Des esplanades noires de monde, des milliers de lumignons en procession dans la nuit, des chants à Marie lancés d’un seul cœur par des foules de pèlerins de tous les pays, des sacrements célébrés en permanence… voilà ce que la crise du covid-19 a stoppé d’un coup dans les sanctuaires. Un exemple : à Alençon, depuis le 17 mars, la maison de la famille Martin est fermée au public. Le tout nouveau bâtiment d’accueil ouvert en avril 2019 n’héberge plus personne. Le pont sur lequel Louis et Zélie Martin se sont rencontrés pour la première fois ne voit plus de couples s’échanger de lettre d’amour. “Notre activité d’accueil de pèlerins et de familles est à zéro depuis mars et jusqu’en juin. Nous espérons ensuite avoir 25% d’activité en juillet et en août et être à 50% de septembre à décembre“, nous confie Damien Thomas, secrétaire général du sanctuaire.
Des sanctuaires désertés
À Lourdes, Mathias Terrier, directeur de la communication du sanctuaire, doit composer avec une fermeture totale du site. Si l’heure du déconfinement a sonné le 11 mai, les négociations sont en cours avec le préfet sur les conditions de la réouverture. “Le sanctuaire entrevoit une saison quasi blanche, et dépourvue de la présence des pèlerins malades“, explique-t-il. En Bourgogne, la petite ville de Paray-le-Monial devait célébrer cette année en grande pompe le centenaire de la canonisation de sainte Marguerite-Marie. Des religieuses de la Visitation du monde entier étaient attendues en juin. Tout a été annulé. Les fidèles peuvent cependant suivre les célébrations sur le site de Paray dès le 13 mai sur la chaîne Youtube du sanctuaire. “Les sessions animées par la communauté de l’Emmanuel qui rassemblent l’été des milliers de personnes n’auront pas lieu au format habituel. Nous allons aussi proposer de vivre Paray autrement“, annonce Bertrand de Ruffray, directeur du sanctuaire.
Deuxième plus grand sanctuaire de France, Lisieux a été confronté à une baisse de la fréquentation bien avant le 17 mars. “Près de quatre-cents groupes, dont beaucoup d’Asiatiques avaient déjà annulé ou reporté leur venue“, indique Emmanuel Houis, secrétaire général du sanctuaire. “Par rapport aux deux années précédentes, nous avons perdu entre le 17 mars et le 11 mai près de 208.000 visiteurs. Dans la saison, nous accueillons des pèlerins venus du monde entier, mais l’été les touristes affluent. Les premiers ont une forte demande spirituelle (prière, sacrements, approfondissement de la foi. Auprès des seconds, nous avons une mission de première évangélisation pour leur permettre de faire l’expérience du Seigneur. Nous voulons leur donner cette chance d’entrer dans la basilique en touriste et d’en ressortir en pèlerin.” Même en période de crise, la mission n’attend pas.
À Cotignac, lieu d’apparition de saint Joseph et de la sainte Vierge, tous les pèlerinages ont été annulés, dont le célèbre pèlerinage diocésain à saint Joseph qui attire habituellement 5 à 6.000 personnes à l’occasion de sa fête au mois de mars. “Outre les grands pèlerinages, l’activité habituelle de retraites de préparation au mariage ou aux sacrements n’a pas pu avoir lieu”, déplore Gaëtan Guiller, le président de l’association des pèlerins de Notre-Dame de Grâces. “Jusqu’en juillet, il n’y aura rien. Nos sessions familiales d’été seront organisées sous un nouveau format pour tenir compte des contraintes de sécurité sanitaire. Nous voulons permettre aux personnes de venir.”
Lire aussi :
Etats-Unis : une Vierge de Lourdes dessinée sur un trottoir ravit les internautes
Des pertes financières préoccupantes
“Cette année, voire les suivantes seront difficiles“, avertit le père Christian-Marie, dominicain, président de l’Association des Recteurs de Sanctuaires (ARS). Partout, le personnel est au chômage partiel, le recrutement de saisonniers a été annulé et les ressources se sont taries du jour au lendemain. Lourdes annonce une perte de huit millions d’euros : “90% des rentrées proviennent des pèlerinages, des dons effectués sur place et des achats effectués dans notre librairie-boutique”, explique Mathias Terrier. Il s’inquiète aussi de l’impact de la fermeture du sanctuaire sur toute la ville de Lourdes. Alençon table sur un déficit total d’activité de 33% cette année. “Les quêtes étaient déjà en baisse importante depuis deux ans. Cette année, nous en avons perdu 50%“, regrette le père Christian-Marie qui est aussi recteur de l’Oratoire de la Sainte-Face à Tours.
Une situation d’autant plus inquiétante que certains lieux sont déjà fragiles comme par exemple le Puy-en-Velay ou Alençon qui ont déjà lancé une campagne d’appel aux dons ou encore Lourdes qui venait tout juste de revenir à l’équilibre après deux années de redressement économique. Ici ou là, des travaux avaient été engagés. S’ils ne peuvent pas être annulés, ils seront reportés ou rééchelonnés mais il faut bien payer les tranches déjà terminées.
Malgré la crise, les sanctuaires ont poursuivi leur mission
Lieux de pèlerinage, les sanctuaires sont d’abord des hauts-lieux de prière et d’intercession. Ni les guerres, ni les virus ne peuvent arrêter cette vocation. À la basilique de Montmartre, les bénédictines du Sacré-Cœur ont pris le relais des adorateurs pour que la chaîne d’adoration perpétuelle lancée en 1885 ne s’interrompe pas. À Lisieux, la messe est célébrée tous les jours à la basilique, pourtant fermée au public. À la grotte de Lourdes, “la communauté des chapelains a organisé la prière continue dans plusieurs langues du matin au soir relayée par TV Lourdes, par une chaîne américaine et une chaîne italienne ainsi que par les radios chrétiennes. Au total, nous estimons à trois millions les personnes qui suivent cette prière“, se félicite Mathias Terrier.