L’obélisque de la place Saint-Pierre vient de très loin : d’Égypte et du XIXe siècle avant notre ère. Selon toute vraisemblance il est édifié pour rehausser l’éclat du temple d’Héliopolis, un des plus grands temples dédiés à Rê, le dieu du soleil. Avec l’occupation romaine, la destinée de ce monolithe bascule. Très friands d’antiquités, les Romains s’emploient à arracher les obélisques égyptiens et à les rapporter dans les grandes villes de l’Empire en guise d’ornementation.
C’est ainsi que l’obélisque d’Héliopolis est transféré à Rome en 37 de notre ère par l’empereur Caligula. Pour déplacer cet imposant monument de granit rose, haut de plus de 25 mètres, il faut construire un navire d’une taille inédite, plus de 100 mètres de long. Pour bien caler l’obélisque pendant le voyage, le bateau est rempli de lentilles, ancêtres efficaces des billes de polystyrène… Pline l’Ancien qui raconte cette amusante anecdote ne précise pas si les lentilles ont pu être consommées à l’arrivée…
Une fois en Italie, l’obélisque rejoint le mont Vatican. Cette colline, qui était jusqu’alors à l’extérieur de Rome, est progressivement aménagée et englobée dans la cité. L’empereur y fait construire un cirque dédié aux courses de chars. Il choisit ce monolithe pour en marquer le centre. Les grandes persécutions chrétiennes ordonnées par Néron dans les années 60 ensanglantent le monument : Pierre et beaucoup chrétiens sont martyrisés dans le cirque, à ses pieds. De ce fait, l’obélisque bénéficie par la suite d’une attention toute particulière de la part des chrétiens, contrairement aux douze autres monolithes romains, abandonnés et oubliés pendant des siècles. Celui-ci, au contraire, devient une étape incontournable pour les pèlerins. Situé à proximité de la basilique constantinienne, il est désigné comme l’aiguille de saint Pierre.
« Mouillez les cordes ! »
Au moment de l’édification de la nouvelle basilique Saint-Pierre, au XVIe siècle, on a l’idée de déplacer l’obélisque pour le centrer par rapport au bâtiment, et lui donner ainsi une place de choix. Plusieurs papes reculent devant l’ampleur de la tâche. Finalement, Sixte V, en 1586, se lance le projet. L’opération débute le 30 avril pour s’achever le 10 septembre. La distance est faible, moins de 200 mètres, mais l’enjeu est d’importance : pas question de briser ce vestige si précieux, témoin du martyr de saint Pierre. L’opération nécessite un dispositif impressionnant pour déplacer l’énorme masse. Pas moins de 800 ouvriers et une centaine de chevaux participent à ce transfert.
On raconte une anecdote amusante à ce propos. Pour ne pas déranger l’architecte et les ouvriers dans leurs manipulations, on avait ordonné à la foule de faire silence au moment de la mise en place de l’obélisque. Comme on se méfiait de la spontanéité et de l’exaltation romaines, on avait menacé de mort tout bavard intempestif. C’est donc environné par la foule, mais dans un silence absolu, que l’obélisque se redresse, tout doucement, au centre de la place, ce fameux 10 septembre. Pendant la manœuvre, l’ascension s’arrête soudainement, les ouvriers semblent bloqués, le dispositif patine. De la foule sort alors une voix qui crie : “Mouillez les cordes !” En effet, les cordes qui soutiennent l’obélisque se sont distendues. Sous l’action de l’eau, elles se resserrent et l’obélisque peut se remettre en mouvement, pour enfin s’asseoir sur sa base. Bien entendu, l’homme qui osa briser le silence pour donner un si bon conseil est largement récompensé au lieu d’être sanctionné.
L’obélisque est solennellement béni par le Pape qui fait graver sur son socle la célèbre acclamation carolingienne : Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat, Christus ad omni malo plebem suam defendat (Le Christ vainc, le Christ règne, le Christ commande, que le Christ préserve son peuple de tout mal). On dépose à son sommet des reliques de la Vraie Croix. Édifié pour rendre gloire aux dieux égyptiens, l’obélisque de la place Saint-Pierre est ensuite récupéré pour honorer la grandeur romaine. Désormais, il trône à une place de choix pour l’Église universelle. Non seulement il est le témoin de l’héroïsme du premier pape, mais il dresse devant tous le motif du martyre, c’est-à-dire la croix du Christ, symbole de la résurrection.