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Rocky Versace, la valeur méconnue d’un officier américain exécuté au Vietnam

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U.S. Army photo, Public domain, via Wikimedia Commons

Le capitaine Humbert Roque Versace, "Rocky".

Cécile Thévenin - publié le 28/09/23

Le 26 septembre 1965, la radio communiste de la Libération annonce l’exécution de deux prisonniers de guerre américains "pour payer leur lourde dette de sang au peuple du Sud Vietnam". L’un d’eux, Humbert Roque Versace, 28 ans, est tué après 23 mois de captivité. Le souvenir de cet officier de West Point fut longtemps occulté par les réticences des armées à honorer un soldat prisonnier. Des décennies plus tard, sa vie et sa mort furent reconnues comme inspirantes.

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Pilote d’un hélicoptère Faucon Noir crashé en Somalie, Michael Durant échappe à la mort le 3 octobre 1993 par l’action sacrificielle des sergents Shughart et Gordon mais il est capturé par des miliciens. Il va devoir résister seul à cette épreuve, afin que la mort de ses héroïques sauveurs ne soit pas vaine. Or il se souvient de sa formation à la dure école S.E.R.E. (Survie, Évasion, Résistance et Échappatoire) qui l’a préparé à cette situation. Elle lui rappelle une histoire plus ancienne : cette formation suivie par toutes les forces spéciales américaines est le « bébé » du légendaire James Nick Rowe, élaborée suite à sa propre expérience de prisonnier de guerre au Vietnam. 

À son époque, le seul guide était un rigide Code de Conduite Militaire, irréaliste dans ses exigences et antagonisant à mort l’ennemi, comme ce qui arriva au camarade de Nick Rowe, Rocky Versace, détenu en même temps que lui et dont le comportement inflexible le condamna. Les enseignements pragmatiques du S.E.R.E. se seraient-ils construits en réaction au contre-exemple d’un prisonnier de guerre inutilement bravache face à ses geôliers ? Pas tout à fait. Car Nick Rowe aimait Rocky Versace, et il l’admirait.

Je suis un officier de l’armée des États-Unis. Vous pouvez me forcer à venir ici, vous pouvez m’obliger à m’asseoir et à écouter, mais je ne crois pas un satané mot de ce que vous dites !

L’Américain Humbert Roque Versace, né en 1937, est l’aîné d’une fratrie de cinq d’une famille catholique aux racines italienne et portoricaine. Forte tête et pratiquant, fils d’un officier de West Point, il hésite entre la prêtrise et l’armée. Son admission à West Point rend la chose claire : Dieu le veut comme soldat. Déjà déployé en Corée, il est volontaire pour le Vietnam en tout début de conflit, en 1962, comme agent de renseignement dans le Sud pour des opérations anticommunistes. Il profite de ses missions pour aider dans les orphelinats, comme lors de son service en Corée. Son collègue Don Price se souvient qu’il avait toujours un chapelet et une Bible sur lui. Il est admis au séminaire de Maryknoll, la société des missions étrangères catholiques d’Amérique, il compte y entrer dès son retour du Vietnam pour devenir prêtre.

Le 29 octobre 1963, à moins de deux semaines de son départ, volontaire dans une expédition contre un poste de commandement Viêt-Cong, il tombe dans une embuscade avec ses collègues le Sergent Dan Pitzer et le Lieutenant James Nick Rowe. Il est blessé à la jambe par balles. Son collègue Nick Rowe le soigne. S’ensuit leur dernier dialogue comme hommes libres. « Nick, es-tu catholique ? », lui demande le blessé. « Non, Rock. Je suis épiscopalien ». Puis les agents Viêt-Cong lient leurs coudes et leurs poignets derrière leur dos. « Que Dieu te bénisse, Nick. » « Que Dieu te bénisse aussi, Rocky ».

Force morale d’un otage

Nick Rowe est d’autant plus bouleversé par la situation qu’il a fait en 1961 trois rêves prémonitoires de sa captivité au Vietnam, bien avant son intégration aux forces spéciales. Il écrivit alors « la chair et faible, trop faible pour cela ». Les Américains sont dépouillés et forcés de marcher pieds nus dans la rude jungle qu’est la forêt U Minh. Le grand myope qu’est Versace perd ses lunettes dès l’assaut. Les conditions de détention sont indignes et leurs ravisseurs cherchent à les couper les uns des autres. En particulier à isoler Rocky Versace, qui se montre dès le début rebelle. Il parle couramment français et vietnamien et reproche à ses gardes le non-respect de la Convention de Genève. 

Il a pris le leadership comme officier senior auprès de ses camarades prisonniers, qu’il inspire. Isolé des autres, il reprend des chansons populaires de l’époque pour leur faire passer des messages, et ils ont pu l’entendre chanter durant cinq heures d’affilée le « God Bless America ». Il résiste aux séances d’endoctrinement communiste, ce qui ragaillardit les siens. Rowe témoigne : « Quand Rocky entra dans l’“école”, j’entendis des mots qui firent se redresser mon dos et se réchauffer mon visage d’un sentiment de fierté : “Je suis un officier de l’armée des États-Unis. Vous pouvez me forcer à venir ici, vous pouvez m’obliger à m’asseoir et à écouter, mais je ne crois pas un satané mot de ce que vous dites !” “Rocky, ai-je prié, Bénis sois tu. T’es une teigne pure et dure !” »

Pendant une séance d’endoctrinement, Rocky a crié à un cadre Viêt-Cong : “Tant que je suis en vérité vis-à-vis de mon Dieu et vis à vis de moi-même, alors ce qui m’attend est meilleur que n’importe quoi que vous pourriez m’offrir”.

La manière dont Rocky se comporte suscite d’autant plus son admiration que Rowe comprend ce qu’il endure : comme les autres mais en pire, car il est souvent puni pour son attitude effrontée, ainsi qu’après chacune de ses quatre tentatives peu raisonnables d’évasion. Son état physique, plus mauvais que celui de ses camarades, en témoigne. Sa cage est bien plus petite que les autres, il ne peut pas s’y mettre debout. On le bâillonne. Il vit constamment enchaîné. Un de ses geôliers, qui l’a pris en haine, prend soin de le maltraiter. Une des tortures que subissent les prisonniers est d’être déshabillé et privé de moustiquaire, afin que leurs corps soient couverts de piqûres. Et Rocky est de plus blessé à la jambe, à peine soignée.

Qu’est-ce qui explique cette résistance ? Rowe pense qu’il est habité par la fidélité à sa foi et l’espérance dans l’Au-Delà. « Pendant une séance d’endoctrinement, Rocky a crié à un cadre Viêt-Cong, et on pouvait l’entendre dans tout le camp – je l’entendais depuis ma cage à l’arrière du camp : “Tant que je suis en vérité vis-à-vis de mon Dieu et vis à vis de moi-même, alors ce qui m’attend est meilleur que n’importe quoi que vous pourriez m’offrir”. » 

Un jour d’avril 1964, Rocky est brutalement séparé de ses camarades, qui découvrent sa cage vide. En fait, il est traîné seul de camp en camp, sans que ses amis ne reçoivent aucune nouvelle. En janvier 1965, traîné lui aussi dans la jungle pour atteindre un autre camp, Rowe a la grande joie d’apercevoir Rocky par hasard. Son apparence le frappe : il est désormais décharné, le teint blafard, les cheveux complètement blancs, à seulement 27 ans. Rowe lui signale sa présence sans se faire remarquer de ses geôliers. Rocky regarde autour de lui, de son regard de grand myope sans lunettes, sans réussir à le voir. Mais Rowe témoigne de la joie qu’a Rocky en comprenant que son camarade n’est pas loin : « Alors j’ai vu le visage de Rocky être illuminé par un beau sourire comme si c’était le premier depuis longtemps. Je pouvais voir sa gorge s’animer, mais aucun son ne parvenait à en sortir. Finalement, j’entendis faiblement : “Dieu merci que tu sois là, Nick. Que Dieu te bénisse”. » Rowe se rend-il compte que ces mots sont pareils aux premiers que lui a adressés Rocky au début de sa captivité ? Peut-il réaliser que ce sont les derniers ?

Calvaire et mort du « criminel »

Le 26 septembre 1965, les gardes de Rowe lui font écouter avec délectation une émission de Radio Hanoi annonçant l’exécution du capitaine Versace et du Sergent Roraback, « réactionnaires non repentants », en rétorsion « pour le meurtre de trois patriotes à Danang ». Le choc ébranle Rowe : « Rocky était un prisonnier de guerre, un non-combattant, il n’était pas en mesure de se protéger, et ils l’ont tué… » pense-t-il. Peut-être se souvient-il que précisément, ses gardes les ont dépouillés du titre de soldats pour les isoler. L’un d’entre eux lui dit ainsi lors d’une séance de rééducation : « Tu es un prisonnier, tu n’es plus un soldat… tu n’es pas un ‘prisonnier de guerre américain senior’, tu es juste un prisonnier comme les autres parce qu’il n’y a pas de rang entre les prisonniers ». Face aux protestations de Rowe, le geôlier affirme que Rocky est un criminel et qu’il a été puni pour ses crimes, tandis qu’eux ne sont que des individus égarés qu’on pourrait réformer. En fait, Rowe découvrira que les autorités communistes ont dressé une liste des officiers américains prisonniers à exécuter. Rocky Versace est n°1 sur la liste, Rowe 2e. Il est sauvé parce qu’ils ont décidé cette fois-là d’exécuter un seul officier.

Je ne l’ai pas vu le jour où il mourut, car, j’imagine bien, comme ils l’ont fait vivre seul, ils se sont arrangés pour qu’il meure seul ; mais dans mon esprit il n’y a pas de doute,… il fut debout le jour où il est mort… Un roc.

Aux États-Unis, les parents de Rocky, depuis des mois angoissés par l’absence de nouvelles sur leur fils aîné captif, apprennent aussi par cette émission radio sa mort, suscitant chez eux un énorme choc. Le 29 septembre, la presse de Hanoi justifie sa mise à mort : « La punition du Front contre ceux qui commettent beaucoup de crimes, comme Humbert R. Versace, est pleinement justifiée. Versace était un officier du renseignement qui a commis un nombre important de crimes contre le peuple Sud vietnamien et le peuple coréen, un militariste », le calomnient-t-ils. Dans son journal de captivité, Rowe écrit un long poème en hommage à son capitaine au sens de l’honneur si aigu. « Je ne l’ai pas vu le jour où il mourut, car, j’imagine bien, comme ils l’ont fait vivre seul, ils se sont arrangés pour qu’il meure seul ; mais dans mon esprit il n’y a pas de doute,… il fut debout le jour où il est mort… Un roc. »

L’intention d’humilier et de dégrader l’Américain s’est retournée contre ses promoteurs quand les Vietnamiens assistant au spectacle ont commencé à respecter le captif inflexible à la foi religieuse inébranlable.

D’autres témoins apportent un éclairage sur ses derniers mois. Patrouillant dans le Delta du Mekong, le capitaine Jack Nicholson est à la recherche des prisonniers de guerre américains. Il est sur la trace de Versace. Par des locaux, il apprend qu’un grand homme malingre, rongé par la jaunisse, la tête gonflée, est exhibé par ses ravisseurs comme un trophée, pieds nus dans la jungle, une corde autour du cou, les mains attachées dans son dos. Par trois fois, Nicholson lance avec ses hommes une opération pour le sauver, mais ils échouent. En 2013, le journaliste Chris Carrol interroge au téléphone le désormais Général de brigade John William Jack Nicholson à la retraite, retranscrivant son témoignage :

« Nicholson a parlé à des paysans et des villageois, certains lui ont dit avoir vu les troupes du Viet Cong emmener un étranger – affamé et malade mais insoumis – de village en village. « On le paradait à la lumière des torches, et leur intention était de montrer à ces gens la tête de “l’agresseur” », expliqua Nicholson. « Il les défiait ouvertement en vietnamien et en français, et en retour ils le frappaient au visage avec leurs crosses de fusil. »

« Dans un village, une vieille femme raconta à Nicholson qu’après l’une de ces agressions, Rocky Versace, ensanglanté, tourna son regard vers le Ciel avec un sourire et, faisant écho aux paroles de Jésus dans les Évangiles, demanda à Dieu de pardonner à ses ravisseurs. Alors qu’on le traînait dans le Delta, Versace devenait un martyr au sens littéral, spirituel du terme, dit Nicholson. L’intention d’humilier et de dégrader l’Américain s’est retournée contre ses promoteurs quand les Vietnamiens assistant au spectacle ont commencé à respecter le captif inflexible à la foi religieuse inébranlable. « J’ai entendu de la part des gens avec qui je parlais qu’il était en train de convertir ses ravisseurs », a déclaré Nicholson. « Je pense que c’est pour cela qu’ils ont décidé qu’ils devaient le tuer. » » Foi en son pays et croyance chrétienne, en concordance avec ce que narra Rowe, et écho inattendu des récits des premiers martyrs chrétiens. Son corps ne fut jamais retrouvé.

Mémoire ressuscitée par l’affection du frère d’armes survivant

« Rocky a laissé un exemple comme officier américain que le Viet Cong ne pouvait tolérer être connu du monde », dit Rowe. Lui réussit l’exploit de s’évader miraculeusement après plus de 5 ans de captivité, échappant à son exécution programmée. Le retentissement de son histoire est fort, il en profite pour mettre en lumière Rocky. « Je pense que Rocky a montré l’exemple. Il est mort pour ce en quoi il croyait. Il est mort pour ses actes, mais c’est un homme dont je pense on se souviendra, et je verrai qu’on se souvient de lui », explique Rowe en 1969 aux cadets de West Point. Mais le dossier pour l’obtention d’une Medal of Honor, la plus haute distinction militaire américaine, fut recalé, malgré l’admiration du Président Nixon. En 1972, Rowe s’interroge donc, amer : « Son sacrifice en valait-il la peine ? », « Combien de personnes aujourd’hui en Amérique connaissent ou se souviennent de Rocky Versace ? Combien de personnes même dans l’Armée de terre se souviennent de lui ? », « Nous n’avons pas tant de Rocky Versace et nous en avons besoin. »

Rowe ne l’a pas vu de son vivant, mais, en passant à travers son œuvre, un capitaine disparu au fond d’une jungle vietnamienne a protégé la vie d’un autre.

Le 21 avril 1989, le colonel James Rowe meurt lui-même dans un assassinat ciblé par une milice communiste aux Philippines. Toute sa vie, il s’est préoccupé de l’attribution de la Medal of Honor à son ami Versace. Il ne le verra pas mais elle finit par lui être décernée en juillet 2002, 37 ans après. Ses parents et ses deux camarades de captivité sont alors décédés, mais tous ses frères et sœurs sont présents. Rowe a dédié son célèbre livre « Five years to Freedom » sur sa captivité au Vietnam à ce « Roque » dont l’exemple lui a donné la force de résister, pour en retirer un jour des conseils pour les futurs soldats. Rowe dit aux jeunes officiers de West Point : « Si quelqu’un se retrouve dans une situation similaire, voici un homme que tu peux regarder ».

Le 14 octobre 1993, en appliquant les leçons léguées par Rowe, Michael Durant survit onze jours à la captivité en Somalie et pu retourner sain et sauf aux États-Unis. Rowe ne l’a pas vu de son vivant, mais, en passant à travers son œuvre, un capitaine disparu au fond d’une jungle vietnamienne a protégé la vie d’un autre.

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