Prédicateur de la Maison pontificale, le père capucin Raniero Cantalamessa présente sa quatrième méditation du temps de Carême.
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Cette année marque le huitième centenaire de la rencontre de François d’Assise avec le sultan d’Égypte Malik al-Kâmil en 1219. Je le rappelle ici pour un détail qui touche au thème de nos méditations sur le Dieu vivant. De retour de son voyage en Orient, saint François écrit une lettre « Aux custodes des peuples ». Il y disait notamment :
« À l’intention du peuple qui vous est confié, rendez au Seigneur ce témoignage de vénération : chaque soir faites proclamer par un crieur public, ou avertissez par quelque autre signal que tout le peuple ait à rendre louange et grâces au Seigneur Dieu tout puissant. Si vous ne faites pas tout cela, sachez que vous devrez rendre compte au jour du Jugement devant le Seigneur votre Dieu Jésus-Christ. »
Il est largement admis que le saint a été inspiré pour cette exhortation par ce qu’il avait observé lors de son voyage en Orient, où il avait entendu l’appel à la prière du soir que lancent les muezzins du haut des minarets. Un bel exemple non seulement de dialogue entre les différentes religions, mais aussi d’enrichissement mutuel. Une missionnaire qui a travaillé pendant de nombreuses années dans un pays africain écrivait ces mots : « Nous sommes appelés à répondre à un besoin fondamental des hommes, au besoin profond de Dieu, à la soif d’Absolu, d’enseigner le chemin qui conduit vers Dieu, d’apprendre à prier. Voilà pourquoi, dans ce pays, les musulmans font tant de prosélytes : ils enseignent immédiatement et simplement, à adorer Dieu ».
Nous, chrétiens, avons une image différente de Dieu — un Dieu qui est amour infini, avant même d’être puissance infinie — mais cela ne doit pas nous faire oublier le devoir primordial de l’adoration. À la provocation de la Samaritaine : « Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem », Jésus répond avec des mots qui sont la magna carta de l’adoration chrétienne :
« Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » (Jn 4, 21-24)
C’est le Nouveau Testament qui a élevé le mot adoration à cette dignité qu’il n’avait pas auparavant. Dans l’Ancien Testament, outre Dieu, l’adoration s’adresse parfois à un ange ou au roi (1 Sm 24, 9) ; au contraire, dans le Nouveau Testament, chaque fois que l’on tente d’adorer quelqu’un d’autre que Dieu et la personne du Christ, fût-ce un ange, la réaction immédiate est : « Ne le faites pas ! On ne doit adorer que Dieu seul » (Ap 19, 10 ; 22, 9 ; At 10, 25-26 ; 14, 13s). Presque comme si nous courions, dans le cas contraire, un danger mortel. C’est ce que Jésus, dans le désert, rappelle d’un ton péremptoire au tentateur qui lui a demandé de l’adorer : « Il est écrit : c’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte ». (Mt 4, 10)
L’Église a accueilli cet enseignement, faisant de l’adoration l’acte par excellence du culte de latrie, distinct de celui dit de dulie réservé aux saints, et de celui dit d’hyperdulie réservé à la Vierge. L’adoration est donc le seul acte religieux qui ne puisse être offert à personne d’autre, dans tout l’univers — pas même à la Sainte Vierge — qu’à Dieu. C’est là sa dignité et sa force unique.
Au début, l’adoration (proskunesis) indiquait le geste concret de se prosterner face contre terre devant quelqu’un, en signe de respect et de soumission. C’est dans ce sens propre que le mot est employé dans les évangiles et dans l’Apocalypse ; la seule personne devant qui on peut se prosterner sur la terre est Jésus-Christ, et dans la liturgie céleste l’Agneau immolé ou le Tout-Puissant. Ce n’est que dans le dialogue avec la Samaritaine et dans 1 Corinthiens 14, 25 qu’il semble désormais sorti de son sens extérieur et indique une disposition intérieure de l’âme envers Dieu. Cela deviendra de plus en plus le sens ordinaire du terme et, dans ce sens, dans le Credo, nous disons de l’Esprit saint qu’avec le Père et le Fils, il reçoit « même adoration et même gloire ».
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