérience des saints qui ont tenté, dans leur humanité semblable à la nôtre d’éclairer ce mystère. C’est dans le Christ que nous devenons pleinement nous-mêmes.
Permettez-moi d’achever en vous livrant le fond de mon cœur. J’aime le Christ, passionnément. J’aime l’Église, passionnément. Elle me fait souvent souffrir… et lui aussi. Pourtant je crois que cette souffrance est le lieu de l’amour et que cette souffrance me transforme, comme elle transforme notre Église, pour nous rendre semblable au Christ. “Le Christ et l’Église c’est tout un”, disait Jeanne d’Arc, consumée d’amour pour le Christ, passionnément engagée pour l’Église, et martyrisée par l’Église au nom du Christ.