La mixité à l’école, au collège, au lycée s’est quasi généralisée. Nos arrière-grands-parents ont connu les bâtiments scolaires dont les entrées comportaient la mention « École de filles », ou « École de garçons ». Il y a bien longtemps que les doubles entrées ont disparu. Cette extension de la mixité scolaire a débuté juste après la guerre, pendant les années de reconstruction : ce sont des raisons économiques qui ont poussé les collectivités à mutualiser les structures : les cantines, les espaces communs, puis les salles de classe ont accueilli indifféremment garçons et filles pour éviter de construire deux écoles ou deux collèges là où l’on pouvait en bâtir un seul et ainsi faire des économies d’échelle.
Ainsi, la mixité s’est progressivement mise en place sans qu’elle ne soit portée par des projets éducatifs particuliers, sans qu’une idéologie ou tout simplement une théorie de l’éducation ne la soutienne. Les garçons et les filles étudieront ensemble, mais doit-on les prendre en charge autrement que lorsqu’ils étaient chacun de leur côté ? La question est restée sans réponse, ou traitée à la marge. Seules les activités sportives ont conservé la séparation des sexes, parce qu’elles impliquaient la séparation des vestiaires ou une différenciation des critères d’évaluation.
Décalage de maturité
Depuis quelques années, le phénomène inverse s’amorce. Certains collèges et lycées proposent des classes non-mixtes, ou des temps scolaires non-mixtes pour leurs élèves. On sent, de manière quasi intuitive, l’intérêt de séparer filles et garçons sur la tranche d’âge 11-14 ans. Le décalage de maturité physique et psychologique entre la plupart des garçons de 12 ans et les filles du même âge est frappant : vous pourrez trouver dans la même classe des filles déjà occupées à planifier leur future vie de couple, et des garçons à peine sortis de leurs caisses de Playmobil… C’est une richesse, mais aussi une difficulté supplémentaire d’adaptation pour certains, professeurs compris.
La question qui se pose à ceux qui tentent les classes ou temps d’enseignement séparés devient alors la suivante : qu’avons-nous à proposer de spécifique aux classes de garçons, qu’avons-nous à proposer de spécifique aux classes de filles ? Et c’est là que les esprits s’embrouillent : on ne voit pas trop en quoi il y aurait une façon masculine d’enseigner l’histoire de l’art ou les mathématiques, ou une façon féminine de travailler les figures de styles ou les équations du deuxième degré… On s’imagine mal constituer des écoles de filles avec cours de tricot, couture et cuisine et des écoles de garçons pourvues d’activités prétendument viriles : tronçonnage ou lancers de troncs dans la cour… Raison pour lesquelles les discussions sur l’intérêt des écoles non-mixtes prennent vite un aspect assez dogmatique et plutôt enflammé.
Une plus grande liberté
Alors précisément, quels bénéfices nos enfants pourraient-ils tirer de temps d’éducation séparés quoiqu’identiques ? Principalement une plus grande liberté par rapport aux codes culturels du masculin et du féminin. Observez pour cela l’expérience du scoutisme. Dans les compagnies de filles, il faudra bien que toutes s’attèlent à toutes les tâches nécessaires à la vie du camp : couper du bois, allumer un feu, monter et démonter de lourdes tentes, aussi bien que cuisiner, soigner les brûlures ou coudre des insignes. Vous remarquerez que les garçons de leur côté remplissent les mêmes tâches : tronçonnage et manutention aussi bien que cuisine ou couture… Et ce, sans qu’aucun adulte ne leur face la leçon sur les stéréotypes de genre ou l’égalité homme-femme. En revanche, lorsque ces activités sont proposées dans des groupes mixtes, vous trouverez toujours des garçons pour éviter la couture au prétexte que ce serait féminin, des filles s’attribuer le poste d’infirmière comme une évidence, des garçons déléguer l’air de rien la cuisine aux filles, des filles attendre des garçons qu’ils s’occupent de la mécanique. Parce que le regard des autres compte, et peut faire que l’on s’empêche soi-même.
Observez un groupe de filles monter une pièce de théâtre : il faudra bien que l’une ou l’autre s’attribue un rôle masculin… C’est une chance que de pouvoir explorer des jeux, des situations, des rôles masculins lorsqu’on est une fille, et sans avoir à se justifier d’être aller jouer le rôle masculin là où des garçons pouvaient le faire : c’est un apprentissage de l’inventivité et de la liberté, hors des jugements implicites sur le sexe ou le genre.
De précieuses parenthèses
Les initiatives de mixité partagée, loin d’être ringardes, sont au contraire assez modernes. Elles disent d’une part qu’il n’y a pas de tâches ou de compétences exclusivement masculines ou féminines : les cours de sciences, de lettres, les activités cuisine ou bricolage n’ont pas de sexe. Elles disent d’autre part que ce qui est vécu entre filles est unique : elles apprennent qu’on peut être forte, entière, compétente, indépendamment du regard ou de l’assistance masculine. Ce qui est vécu entre garçons est aussi unique en son genre : ils valident leur valeur indépendamment de la comparaison avec les filles, ils apprennent que l’entraide, la consolation, l’écoute ou le soin ne sont pas l’apanage des filles, mais font aussi la richesse des hommes. Voilà l’intérêt de ces occasions données, de ces temps spécifiques proposés : aller vers ce que l’on aurait spontanément assigné à l’autre sexe, et s’émanciper de la crainte du jugement du sexe opposé. Ainsi, on donne à chaque sexe l’occasion d’expérimenter sa valeur, mais aussi de comprendre le prix de la présence de l’autre sexe : jouer une pièce entre filles, chanter entre filles, rire entre filles, travailler entre filles, ce n’est pas la même chose que de jouer une pièce avec les garçons, chanter, rire et travailler avec eux. On le sait parce qu’on en a fait l’expérience : la masculinité est indéfinissable mais elle est irremplaçable, la féminité est indéfinissable mais elle est irremplaçable. Ce sont des parenthèses dans un univers où garçons et filles se côtoient et vivent ensemble naturellement : la famille est déjà le premier lieu de la mixité, elle est faite des hommes et des femmes ayant vécu sous le même toit. Mais ces parenthèses sont précieuses.
La vraie question n’est donc pas uniquement « la non-mixité pour quoi faire », mais plutôt : pour qui, pour quel âge, combien de temps, temps scolaire ou extra-scolaire, quelques heures ou quelques jours… Regardons-là d’un œil neuf, et explorons-la comme une possibilité d’élargissement de l’aventure éducative.