“Ils ne restent ensemble que par habitude”. “Passé soixante ans, on ne peut plus parler d’amour”. “La vie sexuelle, à un certain âge, on peut faire une croix dessus”… Dans notre monde qui expose si facilement les corps et les idylles, la vie affective et intime des personnes âgées est encore considérée avec dégoût par certains, suspicion ou préjugés par d’autres. En effet, 43% des Français – et un jeune de 18-35 ans sur deux – considèrent que les relations amoureuses et charnelles entre personnes âgées sont un tabou qui choque dans notre société, d’après une étude OpinionWay pour le groupe d’ehpads Medicharme publiée en janvier 2022.
“Les jeunes sont très conservateurs s’agissant du comportement amoureux des personnes âgées. Leur regard est beaucoup moins ouvert ou tolérant qu’inversement celui des personnes âgées à leur endroit”, indique dans l’étude Ronan Chastellier, sociologue. Ainsi, la relation amoureuse des personnes âgées est souvent traitée de façon caricaturale. Passé un certain âge, cette vie affective et sexuelle n’existe plus. Elle s’éteint ou alors pour exister, il faut qu’elle soit performante voire extravagante. Pourtant, n’en déplaise à la société moderne, le sentiment amoureux ne disparaît pas à mesure que les rides se creusent. Il peut même durer toute une vie.
Un amour qui dure et perdure
Et les chiffres sont parlants : 94% des personnes âgées déclarent être amoureuses de leur conjoint(e), dont 65% “tout à fait amoureux”, selon le rapport annuel des Petits frères des pauvres sur la vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées, publié en octobre 2022. Si les couples de moins de dix ans sont un peu plus amoureux que ceux qui sont plus anciens (76% contre 64 à 65%), les données illustrent bel et bien que l’amour est toujours là, aussi bien dans la soixantaine qu’à 85 ans. Et en plus cet amour dure ! En effet, 58% des couples interrogés sont ensemble depuis plus de 40 ans, une situation très majoritaire chez les 80 ans et plus puisqu’ils sont 83% à être un “vieux couple”.
Environ 91% des personnes âgées en couple éprouvent du désir pour leur partenaire dont 56% autant qu’avant.
Marie et Gregory le confirment. En couple depuis les bancs du lycée, mariés depuis 42 ans, ils sont toujours très amoureux l’un de l’autre. “Nous nous connaissons depuis toujours et pourtant, j’apprends encore des choses sur lui”, explique Marie, 68 ans. “C’est mon être le plus cher sur cette terre”, glisse affectueusement Grégory. Âgés de 70 ans, il n’a plus de famille à part son épouse et ses enfants.
Le rapport documente une nette rupture à l’arrivée au grand âge : 28% seulement des 85 ans et plus sont en couple, contre 59% des 60 ans et plus. Une brisure largement en lien avec la perte de son conjoint qui n’empêche pourtant pas l’amour à traverser l’au-delà. “Je pense à ma femme tous les jours. Une ou deux fois par jour, je pense à elle. Je l’appelle par son nom”, confie Édouard, 101 ans et veuf.
La routine ne mine par la vie amoureuse
“Soyons honnêtes, si nous nous aimons encore, nos sentiments n’ont rien à avoir avec ceux que nous avions à 20 ans. Mais cela ne veut pas dire que nous nous aimons moins”, prévient Marie. Des propos qui font écho à ceux du dramaturge Sacha Guitry qui disait que “les plus belles amours commencent dans le champagne et se terminent dans la tisane”. En effet, si au fil des années, le sentiment amoureux et passionnel des débuts laisse place à un amour un peu plus mature, cela ne veut pas dire que l’amour et surtout le désir pour l’autre sont absents.
Environ 91% des personnes âgées en couple éprouvent du désir pour leur partenaire dont 56% autant qu’avant, selon le rapport des Petits frères des pauvres. L’étude précise aussi que 71% des personnes âgées affirment qu’un corps qui vieillit peut rester désirable. Pour maintenir la flamme après une vie à s’aimer et se supporter, les personnes âgées listent quelques critères essentiels : la complicité, le rire, l’humour et enfin les confidences.
Ultime coup de pied aux idées reçues sur l’amour chez les seniors : moins d’un tiers des personnes ensemble depuis plus de 40 ans évoquent un sentiment de routine. Et combien même ce sentiment est plus prononcé chez les 75 ans et plus (34% à 36% contre 27% en moyenne sur l’ensemble de la population des 60 ans et plus), la routine serait pourtant bonne pour un couple. “La vie est faite de ces petits bonheurs quotidiens dont on se lasse, dont il faut être privé pour apprécier la valeur…”, disait il y a quatre siècle le prêtre et écrivain René Ouvrard.