Des croyances sorties tout droit des contes de fée, ou de nos aspirations les plus profondes, mais qui se heurtent parfois brutalement à la réalité, au point de mettre en danger le couple. Camille Rochet, psychologue et thérapeute de couple depuis une dizaine d’années, décrypte dans son ouvrage Les cinq croyances qui empêchent d’être heureux en couple (Larousse) ces mécanismes qui déséquilibrent la relation amoureuse, et donne de bonnes pistes pour les dépasser.
1“Un jour, mon prince viendra” : le mythe de la bonne personne
Est-ce un reliquat des contes de fée de notre enfance ? Certains sont en quête de la seule et unique personne qui serait capable de les rendre heureux toute leur vie. Espoir vain, dans la mesure où l’âme sœur n’existe pas. Pourtant, – et bien souvent c’est au début d’une relation amoureuse – d’autres sont convaincus d’avoir trouvé leur alter ego. “On s’entend si bien ! On dirait qu’il lit dans mes pensées !” Existe-t-il donc une personne qui nous correspondrait parfaitement ? Si une telle complicité est enviable, cela ne suffit pas pour construire une vie à deux. Selon Camille Rochet, dans cette situation, “le nous est délaissé au profit du je. Avant d’aimer cette autre personne, je m’aime à travers ce miroir narcissique. Mon reflet ainsi valorisé correspond forcément en tout point à mes attentes. Je n’aime pas le prince mais la princesse que je vois dans les yeux de mon prince. J’aime le fait de devenir princesse parce qu’un prince me transforme ainsi.”
Pour construire une vie à deux, l’amour narcissique doit se transformer en amour altruiste : “Le je doit laisser la place au tu“, précise la psychologue. “Vous allez permettre à un autre d’être la bonne personne pour vous. Et vous-même travaillerez quotidiennement à être la bonne personne pour votre conjoint.” On s’approche alors de l’expérience de l’amour véritable : je n’aime pas l’autre uniquement pour l’image qu’il me renvoie de moi, mais bien pour ce qu’il est.
2“Les opposés s’attirent” : le mythe de l’amour- développement personnel
Certains demeurent particulièrement attirés par des personnes qui leur sont opposées, en terme de caractère ou de valeurs. Ils sont dans l’admiration, et, de façon inconsciente, cherchent à acquérir pour eux-mêmes des traits, des qualités qu’ils trouvent chez l’autre. “On cherche le conjoint qui va nous pousser à faire ce travail sur nous, en ayant les qualités qu’on n’ose pas libérer chez nous ou qu’on aimerait posséder”, constate Camille Rochet. Cependant, rechercher son propre développement personnel à travers l’autre n’est pas gage d’amour durable. D’autant plus lorsqu’on a tendance à idéaliser ce que nous n’avons pas et qui nous paraît une source de bonheur. “Dans l’opposé, il y a une forme d’inconnu donc parfois d’idéalisation”, alerte la psychologue.
“Les opposés s’attirent” reste une fausse croyance si c’est une fin en soi. En revanche, cela peut s’avérer d’une grande richesse s’il existe un lien suffisamment solide grâce à ce que le couple a en commun. “Si ce lien est suffisamment fort, alors nos différences nous enrichissent sans nous diviser. Mais lorsque ce lien perd de sa solidité, alors la différence devient menaçante.”
3La passion à tout prix : le mythe de Roméo et Juliette
Titus et Bérénice, Héloïse et Abelard, Tristan et Iseult, Roméo et Juliette, Scarlett O’hara et Rhett Butler… La littérature regorge d’histoires d’amour passionnées où les lois du cœur priment sur les lois de la raison. Certains aspirent à un tel amour, tellement profond, fusionnel, qu’il ne s’arrêterait jamais. Ils ne disent aimer que lorsqu’ils ont des papillons dans le ventre. N’est-ce pas confondre, en ce cas, l’amour, qui cherche à s’inscrire dans la durée, et les émotions, qui vont et qui viennent ? “Il est tout à fait possible d’aimer sans éprouver de désir pour l’autre au quotidien”, assure Camille Rochet.
Une affirmation qui heurte aujourd’hui tant la place accordée aux émotions est grande. “Si je me sens bien alors je dois avoir raison ; si je ne me sens pas bien alors j’ai aussi raison !”, constate-t-elle. “Mes émotions parlent à ma place et à la place d’autrui. Si je ressens de la passion pour une nouvelle personne, c’est que je ne dois certainement plus aimer mon conjoint ; si je suis heureux dans tel contexte, alors je dois le préserver, sans penser aux conséquences possibles sur mes proches”. Une surpuissance des émotions que déplore Camille Rochet : “Nous ne pouvons être uniquement à l’écoute de nos émotions, elles ne peuvent pas être les seules régisseuses de nos vies.”
4“Avec moi, il va changer” : le mythe du superhéros
Qui n’a pas un jour nourri le secret espoir de voir son conjoint changer ? Celui-là possède l’intime conviction que son amour peut transformer l’autre. “Le super-héros va sauver le plus faible, celui qui n’arrive pas à dépasser seul une difficulté, qui dépend d’un autre pour pouvoir sortir d’une situation inconfortable”, décrit Camille Rochet. Un jeu dangereux qui peut mener à bien des échecs et des frustrations. “Ainsi, quand je constate que l’autre n’évolue pas, garde sa faiblesse, lutte contre elle sans la surmonter, je me sens alors impuissant et vaincu. J’en veux à mon conjoint de me mettre dans cet état rabaissant et désespérant. Je lui reproche mon mal-être et son incapacité à devenir celui que j’aurais aimé qu’il soit. Je me sens trahi et préfère retrouver ma liberté !”
Un sentiment de trahison qui prend racine dans cette fausse croyance : “Je n’ai pas réussi à le changer et je suis convaincu qu’il ne m’aime pas assez pour vouloir changer.” Ce mythe du super-héros laisse donc penser que notre rôle est d’aider l’autre à devenir la personne que nous estimons être la mieux pour lui, mais aussi que son changement sera la preuve de son amour pour nous. “Une impasse lourde de conséquences”, estime la psychologue.
Au contraire, la stabilité du couple se trouve dans un juste équilibre des rôles de chacun. La conjugalité, “ce n’est ni l’espace de l’un, ni celui de l’autre : c’est un troisième lieu où chacun agit selon son rôle et sa fonction, dans lequel vous vous épanouissez et vous ressourcez affectivement.”
5“La vie est un long fleuve tranquille” : le mythe de l’amour sans conflit
Tout le monde aspire à la paix dans le couple, mais personne n’y arrive. L’amour sans conflit est une illusion. Les conjoints étant deux êtres différents et imparfaits, les désaccords sont inéluctables. Mais heureusement, ils sont loin d’être fatals au couple. Au contraire, le conflit peut même être une occasion de grandir, tout du moins de se connaître mieux.
Certains craignent tellement le conflit qu’ils préfèrent se taire et attendre que la tempête passe. “La peur du conflit, chez beaucoup d’entre nous, vient de la peur de la domination”, analyse Camille Rochet, “car il y a le risque que le conflit de pouvoir entre les conjoints se solde par une relation de type dominant/dominé”. Une mauvaise stratégie, en réalité, car c’est en le fuyant que l’on donne le pouvoir à l’autre. Le risque est donc, au bout de quelques années, d’exploser à force de tant de soumission non reconnue. “Le conjoint qui a appris à se taire décide enfin de s’affirmer. Simplement, c’est la colère qui parle et non le désir de vivre un beau conflit. L’avis de l’autre devient insupportable, l’ancien soumis voit comme une attaque tout désaccord avec son point de vue. La peur de la domination le fait devenir dominant à son tour. Il explose à chaque remarque et estime vivre une grave injustice. Il a perdu toute confiance en la capacité de son conjoint à vouloir trouver une issue favorable à leur couple.” Une fausse croyance qui n’est donc pas non plus anodine pour la bonne santé du couple.
Pratique
Site internet de Camille Rochet, psychologue et thérapeute de couple : A nous tous.