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Qu’on épargne le Panthéon à Molière !

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Shutterstock I Marina Datsenko

Henri Quantin - publié le 22/02/23

350 ans après sa mort, la République refuse de panthéoniser Molière. Pour l’écrivain Henri Quantin, c’est assurément une bonne nouvelle.

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C’est encore raté pour le Panthéon, tant mieux pour Molière ! Après un premier échec pour les quatre cents ans de la naissance le 15 janvier 2022, Francis Huster a connu un nouveau chou blanc pour les trois cent cinquante ans de sa mort, ce 17 février. Pourquoi ne pas soutenir cette grande cause nationale, qui réconcilie Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ? Les arguments des adversaires de la panthéonisation de Molière n’ont d’ailleurs rien pour plaire. Écoutons Bruno Roger-Petit, conseiller « mémoire » d’Emmanuel Macron : « Le Panthéon est un temple laïque, enfant de la patrie républicaine, elle-même engendrée par les Lumières. C’est pour cette raison que toutes les figures qui y sont honorées sont postérieures aux Lumières et à la Révolution. » Le « temple laïque », contradiction dans les termes qui montre seulement à quel point la République ne cesse de s’auto-diviniser sans même sembler s’en rendre compte, gagnerait sûrement à s’ouvrir à un auteur de comédie, qui s’empresserait de le désacraliser. « Entre ici, Jean-Baptiste… », ça ne sonnerait pas si mal, après tout, et ça vaudrait largement mieux que « En voiture, Simone… » !

Le temple des Lumières

« Postérieures aux Lumières ». La formule du conseiller « mémoire » étonne tout de même un peu, quand on pense à Voltaire et Rousseau, mais il est vrai que l’exception avait été prévue dès l’origine. Emmanuel Pastoret, qui proposa à la mort de Mirabeau, en avril 1791, de transformer l’église Sainte-Geneviève – voulue par Louis XV, mais pas encore consacrée – en nécropole pour les grands hommes méritant la reconnaissance de la patrie, cita de fait Voltaire et Rousseau, mais aussi Descartes. Il faut croire qu’un révolutionnaire, applaudi ce jour-là par Robespierre, était plus capable qu’un actuel conseiller présidentiel d’admettre qu’il y eut en France des lumières avant les Lumières. Molière aurait donc le droit de bénéficier de cet élan de générosité révolutionnaire.

Il reste que la logique de Pastoret n’était guère favorable à l’entrée d’un homme de l’Ancien Régime : pour lui, comme pour Bruno Roger-Petit sans doute, la France libre — émancipée, dirait-on aujourd’hui — naissait avec la Révolution. Sa déclaration ne laissait aucun doute, puisqu’il proposait « que le nouvel édifice Sainte-Geneviève soit destiné à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l’époque de notre liberté ». On aura compris qu’il s’agit de 1789. 

Les Tartufe du monde moderne

Péguy, pourtant défenseur d’une mystique républicaine, dénonçait l’illusion stupide qui faisait comme si tous les hommes, jusqu’au 31 décembre 1788 à minuit étaient des « foutues bêtes » et comme si « à partir de minuit zéro minute zéro seconde un dixième de seconde, tout le monde avait été créé splendide ». Le présupposé de la panthéonisation républicaine est à peine plus subtil et on ne peut guère s’étonner que son principal effet soit de faire gagner des spectateurs au Puy-du-Fou.

La meilleure raison de ne pas panthéoniser Molière n’a rien à voir avec la chronologie de l’Histoire de France.

Péguy, surtout, était capable de voir que les cibles de Molière n’avaient nullement été mises hors d’état de nuire par la Révolution : le peuple qui avait nourri le Tartuffe clérical d’Ancien Régime avait à nourrir de l’autre main « le Tartufe du monde moderne, l’anti-Tartufe, le Tartufe humanitaire ». Il n’est pas sûr que la République, qui panthéonise avant tout pour se célébrer elle-même par reconnaissance interposée, soit prête à affronter la satire moliéresque, qu’elle vénère tant que c’est l’Ancien Régime qui en fait les frais. Elle fait plus volontiers entrer au Panthéon les écrivains qui la justifient que ceux qui pourraient l’amener à un examen de conscience.

Une punition

Ceci dit, la meilleure raison de ne pas panthéoniser Molière n’a rien à voir avec la chronologie de l’Histoire de France. Elle a été suggérée involontairement par Louis XVIII, qui fut peut-être le premier à rapprocher la présence au Panthéon d’une punition. En 1816, en effet, il rendit l’église Sainte-Geneviève au culte catholique. Alors qu’on lui demandait s’il convenait de laisser la dépouille de Voltaire dans un lieu consacré, le roi aurait répondu : « Laissez-le donc, il est bien assez puni d’avoir à entendre la messe tous les jours. » De même, le Panthéon est sûrement une punition pour Rousseau, condamné à continuer à supporter post mortem les sarcasmes de Voltaire, à qui il avait fini par écrire : « Je vous hais enfin, puisque vous l’avez voulu » ? En y entrant, Molière serait puni à son tour en entendant Rousseau lui répéter, durant toute l’éternité républicaine, que son théâtre est « une école de vices et de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner ».

Le Panthéon ? Une punition, vous dis-je. Épargnons la punition républicaine à l’ami de Louis XIV qui fut parrain de son fils. Épargnons la punition d’un temple pompeux au comédien vivant, en nous souvenant des mots de Don Juan sur le mausolée du commandeur : « Ce que je trouve admirable, c’est qu’un homme qui s’est passé, durant sa vie, d’une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n’en a plus que faire. » Déjà annexé par la Comédie Française, sa prétendue maison fondée sept ans après sa mort, Molière mérite mieux que le Panthéon. Plutôt que de l’assigner à résidence dans un palais royal ou dans un temple républicain, qu’on lui laisse pour toujours un chariot et deux tréteaux.

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