Si une béatification est toujours une fête pour le Peuple de Dieu, la joie était d’autant plus palpable en ce samedi 22 avril à Saint Sulpice que cela faisait plusieurs décennies que les ordres auxquels appartenaient les cinq prêtres tués sous la Commune attendaient la reconnaissance de leur martyre. Environ 2.500 personnes se sont rassemblées dans la plus grande église de Paris. L’occasion était rare : cinq prêtres français, tués en haine de la foi par des partisans de la Commune de Paris le 26 mai 1871, ont été proclamés bienheureux. Des noms méconnus de la plupart des fidèles, mais dont la béatification permet désormais de rendre le culte public. Il s’agit du père Henri Planchat, prêtre de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, ainsi que des pères Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu, tous les quatre religieux picpuciens.
Le pape François était représenté par le Cardinal Marcello Semeraro, préfet du dicastère des causes des saints. Des centaines de prêtres, dont une douzaine d’évêques, étaient présents. Venus des quatre coins du monde, 700 membres des religieux de saint Vincent de Paul et 500 membres de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie (appelés aussi les Picpuciens), communautés auxquelles appartenaient les cinq nouveaux bienheureux, remplissaient les premiers rangs, heureux et fiers de voir reconnu par l’Église le martyre d’un ou plusieurs des leurs.
Quelques descendants des bienheureux étaient également présents. C’était le cas du Père Gilles Barbe sj, Dominique Barbe et Guillaume Barbe, tous trois descendants du père Ladislas Radigue, venus de Bruxelles, Redon et Paris pour honorer la mémoire de leur arrière-grand-oncle. Enfin, de simples fidèles parisiens étaient venus en nombre, se réjouissant de la béatification de figures exemplaires. Lethicia, 26 ans, étudiante brésilienne en psychologie, est une habituée de l’église Notre-Dame des Otages, qu’elle fréquente notamment lors des veillées d’adoration. C’est le curé de la paroisse, le père Stéphane Mayor, qui l’a invitée à se rendre à la béatification. “C’est une grâce de voir le martyre comme un chemin de sainteté. Ces prêtres morts il y a 150 ans nous envoie un message de courage, qui me motive à donner ma vie au service de l’Église”, confie-t-elle.
Pour Virginie, 60 ans, résidant près du Sacré-Cœur de Montmartre, assister à la béatification participe à une démarche à la fois spirituelle et historique. “Je m’intéresse aux lieux de mémoire. J’ai été rue Haxo, me recueillir dans la chapelle des Otages, j’ai vu la dépouille du père Planchat au Sanctuaire Notre-Dame de La Salette (Paris 15e). En tant que catholique, me rendre à sa béatification me semblait naturel”.
Image et reliques des bienheureux
Le rite de la béatification a eu lieu durant la première partie de la célébration. Mgr Ulrich, l’archevêque de Paris, a tout d’abord adressé au Cardinal Marcello Semeraro la requête de béatification, au nom de l’archidiocèse de Paris. Puis les deux postulateurs ont fait des présentations biographiques des cinq prêtres martyrs. Le Cardinal a ensuite fait la lecture de la lettre apostolique du Pape François décrétant que les cinq vénérables serviteurs de Dieu “réunis dans le témoignage de foi rendu jusqu’à l’effusion de leur sang, puissent à l’avenir être appelés bienheureux et soient célébrés chaque année le 26 mai dans les lieux et de la manière établis par le droit”.
Le portrait des bienheureux, suspendu au-dessus du chœur, a ensuite été dévoilé, sous les applaudissements de l’assemblée, suivis du chant d’acclamation “Jubilate Deo“. Image officielle des bienheureux offerte à la vénération des fidèles, dont une reproduction en petit format a été distribuée à tous à la fin de la célébration. Le rite de la béatification s’est clôturé par la procession des reliques jusqu’à l’autel.
L’homélie, portant sur la rencontre du Christ avec les disciples d’Emmaüs, a été prononcée par le Cardinal Semeraro. Il a encouragé à la prière et à la mission, à l’instar des bienheureux martyrs : “La prière donne la force de croire et de lutter pour le bien, même lorsqu’on serait humainement tenté d’être découragé”. Leur “histoire de douleur” est une “histoire d’espérance”, a-t-il ajouté.
Les supérieurs des deux congrégations concernées ont achevé la célébration avec des remerciements émus et joyeux. “Quel don merveilleux de Dieu!”, s’est exclamé celui de l’institut des religieux de Saint Vincent de Paul, évoquant notamment la longue attente de la béatification du père Henri Planchat dont le procès s’est ouvert en 1897.
Si un important dispositif de sécurité était déployé – une dizaine de camionnettes de gendarmerie bordait la place Saint Sulpice -, aucune manifestation de violence n’est à déplorer. Pour mémoire, le 29 mai 2021, une procession organisée par le diocèse de Paris en mémoire du massacre de plusieurs otages lors de la Commune avait été violemment prise à partie puis interrompue par un groupe de militants d’extrême gauche. Il faut dire que le diocèse de Paris avait fait montre de prudence et de discrétion en terme de communication, en évitant notamment l’expression “martyrs de la Commune”, lui préférant celle de “martyrs de 1871”.
Le lendemain, dimanche 23 avril, le pape François a fait acclamer les cinq martyrs à l’issue de la prière du Regina Caeli : “Des applaudissements pour les nouveaux bienheureux !”, s’est-il exclamé devant la foule amassée place Saint Pierre, rendant hommage à ces “pasteurs animés de zèle apostolique”.