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La solidarité entre les générations, grande oubliée de la réforme des retraites

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LOIC VENANCE I AFP

Manifestation contre la réforme des retraites, Nantes, 17 décembre 2019.

Jacques Bichot - publié le 17/12/19

Pour le vice-président de l’Association des économistes catholiques, le projet de réforme des retraites engagé par le gouvernement ne remédie pas à la faiblesse structurelle d’un système faussé à l’origine : la retraite n’est toujours pas pensée comme un élément central de la « solidarité entre les générations ». Selon lui, ne pas comprendre le rôle fondamental de la mise au monde et de l’éducation des enfants dans cette solidarité est une erreur du projet gouvernemental.

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Le 11 décembre 2019, le Premier ministre Édouard Philippe a prononcé devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), un discours de 55 minutes exposant les décisions prises par le gouvernement concernant la réforme des retraites françaises. Quelques grandes lignes de ce projet figuraient dans le programme d’Emmanuel Macron, le vainqueur de l’élection présidentielle du 7 mai 2017. Le texte a été élaboré par une petite équipe dénommée Haut-commissariat à la réforme des retraites, avec à sa tête Jean-Paul Delevoye. Depuis la publication de ses « préconisations », en juillet 2019, les Français attendaient de savoir ce qu’en retiendraient le gouvernement et le président de la République. La réponse à cette attente est donc arrivée six jours après la première grande manifestation de protestation, le 5 décembre 2019, et le déclenchement d’une grève de grande ampleur qui paralyse encore, une semaine plus tard, une partie importante des services publics, depuis les transports jusqu’à l’enseignement. Néanmoins, il ne semble pas que le discours prononcé par Édouard Philippe le 11 décembre ait particulièrement essayé de rassurer les grévistes, dont le mouvement inflige à une forte proportion de Français une gêne importante.

Une réforme est-elle nécessaire ?

Le système de retraites français, composé de 42 régimes différents, fonctionnant tous par répartition, n’est évidemment pas rationnel. Il existe par exemple un régime pour les anciens mineurs, alors qu’il n’existe quasiment plus d’actifs travaillant dans ce domaine, si bien que les cotisations reçues ne représentent qu’une fraction infime des pensions versées. Il en va de même ou presque pour différents régimes, par exemple celui des exploitants agricoles ou celui des ouvriers de l’État. D’autres, sans être au même point dépourvus de cotisants, n’en ont pas assez pour payer les pensions : c’est le cas des régimes respectifs de la SNCF et de la RATP, dont les personnels fournissent de gros bataillons de grévistes.


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Force est donc de reconnaître que la formule « régime catégoriel fonctionnant par répartition » n’est pas viable sur le long terme, parce que si certaines catégories de travailleurs augmentent fortement (par exemple les avocats), d’autres (par exemple les exploitants agricoles) diminuent d’une façon qui ne permet pas le maintien de leurs régimes de retraite, si ce n’est grâce à des subventions massives. Que ces subventions proviennent d’autres régimes, via le dispositif appelé « compensation démographique », ou de l’État (donc de l’impôt ou de l’emprunt), la solution est boiteuse. Avoir un seul régime de retraites dites par répartition, ce que l’on appelle un régime « universel », est une nécessité incontestable.

Les pouvoirs publics l’avaient plus ou moins compris à la Libération, et bon nombre des hommes politiques de cette époque difficile ont été partisans de l’instauration d’un régime unique. Mais ce projet s’est heurté à trois obstacles : la sottise, l’égoïsme catégoriel et le désir de certains de conserver la maîtrise de ce qu’ils considéraient comme leur « pré carré », en quelque sorte une propriété privée. Nous avons eu là un exemple important d’incompréhension du « bien commun », notion essentielle dans la doctrine sociale de l’Église. Le gouvernement de l’époque dut reculer, accepter le maintien de régimes catégoriels, en dépit de l’absence de viabilité à long terme d’une telle formule. Le travail de construction d’un bon système de retraites a donc été mal engagé à la Libération, par ignorance et égoïsme. Aujourd’hui, notre devoir est de corriger les malfaçons structurelles qui datent de cette époque. C’est une entreprise évidemment plus difficile que ravaler la façade d’un immeuble, réparer une fuite d’eau ou remplacer un carreau cassé !

L’obstination dans l’erreur est une forme de péché

On pourrait, de façon quelque peu moralisatrice, s’appesantir sur l’égoïsme catégoriel. Son rôle n’est certes pas nul, il est à l’œuvre aujourd’hui comme en 1945-1946, mais il me semble que l’aveuglement joue un rôle encore plus important. Car en refusant obstinément un régime unique, les membres de certaines catégories socio-professionnelles, principalement la fonction publique et les « régimes spéciaux », fragilisent les secteurs d’activité dont ils tirent leurs ressources. Leurs employeurs, qui ne bénéficient pas d’une pluie de billets de banque, n’ont d’autre solution que d’embaucher du personnel sous statut de droit commun, ce qui aboutira à long terme, après maints conflits et moult difficultés financières, à la disparition pure et simple des statuts spécifiques. Certains combats, soi-disant menés dans l’intérêt des travailleurs, nuisent en réalité, à long ou moyen terme, à leur intérêt.

Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église ne comporte pas de rubrique « intelligence », non plus que « stupidité ». Mais certains papes, et notamment Benoît XVI, ont bien mis l’accent sur un point important : ne pas faire les efforts requis pour moins mal comprendre la façon dont le monde fonctionne est un manquement à nos devoirs de chrétiens. Le Catéchisme de l’Église catholique place la paresse parmi les sept péchés capitaux, et comme le manque de discernement est souvent la conséquence de la paresse intellectuelle, on peut considérer que le Malin trouve son compte à cette faiblesse du discernement qui fait des ravages dans notre civilisation. Caritas in veritate l’a rappelé : il n’y a pas d’authentique amour du prochain là où prévaut le refus de la vérité. Aujourd’hui, cela veut dire, entre autres choses : Mettez en place un système de retraites de bonne qualité, dominez la tentation d’en rester à un système à bout de souffle, dominez les difficultés que présente la construction d’un système juste et intelligemment conçu.

Dans « Comment réformer les retraites ? » (Aleteia, 31 août 2018) j’expliquais comment fonctionnent réellement les retraites dites par répartition. Disons simplement que les pensions constituent le remboursement (avec intérêts, quand l’économie progresse) de ce qui a été investi dans la jeunesse. Les adultes consacrent une partie de ce qu’ils produisent à entretenir et former une nouvelle génération, et celle-ci, quand elle a intégré le monde du travail, renvoie l’ascenseur en cotisant au profit de ses aînés, qui ont arrêté ou ralenti leur activité professionnelle.


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C’est ce mode de fonctionnement de la retraite dite par répartition que n’ont compris ni le Haut-Commissariat à la réforme des retraites, ni le gouvernement, ni l’Élysée. Nos pouvoirs publics s’obstinent à considérer que les cotisations versées par les actifs au profit des retraités actuels doivent donner des droits à pension aux dits actifs. Autrement dit, ils s’enferment dans une conception inexacte du fonctionnement de la retraite par répartition, s’interdisant ipso facto de réaliser une bonne réforme. À l’obstination dans l’erreur de ceux qui militent pour la préservation des régimes spéciaux s’ajoute celle de nos dirigeants qui refusent de regarder en face la réalité, le fonctionnement véritable des retraites dites par répartition, et d’en titrer les justes conséquences en ce qui concerne la nouvelle législation à mettre en place.

Des dispositions critiquables du point de vue de la doctrine sociale de l’Église

Le projet concocté par le Haut-Commissariat perpétue l’ancienne injustice dont sont victimes les pères et mères de famille en raison de la faible reconnaissance du service qu’ils rendent à la société en général, et au système de retraites par répartition en particulier, en mettant des enfants au monde et en les élevant. La bonification de 5% qu’il est prévu d’accorder pour avoir mis au monde un enfant est stupéfiante d’injustice : le montant de cette bonification sera plus forte pour la femme qui aura exercé une activité professionnelle à plein temps et quasiment sans interruption parce qu’elle aura eu un seul enfant, que pour la mère de famille nombreuse dont la carrière aura été interrompue de façon importante, avec comme conséquence une ascension professionnelle modeste, ou peut-être même insignifiante. Comment qualifier cette disposition qui aura pour effet de perpétuer et même d’accroître l’injustice de la législation actuelle qui accorde déjà davantage pour le « gosse de riche » que pour le « gosse de pauvre » ?


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Rappelons à ce propos l’article 248 du Compendium de la doctrine sociale de l’Église : « La famille doit être considérée comme un acteur essentiel de la vie économique, orientée non par la logique du marché, mais par celle du partage et de la solidarité entre les générations. » La retraite est un élément central de cette « solidarité entre les générations », qui ne relève certes pas du marché, mais d’une forme particulière d’échange. Ne pas comprendre le rôle fondamental de la mise au monde, de l’éducation et de l’entretien des enfants dans cet échange est une faute grave du projet gouvernemental. Depuis des décennies, la politique familiale française s’amenuise, et voici que le projet gouvernemental en matière de retraites, au lieu de corriger ce qu’il y avait d’injuste et d’injurieux dans les bonifications de pension pour enfant, considérées comme « non contributives », les modifie dans un sens essentiellement favorable aux femmes ayant un seul enfant et une belle situation professionnelle !

Édouard Philippe a déclaré que la France veut être « une France où les travailleurs payent fièrement la retraite de leurs parents en sachant que, quand viendra leur tour, leurs enfants les aideront à vivre décemment leurs retraites ». Globalement, ce sera bien, demain comme aujourd’hui, la génération des enfants qui entretiendra la génération des parents, mais de façon totalement injuste : ce sont surtout les enfants de familles nombreuses, dont les mères auront des pensions bien modestes, qui entretiendront généreusement les adultes ayant eu un seul enfant, ou n’en ayant pas eu du tout. C’est déjà le cas aujourd’hui, et ce sera encore davantage le cas si la réforme Macron-Philippe-Delevoye est adoptée sans changement majeur. L’équité n’y trouvera pas davantage son compte que la rationalité économique.

Comment serions-nous optimistes ?

Ce système injuste contribuera à perpétuer et accentuer le déficit démographique français. Rappelons à ce sujet qu’en 2010 il est né 802.000 enfants en France métropolitaine, et seulement 720.000 en 2018. Durant cette période, la population âgée d’au moins 60 ans est passée de 14,3 millions à 18,8 millions. D’un côté 10% en moins, de l’autre 30% en plus : nos retraites sont mal parties, et les rapports du Conseil d’orientation des retraites le disent, même s’ils mettent des gants pour exposer cette réalité désagréable. Ne pas comprendre la gravité d’une telle évolution est une faute politique grave ; le devoir de correction fraternelle exige que nos dirigeants en soient informés. Hélas, il n’est pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre.

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