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Toute vie porte en elle-même une utilité

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Aline Morcillo / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Hôpital Saint Camille, Bry sur Marne.

Elisabeth de Courrèges - publié le 09/10/23

Notre chroniqueuse Élisabeth de Courrèges a perdu sa mère, Myriam de Courrèges, le 10 mai 2023, après quatre ans de combat contre un cancer. Elle est récemment retournée dans les lieux où sa mère a vécu ses derniers instants sur Terre, l’unité de soins palliatifs de l'hôpital Saint-Laurent.

Je suis récemment retournée voir cet hôpital d’où elle était partie. J’avais besoin de voir ce lieu où j’ai accompagné ma mère pour la dernière fois. Même si j’ai surtout vu qu’elle n’y était plus. Avais-je gardé l’impossible espoir de la ressentir, ou de l’apercevoir?

Dans le couloir les visages que je croise ont changé : le personnel a tourné, il y a de nouveaux embauchés, toujours aussi courtois et dévoués, et de nouvelles familles accompagnées.  On aperçoit même un chat désormais.

J’arpente ce couloir que je me souviens avoir traversé de long en large : quand j’attendais derrière la porte que le précédent visiteur sorte, quand il y avait des soins ou une consultation du médecin. Ou encore le temps que les soignants accomplissent si soigneusement cette dernière toilette, ce dernier matin… Je me remémore particulièrement ces fréquents allers-retours dans le couloir afin de lui réchauffer cette tasse blanche et noire qu’elle s’était achetée et dans laquelle on lui servait du café. Comme elle le buvait tard, j’emportais la tasse vers le four micro-onde pour la lui réchauffer. C’était pour elle un dernier plaisir, et pour moi une dernière utilité.  Et cela nous faisait rire.

Le temps ne devait pas s’arrêter sous prétexte que, dans ma mémoire et dans mon cafard, il s’était figé.

Dans les chambres attenantes à “la sienne”, ce ne sont plus les mêmes voisins. Évidemment. Le temps ne devait pas s’arrêter sous prétexte que, dans ma mémoire et dans mon cafard, il s’était figé.

Je passe devant le poste de soins. Elle voulait en rester à proximité. D’abord pour sa sécurité, également parce qu’elle se sentait entourée. Mais aussi, je crois, parce que la vie d’une équipe médicale continuait d’intéresser le médecin qu’elle était. Trouvait-elle dans cette observation une forme d’utilité ? 

J’évite quelques recoins du service encore trop chargés de douloureux souvenirs et me dirige vers le salon des familles qui m’est un peu plus familier.

Je reconnais la pièce pleinement ensoleillée, les couleurs chaleureuses et vives que ma mère aimait, les deux fauteuils et le canapé, les journaux périmés, la Vierge Marie posée sur l’étagère et la maquette de voilier.

Les souvenirs peuvent revenir. Je décide de rester, comme si j’avais besoin de les assimiler après avoir tout vécu en accéléré.

 Ici, rien n’a trop changé. Les souvenirs peuvent revenir. Je décide de rester, comme si j’avais besoin de les assimiler après avoir tout vécu en accéléré. Cette fois, pas de train à attraper, pas de nouveau visiteur qui venait prendre le relais. Une personne vient interrompre ma pensée. Il me salue, s’approche de l’évier et presse l’interrupteur de la machine à café. J’aperçois un bracelet d’hospitalisation à son poignet.  

Spontanément, l’homme se met à me parler de la température et du temps qu’il fait. Surprise mais disponible, je me prends à la conversation. La sonnette de la cafetière, bien vite, l’interrompt.  Le patient reprend alors la direction de la kitchenette mise à notre disposition, ouvre un placard, saisit une tasse et verse sa boisson. Ce n’est que quand il retourne s’asseoir à table qu’il me semble bien apercevoir une jolie tasse blanche et noire qui retient toute mon attention. C’est bien celle que ma maman utilisait en ses derniers instants. Et qu’elle avait laissée, manifestement. 

Et j’ai souri. Souri de savoir qu’elle aurait ri mais aussi souri de savoir que Ma mère était encore utile sur cette terre, et encore utile ici. Par tout ce qu’elle a laissé comme affections, œuvres et fruits…et par des petits détails aussi. 

Même diminuée ou altérée, mesurons bien que toute vie porte en elle-même une utilité. Pour le présent, et pour après. 

Tags:
Fin de vie
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