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Le débat sans répliques

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Henri Quantin - publié le 23/03/22

À quoi servent les débats : à donner du spectacle ou à chercher la vérité ? Heureusement, se réjouit l’écrivain Henri Quantin, qu’il reste des îlots de vrai débat qui résistent à l’envahisseur communicationnel, comme l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut.

« Il faudrait ne jamais débattre. » Étonnante fulgurance de Philippe Muray, dans un texte de 2003 repris dans le troisième volume de ses Exorcismes spirituels (Belles Lettres). Pourquoi cette maxime définitive ? En apparence, elle dit le refus de discuter : toute pensée magistrale s’impose par sa hauteur de vue et par son écart avec le lieu commun ; elle tranche dans le vif et ne se soumet pas à la comédie médiatique du pour et du contre. Lassé d’un appel au débat proféré par ceux-là mêmes qui ont par avance fait la liste de ce qui ne fait plus débat, Muray dénonçait le cirque télévisuel par des mots percutants : « On convoque de grands problèmes et on les dissout au fur et à mesure qu’on les mouline dans la machine de la communication. Et plus il y a de débat, moins il y a de réel. »

Se rapprocher de la vérité

On le sait en outre depuis Platon, la puissance de la démagogie mine la parole publique, ce que renforce encore le monde du spectacle. À l’issue d’un débat télévisé, le plus convaincant est-il le candidat au programme le plus juste ou le meilleur orateur ? Celui dont l’argumentation est la plus fine ou celui qui cabotine le mieux devant la caméra ? Celui qui recherche le bien commun ou celui qui flatte les instincts ? Le plus cultivé ou le mieux habillé ?

Faut-il alors ne jamais débattre, parce que les dés sont pipés et que le mot juste est moins vendeur que le slogan ? Quelques îlots de débat résistent pourtant à l’envahisseur communicationnel et démontrent que faire dialoguer deux personnes ne mène pas toujours au pugilat inaudible ou au concours de strip-tease. L’émission Répliques d’Alain Finkielkraut, sur France Culture, en donne depuis des années un exemple salutaire. Ici, deux invités sont amenés à un duel plus rationnel qu’affectif, nourri à la fois par les objections de l’adversaire et par l’acuité des questions et des interventions de l’animateur. Les débats sont tantôt « agoniques », de l’ordre de l’affrontement de points de vue incompatibles, tantôt « heuristiques », quand il ne s’agit pas de vaincre, mais de se rapprocher de la vérité en entremêlant les voix (et les voies). Seul le débat intellectuel permet d’ailleurs ce second cas de figure. Dans son très beau Le Choix de Pascal (Flammarion), Jacques Julliard le relevait bien : « Un homme politique qui dirait à son adversaire qu’il l’a convaincu passerait pour un charlot. Un intellectuel peut le faire. »

Des invités qui résistent

Bien sûr, Finkielkraut n’est pas exempt de parti-pris et il est fréquent qu’on ne mette pas plus de cinq minutes à deviner quel invité à son soutien. C’est particulièrement visible sur la fin de vie, un des rares sujets sur lequel il se fasse le porte-parole pugnace de l’ère du temps. Lui reprochera-t-on ? Non, tant il saute aux yeux que c’est sa propre peur de la mort et de la dégradation physique qui résonne dans son micro. L’idée d’un débat purement rationnel est une vue de l’esprit et, surtout sur un tel sujet, la réflexion ne peut bannir tout affect. Malgré son angoisse tangible, Finkielkraut conserve l’immense mérite de convier des invités qui lui résistent et auxquels il laisse le temps de déployer leur pensée, sans les interruptions aboyantes de bien des animateurs faussement neutres.

« La fin du débat » : ainsi s’appelait l’émission Répliques du 19 septembre 2020. Le titre renvoyait à l’arrêt de la revue Le débat, après deux-cent dix numéros, mais jouait aussi sur une inquiétude plus large. L’invité Pierre Nora notait à ce sujet : « Avec la fin de la revue du Débat, j’ai été conscient de la responsabilité que je prenais ; je ne l’ai pas conçue comme une démission, mais plutôt comme une alerte. » Cela permit à Finkielkraut de rappeler que l’écrivain tchèque Milan Kundera s’étonnait de l’indifférence des Français à l’égard de ce type de disparition. Cet homme qui avait vu liquider par le régime soviétique, après l’invasion de Prague, toutes les revues littéraires et culturelles, découvrait qu’en France, personne ne pourrait s’inquiéter d’un événement du même ordre : « À Paris, même dans les milieux tout à fait cultivés, on discute dans les dîners des émissions de télévision et non pas des revues, car la culture a déjà cédé la place. » C’était en 1983 et il suffit sans doute de remplacer « émissions de télévision » par « séries Netflix » pour actualiser.

Nos vœux pour « Répliques »

En septembre 2020, certains de ceux qui pleuraient la revue Le débat s’étaient consolés en pensant qu’il restait tout de même Répliques… Or, sur le site de France culture, on peut lire une déclaration datée du 12 mars : « “Vous êtes nombreux à avoir noté le cycle de rediffusions de l’émission Répliques, que nous vous proposons depuis plusieurs semaines. L’état de santé d’Alain Finkielkraut n’a pas pu lui permettre de venir à l’antenne et nous vous remercions de votre attention et de votre fidélité. Nous espérons tous qu’il sera le plus rapidement possible en situation de pouvoir retrouver ses auditeurs. Bien cordialement.” Sandrine Treiner – directrice de France Culture. »

Ceux qui ne peuvent se résoudre ni à la fin du débat, ni à son remplacement par les affrontements commercialement compassionnels ou stratégiquement violents, uniront sans doute leurs vœux à celui de Sandrine Treiner. Il est probable que le regretté Philippe Muray lui-même n’hésiterait pas à se joindre à eux en nuançant exceptionnellement sa maxime : « Il faudrait ne jamais débattre… sans répliques. »

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