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“Nous sommes des martyrs vivants” : le difficile quotidien du père Rachid, prêtre à Beyrouth

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père Rachid Abi Khalil

Avec l'autorisation du père Rachid

Le père Rachid Abi Khalil.

Cécile Séveirac - publié le 27/08/23

De passage en France avant son retour le 25 août dans sa paroisse maronite à Beyrouth, le père Rachid Abi Khalil raconte à Aleteia la dureté du quotidien du peuple libanais, ébranlé par la crise économique et la corruption qui déstabilisent le pays. "Je n’ai jamais eu l’impression d’être abandonné de Dieu. Chaque jour que Dieu fait est un acte de confiance envers le Seigneur", témoigne-t-il. Rencontre.

Un T-shirt noir, une croix de bois autour du cou, une barbe grise et deux yeux verts rieurs, le père Rachid est arrivé à Paris fin juillet pour une durée d’un mois afin de faire le stock de médicaments avant de repartir dans sa paroisse maronite Saint-Pierre-et-Saint-Paul, à Beyrouth. Là-bas, tout est devenu trop cher. Pour aider ses paroissiens, répartis dans 1.500 maisons du quartier Achrafieh (situé à l’est de la capitale, ndlr), le père Rachid se donne corps et âme. “Dans ma paroisse, beaucoup n’arrivent plus à acheter leurs médicaments et certains produits de première nécessité. Ils vivent une grande privation”, confie-t-il à Aleteia. “La vie est devenue très dure et mon rôle de prêtre a été transformé : je célèbre les messes et donne les sacrements, mais j’ai aussi un rôle social très actif car je suis obligé de faire le devoir de l’État.”

père Rachid Abi Khalil.

Depuis 2019, la crise qui ébranle le Liban ne trouve pas de répit. Forte dévaluation de la livre libanaise, qui a perdu 98 % de sa valeur, infrastructures délabrées, mais aussi pénurie d’eau et d’électricité… Les Libanais ne sont épargnés par rien. Au quotidien, seules deux heures d’électricité leur sont données par l’État : pour le reste, il faut passer par des générateurs, ce qui implique de payer très cher. Le prix de l’essence n’est pas en reste puisqu’il flambe. Avec un taux de chômage très élevé — il est passé de 11% en 2018 à 30% en 2023 et s’élève à 58% chez les jeunes — et des salaires plus que maigres pour quiconque trouve miraculeusement du travail, les Libanais vivent pour la majorité dans une grande précarité. Plus de 80% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. “Un Libanais gagne en moyenne 70 euros par mois dans le secteur public. Aucune aide ne nous est donnée en comparaison avec les réfugiés syriens qui bénéficient d’aides européennes et vivent avec 300 à 400 euros par mois”, affirme le père Rachid.

“L’argent accumulé se retrouve bloqué dans les banques, on ne peut pas le retirer. Comment voulez-vous vivre dignement alors que les prix sont multipliés par 100 ?”, questionne-t-il. Pour subvenir à leurs besoins, les jeunes tentent leur chance ailleurs, au grand dam du père Rachid, qui cherche à les retenir. “Je passe mon temps à essayer de leur trouver du travail pour qu’ils ne quittent pas le pays qui se vide de Libanais, à commencer par les chrétiens. Je téléphone à des amis, je vais voir des personnes susceptibles d’embaucher… Cela prend beaucoup de temps. On se sent très seuls, car la communauté internationale ne réagit pas. Nous sommes obligés de retirer nos épines de nos propres mains”, déplore le père Rachid.

“Nous sommes des martyrs vivants”

Curé de sa paroisse depuis plus de 30 ans, le père Rachid est un soutien indéfectible pour ses ouailles, qu’il considère comme sa famille. “Ils me sont plus chers que la prunelle de mes yeux”, dit-il avec tendresse. “Ils viennent chez moi et me racontent tout. Certains se découragent parfois. Mais ils ont dans le cœur une grande force intérieure.” L’une des familles qu’il connaît bien a six enfants. Pour les nourrir, les parents ont déjà dû faire frire dans une casserole quelques oignons. “Les gens ne mangent pas bien et pas à leur faim. Une paroissienne que je connais a dû arrêter son traitement contre le cholestérol, c’était trop cher…”

Nous les Libanais, nous aimons notre terre. Alors je dis au Seigneur: donne nous la force de demeurer dans notre pays, dans notre paroisse, dans nos maisons.

L’explosion qui a amputé Beyrouth n’a fait qu’aggraver la situation. La déflagration a soufflé la quasi-totalité des maisons de la paroisse, et l’église s’est trouvée fortement endommagée. Le père Rachid y célébrait la messe, seul, lorsqu’elle a retenti. Les portes de l’édifice ont été retrouvées 50 mètres plus loin, et le père Rachid, blessé aux genoux, a subi deux mois de convalescence. “Ça a été terrible”, se rappelle-t-il. “Nous sommes des martyrs vivants. Chaque jour que Dieu fait est un acte de confiance envers le Seigneur. Nous vivons vraiment la phrase du Notre-Père “donne-nous notre pain de chaque jour”. Le chrétien doit accepter que sa vie n’est pas constituée que de beaux jours, certains sont durs à supporter. Mais la foi est un trésor pour nous et nous demeurons un soutien les uns pour les autres.”

Rester au Liban, toujours

S’il y a deux choses qui permettent au père Rachid de tenir bon, c’est bien son pays et sa foi. “Je n’ai jamais eu l’impression d’être abandonné de Dieu. Mais des hommes oui, surtout de ceux qui ont une responsabilité et qui détruisent ce pays par égoïsme et corruption. Nous les Libanais, nous aimons notre terre. Alors je dis au Seigneur : donne nous la force de demeurer dans notre pays, dans notre paroisse, dans nos maisons, donne nous le courage d’affronter tout dans la foi. Regarde ton peuple qui est dans l’épreuve. On ne désespère pas, parce que la foi, c’est faire l’expérience de la présence du Christ dans notre vie. “Ne crains pas, petit troupeau”. Vous voyez : c’est le Seigneur qui le dit.”

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