Dans la préface d’un livre, le cardinal américain Raymond Leo Burke, tête d’affiche des opposants radicaux au pape François et plus généralement à l’enseignement du concile Vatican II, critique sans ménagement le Synode sur l’avenir de l’Église qui va s’ouvrir en octobre prochain. Selon lui, l’adjectif “synodal” n’est qu’un “slogan” dissimulant “une révolution […] pour changer radicalement la compréhension que l’Église a d’elle-même”.
La dynamique de la conversion
Ce cardinal, certes marginal parmi ses pairs mais disposant d’influents réseaux, a peut-être raison, au fond, de s’inquiéter. Pas du saccage de l’Église dont il accuse François d’être l’instigateur, mais de la persévérance un brin coriace affichée par le pape. Car malgré son âge et ses ennuis de santé, celui-ci est allé cet été prendre un bain de jouvence aux JMJ de Barcelone. Il s’envolera bientôt pour la Mongolie, un petit pays d’Asie de l’Est où les catholiques, quoique extrêmement minoritaires, sont fervents et dynamiques. Ensuite il viendra à Marseille rappeler l’importance de la culture du dialogue et de la rencontre dans ce Bassin méditerranéen où voisinent islam et christianisme. Il se fera aussi l’avocat de la dignité des migrants, dont beaucoup succombent en voulant traverser la mer. Enfin, le 30 septembre, il assistera à Rome à la grande veillée œcuménique organisée par la communauté de Taizé pour entrer dans la phase romaine du synode sur l’avenir de l’Église lancé en 2021.
On ne le souligne pas assez : la grande métanoïa vécue par les 2.500 pères conciliaires d’horizons et de sensibilités pourtant très diverses, a d’abord été une conversion intérieure, une transformation spirituelle vécue personnellement et collectivement.
Ce programme de rentrée vaut tous les bulletins de santé et les répliques pouvant être adressés aux procureurs du pape : car il leur indique que François est tout aussi déterminé que le premier jour de son apparition à la loggia de la basilique Saint-Pierre, il y a dix ans, à faire entrer la catholicité dans la dynamique spirituelle initiée par le concile Vatican II ; une dynamique par ailleurs jamais remise en cause par aucun de ses prédécesseurs depuis 1962. Cette dynamique est celle de la conversion évangélique de toute l’Église.
C’est le Christ qui rassemble
On ne le souligne pas assez : la grande métanoïa vécue par les 2.500 pères conciliaires d’horizons et de sensibilités pourtant très diverses, a d’abord été une conversion intérieure, une transformation spirituelle vécue personnellement et collectivement. Ces évêques originaires de continents différents ont découvert, comme Marie et les apôtres le jour de la Pentecôte au Cénacle, que ce qui les séparait et parfois les opposait était très relatif par rapport à Celui qui les rassemblait : le Christ à travers son Esprit saint. Grâce à leur expérience d’une vie de communion dans la diversité, s’incarnant dans des rencontres et des amitiés, ils ont pu prendre, à la quasi-unanimité, des décisions capitales pour la vie à venir de l’Église.
Rien en effet n’évoluera vraiment dans les cœurs et les rouages de l’Église si les catholiques, clercs et laïcs, ne se laissent pas d’abord infuser librement et joyeusement par l’Esprit de Pentecôte.
C’est cet enthousiasme lucide et fraternel de la Pentecôte, vécu par les acteurs du Concile, que le pape François invite à retrouver pendant ce Synode sur la synodalité. “Nous sommes allés au Concile, non seulement avec joie, mais avec enthousiasme. Nous espérions que tout se renouvelle, que vienne vraiment une nouvelle Pentecôte, une nouvelle ère de l’Église…”, avait confié le pape Benoît XVI lors de son ultime rencontre avec le clergé de Rome en février 2013.
L’esprit de Pentecôte
Rien en effet n’évoluera vraiment dans les cœurs et les rouages de l’Église si les catholiques, clercs et laïcs, ne se laissent pas d’abord infuser librement et joyeusement par l’Esprit de Pentecôte ; Pentecôte rime providentiellement d’ailleurs avec concorde. Les ennemis invétérés du concile Vatican II qui, à Dieu ne plaise, s’obstinent dans une lecture politique et apocalyptique de cet événement, en niant justement sa dimension essentiellement spirituelle et mystique, risquent une fois encore de regarder passer le train devant eux, un peu comme des vaches en cire exposées au musée Grévin. Le train de l’histoire va encore leur passer sous le nez avec le risque qu’ils servent d’illustration à cette prémonition toujours actuelle du Christ : “Viens, suis-moi. Laisse les morts enterrer leur morts” (Mt 8,22).
C’est la révolution de l’Évangile qui ne cesse de demander à ses disciples de revenir aux sources de leur foi pour renouveler leurs cœurs de baptisés et raviver le sens missionnaire de leur vocation.
Le pape François l’a rappelé fortement à Lisbonne : les catholiques ne doivent pas avoir peur de l’avenir, mais bien au contraire participer à sa construction. Car ce n’est pas nous qui changeons (de là la nécessité de se convertir sans cesse à l’Évangile), mais c’est l’époque qui change (d’où la nécessité de faire en sorte que l’Église sache entendre et répondre aux inquiétudes et aux espérances de ses contemporains). La foi intranquille de l’Église consiste donc à chercher comment être utile au monde que Dieu aime. À elle de chercher les voies lui permettant d’être fructueuse pour l’espérance du monde ; d’être une facilitatrice infatigable de l’humanisation spirituelle du monde.
Revenir aux sources de la foi
C’est dans ce processus au long cours que le Pape veut ancrer solidement une catholicité souvent tentée de rentrer dans sa vieille coquille, oubliant que le ressort de la nouveauté radicale apportée par le Christ dans notre histoire, se trouve justement dans le vaste monde où il a pris chair. Au fond, le cardinal Burke a probablement raison de se faire du souci : c’est bien une révolution qui se profile, dans le sillage de Vatican II, avec l’avènement du prochain Synode sur la synodalité. C’est la révolution de l’Évangile qui ne cesse de demander à ses disciples de revenir aux sources de leur foi pour renouveler leurs cœurs de baptisés et raviver le sens missionnaire de leur vocation.
La véritable compréhension d’elle-même qu’a l’Église lui a été enseignée dans la parabole du bon Samaritain : elle n’existe pas pour elle-même, encore moins pour se faire du bien, mais elle existe pour les autres et pour leur faire du bien. Elle est l’Église du Christ au cœur du monde, jusqu’au sacrifice d’elle-même s’il le faut. Ne soyons donc pas comme des vaches en cire du Musée Grévin : ne restons pas figés à regarder le train de l’histoire passer devant nous ! Et sans nous. Sautons plutôt allègrement dans ce train qui s’annonce comme une aventure spirituelle et fraternelle aussi exigeante, intense et féconde, espérons-le, que celle vécue par les acteurs de Vatican II.