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Belles Histoires
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Gilles et Roch, les deux gloires du Languedoc

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Philippe Lissac | Godong

Vitraux saint Gilles (gauche) et saint Roch

Anne Bernet - publié le 30/08/22

Après Eutrope et André, Aleteia poursuit son tour de France estival des saints patrons de nos régions. L’un est ermite, au rayonnement considérable, l’autre un pèlerin aux pouvoirs miraculeux contre la peste : le Languedoc a toutes les raisons d’être fier de ses saints patrons.

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La gloire de l’ermite Gilles, établi voilà bien longtemps dans l’estuaire du Rhône, à l’emplacement de la cité qui a pris son nom, et celle de Roch, né d’une noble famille montpelliéraine au XIIIe siècle mais volontairement dépouillé de tout, a été, des siècles durant, immense. L’historiographie moderne les a tous deux plus ou moins réduits au rang de personnages légendaires dont on ne sait en réalité pas grand-chose. C’est dommage car l’un et l’autre, en dépit des embellissements de leurs vies, ont encore beaucoup à nous dire. 

Un véritable mouvement érémitique

Quand Gilles, Aegidius en latin, est-il né ? Quand a-t-il vécu ? Il faut renoncer à le savoir car la fourchette estimée par les historiens, entre le VIe et le VIIIe siècles, est définitivement trop large… Il est vrai que nous sommes à une époque particulièrement sombre, où la documentation historique se fait rare, en proportion des lettrés susceptibles de recueillir les faits et d’en tirer des récits. La piété, en revanche, reste vivace, quoique parfois mal éclairée. En dépit des efforts de la papauté pour réformer une Église inféodée aux riches et aux puissants, le clergé n’est pas toujours exemplaire, loin de là, trop désireux d’être bien vu des rois et des seigneurs susceptibles d’assurer confort et bonnes places. Certains, alors, préfèrent se retirer loin de ce monde corrompu jusque dans les monastères afin de prier Dieu dans la solitude et le silence, vivant dans le dépouillement et la mortification. 

Un véritable mouvement érémitique naît alors aux quatre coins de la France. Gilles, installé dans le Gard entre deux bras du Rhône, en participe. Ces solitaires à la vie édifiante, souvent réputés thaumaturges, fins psychologues aussi et bons directeurs de conscience, ne restent pas aussi seuls qu’ils le souhaiteraient et les quémandeurs se pressent à la porte de leur ermitage. Par charité, ils ne se dérobent pas à ces solliciteurs, pourtant souvent ennuyeux. L’une des caractéristiques de ces hommes de Dieu est de vivre dans une paix profonde, celle du jardin d’Eden d’avant la faute, avec la nature et les animaux. Même les plus féroces, même les plus farouches cohabitent avec eux en bonne entente. Les solitaires font des alentours de leur ermitage des lieux où les bêtes sont en sécurité, à l’abri de la cruauté extérieure. Ils s’en font les protecteurs, renouant avec le rôle dévolu à Adam avant la faute.

La petite biche est sauvée

Gilles vit ainsi et l’on pourrait citer bien d’autres saints dans le même cas. En principe, ces enclaves sont des refuges inviolables. Instinctivement, les proies potentielles le savent ; leurs prédateurs humains n’y sont pas les bienvenus. Pourtant, un jour, un grand seigneur des environs, un roi, dira la Tradition non sans excès, nommé Flavius, déboule avec ses gens et sa meute sur le territoire de l’ermite, lancé à la poursuite d’une biche. L’animal aux abois s’écroule, épuisé, aux pieds de Gilles. La présence du saint n’arrête pas les veneurs enragés. L’un d’eux décoche sa flèche qui, au lieu de transpercer la pauvre bête, vient se ficher dans la main que l’ermite a interposé entre la biche et ses poursuivants. Soudain dégrisés, Flavius et ses compagnons baissent leurs armes, se répandent en excuses, et s’en vont en épargnant leur gibier. La petite biche est sauvée ; elle sera désormais la fidèle compagne de l’homme qui l’a arrachée à la mort. Flavius, repentant, demandera à l’ermite ce qu’il peut faire pour réparer sa faute et les souffrances infligées par la flèche malencontreuse. Gilles lui conseille de fonder un monastère dans les environs immédiats. Il en deviendra l’abbé.

L’histoire de Roch, son compatriote, met en scène, là encore, une relation heureuse et apaisée entre humains et animaux.

L’histoire de Roch, son compatriote, met en scène, là encore, une relation heureuse et apaisée entre humains et animaux. Nous sommes aux alentours de l’an 1295. À Montpellier, Jean et son épouse Libérie, un couple riche et noble, se désole. Le Ciel ne leur a jamais accordé d’enfants et, l’âge venant, leurs espoirs d’avoir un jour un fils ou une fille s’amenuisent. Encore un peu et il sera définitivement trop tard. En dernier recours, le mari et la femme vieillissant vont s’agenouiller devant la Vierge et lui adressent une admirable prière : « Nous vous demandons un enfant s’il peut être utile à votre service, ô Notre-Dame, car nous n’en souhaitons pas un pour qu’il accroisse notre fortune et la gloire de notre maison mais pour qu’il fasse du bien aux pauvres et s’expose à toutes sortes d’adversités et même à la mort pour la gloire de votre Nom. » Contre toute attente, peu après, Libérie est enceinte et elle met au monde un fils, prénommé Roch qu’en raison de l’âge de sa mère, l’on tient pour le fruit d’un miracle. Ses parents vont l’élever dans l’esprit de leur pieuse demande, l’encourageant dès ses jeunes années à préférer les promesses du paradis aux biens trompeurs de ce monde.

Le moment est mal choisi

Roch n’a pas encore vingt ans lorsque ses parents meurent, le laissant héritier d’une grosse fortune. À son lit de mort, son père lui a dit : « Appliquez les grands biens que je vous laisse aux œuvres de miséricorde. » Le jeune homme obéit à cette dernière volonté, abandonne les terres et les maisons à un oncle, et distribue les liquidités aux pauvres de Montpellier et des environs. Puis, à l’instar de saint Alexis, et comme le fera plus tard Benoît-Joseph Labre, il part, à pieds, vêtu comme un mendiant, pour Rome où il veut vénérer les tombeaux des Apôtres. Le moment est mal choisi. Les temps sont troublés par des conflits dynastiques et des guerres, la peste commence ses dévastations qui tueront un tiers, voire la moitié des populations européennes ; les errants, soupçonnés de travailler pour l’ennemi, ou pis encore d’apporter la maladie avec eux, ne sont les bienvenus nulle part. Au demeurant, dans des pays ravagés par l’épidémie où il n’y a plus assez de bras pour travailler la terre et nourrir villes et campagnes, la charité envers les mendiants est passée de mode : comment se priver en faveur d’étrangers et d’inconnus quand vous êtes vous-même menacé de famine ?

Indifférent à ces considérations trop humaines, Roch s’enfonce néanmoins en Italie, comptant sur la Providence pour pourvoir à ses modestes besoins quotidiens, et la Providence, remerciant sa confiance, y pourvoie, en effet. Le pèlerin languedocien est vu à Milan et dans d’autres villes de Lombardie, puis en Romagne, dans les alentours de Césène. Partout, c’est le même spectacle affligeant : l’épidémie fait des ravages, les gens, terrifiés, se claquemurent inutilement chez eux, sans comprendre que la peste, propagée par la puce du rat, se moque de leurs vaines précautions. 90% des malades ne survivent pas au bacille. Les cadavres s’entassent dans les rues, des familles entières succombent. La panique est telle que toute charité semble avoir déserté les cœurs. Exceptés quelques religieux et religieuses, qui risquent leur vie pour secourir leurs prochains, il n’y a personne pour tenter de soulager les malades et adoucir les derniers instants des agonisants. Roch est bouleversé. 

Les prodiges du pèlerin

À Césène, il se présente à l’administrateur de l’hôtel Dieu et lui propose ses services. L’administrateur refuse, alléguant que le jeune homme est trop frêle pour cette tâche exténuante et qu’il ne veut pas être responsable de sa mort s’il se contamine parmi les pestiférés. Roch insiste tant et tant que, de guerre lasse, il accepte son offre. À en croire la Tradition, et pourquoi ne la croirait-on pas ?, la présence de cet étrange infirmier français opère des miracles, au sens littéral du terme. Des malades à l’agonie se relèvent et guérissent parce que Roch leur a dispensé ses soins et tracé sur leur front le signe de croix. Affirmer que la peste disparaît des villes où il séjourne est sans doute une pieuse exagération, mais il semble bien que le pèlerin opère quelques prodiges qui le contraignent d’ailleurs à fuir pour échapper à sa popularité naissante et une fâcheuse réputation de thaumaturge. Roch atteint enfin Rome. La peste y sévit aussi et les mêmes miracles se renouvellent. Ses dévotions terminées, le garçon reprend la route de France, traverse de nouveau des villes dévastées par le mal, s’y dévoue sans compter. 

À Plaisance, alors qu’il soigne les malades à l’hôpital, il s’écroule, une douleur foudroyante à l’aine, premier symptôme de la peste bubonique. Les souffrances sont atroces, conformément à ce que le Christ lui a annoncé dans une apparition, lui demandant de s’associer aux tourments de Sa Passion. Tordu d’indicibles douleurs, Roch geint et ses plaintes déchirantes agacent les malades qu’il a soignés avec tant de dévouement. Sans l’ombre de la moindre gratitude, on le jette dehors. Roch se traîne comme il peut, dévoré de fièvre et de misères jusqu’à un bois à l’orée de la ville où il s’écroule et attend la mort. Mais la mort ne vient pas, alors que, d’ordinaire, un pestiféré succombe en trois jours tout au plus. Une soif ardente le dévore. « J’ai soif » a soupiré Jésus en croix. Roch aussi sent sa langue coller à son palais mais personne ne vient le désaltérer, lui qui, au cours de ses pérégrinations charitables, a donné à boire à tant d’autres. Le Ciel a finalement pitié de lui ; une fontaine jaillit près de lui ; il peut enfin se rafraîchir et reprendre quelques forces.

Le chien de Gothard

Pour quoi faire ? Il ne tient pas debout et, trop affaibli, est incapable de chercher de quoi se nourrir. Et voilà que, soudain, il sent une langue râpeuse lui lécher la main. Près de lui, se tient un grand chien de chasse avec, dans sa gueule, un pain blanc qu’il dépose avant de s’enfuir sur les genoux de Roch. Ce manège se renouvellera des jours durant matin et soir. Ce chien appartient à un grand seigneur nommé Gothard, venu avec sa famille se mettre à la campagne à l’abri de la pandémie. Gothard tient spécialement à cet animal de race qu’il chérit et qu’il n’a jamais vu voler. Le comportement de son compagnon l’étonne. D’abord persuadé que la domesticité oublie de le nourrir, il se convainc vite du contraire et se décide à suivre le voleur pour comprendre la raison de ses larcins. Le chien le conduit au pauvre malade qu’il ravitaille fidèlement puisque les humains s’en désintéressent… Saisi de honte en constatant que la charité d’une bête dépasse la sienne, Gothard, s’il n’ose ramener Roch chez lui, au risque de contaminer toute la maisonnée, s’installe près de lui, le soigne. Remplacé avantageusement par son maître, le chien ne revient pas, et laisse Gothard dans l’embarras. Au contact d’un pestiféré, il ne peut mettre les siens en danger. Où trouver des vivres ? Roch lui conseille de l’imiter et d’aller mendier.

Pour ce gentilhomme, c’est une humiliation effroyable, à laquelle il consent pourtant. Pour rien car ses relations, le reconnaissant, se moquent de lui et lui refusent l’aumône. Peu importe ! La leçon que Roch, maintenant guéri, lui a donnée a porté ses fruits : Gothard abandonne sa fortune pour se faire ermite. Et Roch, répondant à un nouveau message céleste, repart pour la France et Montpellier.

Délivreur de la peste

L’accueil n’est pas bon… Après sept années d’absence, personne ne reconnaît le jeune homme de bonne famille en ce mendiant déguenillé ; on le prend pour un espion car le conflit entre les princes majorquins, suzerains de la région et le roi de France est à son sommet. Roch est arrêté et jeté au cachot sur ordre du gouverneur de la ville, qui n’est autre que son oncle. Il lui serait aisé de protester, de se faire reconnaître, en dévoilant la tache de naissance, une croix rouge, qu’il a sur l’estomac. Il ne le fait pas et meurt dans sa prison sordide au bout de cinq ans, ne révélant la vérité qu’à son confesseur, à ses derniers instants. Nous sommes le 16 août 1327, il a 32 ans.

Son oncle et ses concitoyens lui feront des obsèques grandioses et l’honoreront d’emblée comme un saint. Au prêtre qui l’assistait dans son agonie, Roch a dit avoir obtenu du Christ la promesse de délivrer de la peste tous ceux qui l’en imploreront. Il prouvera d’abondance que Dieu lui en a bien donné le pouvoir.

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